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Après plus d’un an de travail, l’Assemblée des Départements de France présente ce vendredi les résultats de sa mission nationale Mer et Littoral. Un travail unique et extrêmement complet qui détaille toutes les actions menées dans le domaine par les collectivités départementales. Une contribution remarquable en termes d’idées, mais également de réflexions autour d’un espace à très fort potentiel de développement mais aussi extrêmement sensible. Philippe Grosvalet, président du Département de la Loire Atlantique, a été chargé de piloter cette mission en avril 2013. Nous revenons avec lui sur le résultat des travaux menés depuis plus d’un an.

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MER ET MARINE : Comment est née l’idée de cette mission ?

 

 

PHILIPPE GROSVALET : Je tiens d’abord à rappeler que ce travail a été réalisé avant l’annonce de décisions quant à l’avenir des départements. Le constat est que sur l’ensemble des départements français de métropole et d’outre-mer, 31 sont situés sur le littoral et connaissent des problématiques singulières.

Nous nous sommes interrogés sur les spécificités de ces territoires et comment les départements devaient s’inscrire dans la dynamique littorale. D’où la lettre de mission de Claudy Lebreton, président de l’Assemblée des Départements de France, qui m’a chargé de cette mission.

 

 

C’est la première fois que les départements planchent de cette manière sur les enjeux littoraux. En quoi a consisté ce travail ? Le sujet n’avait-il pas déjà été amplement traité par d’autres rapports ?

 

 

L’objectif était, justement, de ne pas réaliser un énième rapport qui terminerait comme beaucoup d’autres sur une étagère. Ce que nous voulions, c’est du concret, avec un travail collectif ayant pour ambition de marquer le début d’un mouvement. Nous avons fait un constat et un inventaire de toutes les actions menées aujourd’hui au niveau des Départements concernant le littoral. Tous les départements ont été invités à se réunir autour d’une table pour passer en revue leurs initiatives de chacun et les problématiques rencontrées. Nous nous sommes d’ailleurs rendu compte que les Départements faisaient déjà beaucoup de choses. L’idée a donc été de savoir comment mieux s’organiser, répertorier les initiatives lancées par tel ou tel Département, afin de pouvoir en faire bénéficier d’autres, avec en plus des réflexions communes visant à l’émergence de nouvelles idées. Nous nous sommes également intéressés à tout ce qui touche à la règlementation, aux lois et à la gouvernance de toutes les structures qui traitent du littoral, qui sont incroyablement nombreuses et se superposent. Or, nous constatons que les départements sont absents, ou pas suffisamment représentés, dans un certain nombre d’instances.

Le travail de cette mission fut donc de répertorier les initiatives départementales, mettre en adéquation les moyens et les compétences, mais aussi s’interroger sur ce qu’est la gestion intégrée des zones côtières, comment porter ce concept de manière opérationnelle et quelle place les Départements devaient avoir au sein de sa gouvernance.

 

 

Le littoral est souvent traité par le prisme quasiment unique de la mer. C’est pourtant un territoire bien plus vaste et complexe ?

 

 

En effet, on le constate par exemple avec la Stratégie nationale Mer et du Littoral, qui est surtout axée sur la mer. Or, quand on parle de littoral, il ne s’agit pas uniquement de s’occuper de la partie maritime. Le littoral est une interface très particulière entre la mer et la terre, avec des implications jusque dans l’arrière pays. Au-delà du développement économique, de la protection de l’environnement et de la gestion des risques, des enjeux évidemment fondamentaux dans cet espace extrêmement sensible, il y a des problématiques souvent oubliées, notamment sur le plan social. C’est le cas pour l’habitat, le littoral étant confronté à la rareté et la cherté du foncier, ce qui pose des problèmes de logement pour les jeunes ménages ou les familles modestes. Il y a un risque de ségrégation et d’exclusion, alors même que le vieillissement de la population sur le littoral engendre des besoins de services, par exemple dans le domaine de l’aide à la personne. Or, ces professionnels n’auront pas forcément les moyens de résider à proximité si les prix continuent d’augmenter. Il en va de même pour la création de nouvelles industries sur la côte, qui devront être accessibles aux salariés. Nous devons par ailleurs veiller à ce que les nouvelles activités cohabitent avec les secteurs traditionnels. On pense à la pêche, mais il y a aussi de nombreuses exploitations agricoles près de la mer, avec là aussi la nécessité d’un maintien dans des zones de forte pression foncière. Et il y a une multitude d’autres problématiques, comme le transport, la scolarité et l’accès aux soins. Tout est lié et il faut bien en avoir conscience si l’on veut assurer une cohésion sociale et un équilibre des territoires.

 

 

On constate que, pour ces problématiques, le facteur temps est essentiel et s’accommode souvent mal du tempo politique, dont l’action s’inscrit souvent au rythme des calendriers électoraux. Avec le risque de politiques à courte vue face à des enjeux de très long terme…

 

 

Nous devons en effet travailler à la fois sur des problèmes urgents, mais aussi sur un temps très long pour prévoir l’avenir. Même avec des SCOT (Schémas de cohérences territoriaux, ndlr) à 20 ans, nous sommes sur du court terme à l’échelle du littoral, qui nécessite une vision à 50 ou 100 ans. C’est pourquoi ces questions doivent transcender les sensibilités politiques et doivent être prises en compte par tous. Ce rapport peut d’ailleurs être, pour les élus locaux et les candidats, une source d’inspiration pour mettre en avant le littoral, qui concentre des enjeux majeurs pour l’avenir de nos concitoyens. Or, ces enjeux sont souvent méconnus et il faut aider à une prise de conscience car c’est là que va se jouer une partie de notre avenir. Non seulement sur le plan économique, mais aussi environnemental et sociétal. Il convient donc, d’ores et déjà, de mettre en place des politiques de gestion intégrées qui tiennent compte de l’ensemble des problématiques afin de permettre un développement harmonieux  des territoires. En somme, nous devons construire un véritable projet politique pour le littoral. Car il constitue un phénoménal défi et il est urgent que l’ensemble de la population française et ses représentants en prenne conscience. Le temps est venu de penser autrement le littoral.    

 

 

Votre rapport formule de nombreuses propositions. Quel est leur objectif ?

 

 

Comme nous nous voulons concrets, ce rapport est en effet assorti de 144 propositions très simples, formant une sorte de guide pratique destiné à l’usage des Départements. C’est une sorte de boite à outils. Moi-même, en tant que président du Conseil général de Loire-Atlantique, je m’en suis servi. Surtout que la plupart de ces propositions sont très faciles et rapides à mettre en œuvre. Elles touchent notamment à l’aménagement du territoire, par exemple pour maîtriser et anticiper les risques d’érosion et de submersion marine. Nous faisons également des propositions pour la préservation de la biodiversité marine, des espaces naturels et des paysages, ou encore l’amélioration ou la restauration de la qualité des masses d’eau côtières. Il est également question de la promotion du potentiel maritime des départements littoraux en vue de favoriser une économie durable. Nous y abordons notamment les problématiques liées au tourisme, aux activités traditionnelles et nouvelles, mais aussi l’équilibre territorial entre le littoral et l’arrière-pays. Des propositions traitent aussi du maintien de la diversité et de la cohabitation du foncier pour assurer un dynamisme social et économique toute l’année, alors que nous donnons par ailleurs des outils pour maintenir la diversité générationnelle et sociale en zone littorale. Voilà quelques exemples de sujets abordés par ces 144 propositions que l’on peu consulter en détail dans le rapport.

 

 

Le littoral français est très varié et les différents territoires présentent souvent des spécificités très marquées. Peut-on, dans ce contexte, mettre en œuvre une politique commune ?

 

 

Malgré les spécificités locales, les problèmes sont les mêmes partout. Le littoral est par exemple au confluent de deux vagues, l’une climatique, avec le développement de phénomènes météorologiques violents, comme on a pu le voir cet hiver sur la côte atlantique notamment, et l’autre démographique, qui submerge les littoraux avec des effets induits : la cherté des sols, la sélection de la population, les difficultés à se loger et à travailler, les conflits d’usage. Toutes ces problématiques sont communes et dépassent les seuls enjeux maritimes, économiques et environnementaux. L’objectif de notre rapport et des propositions qui sont formulées est donc de faire en sorte que les départements s’en inspirent afin de trouver leur place dans la conduite de politiques publiques globales touchant au littoral.

 

 

Quelle est la légitimité des Départements sur ces questions ?

 

 

Les Départements sont aujourd’hui un échelon précieux dans le maillage du territoire, se situant entre les communes et intercommunalités d’un côté, la région et l’Etat de l’autre. Les compétences des Départements sont nombreuses et touchent notamment aux ports, aux transports, aux routes, parfois même aux digues. Nous avons aussi un rôle sur le foncier, avec le plan départemental de l’habitat, l’aide différenciée aux bailleurs sociaux ou encore la possibilité de créer des établissements publics fonciers locaux et des espaces protégés. En somme, les départements sont un acteur discret mais majeur des littoraux, et pas seulement sur le volet social.

Notre légitimité, c’est aussi la proximité, qui nous permet d’accompagner les territoires, les communes et les intercommunalités, qui sont la plupart du temps en première ligne face aux problèmes. A ce titre, le rôle d’ingénierie territoriale des départements est crucial.

 

 

Cela nous emmène à la question de l’avenir des Départements. Alors que ceux-ci pourraient perdre l’essentiel de leurs compétences, ce rapport ne risque-t-il pas de rester lettre morte ?

 

 

Je ne le crois pas car les problématiques que nous soulevons et les propositions que nous portons sont indépendantes de la question de l’avenir des départements. Ces défis sont indispensables pour l’avenir de nos territoires et de nos concitoyens. Quoiqu’il advienne des départements, ceux qui se verront confier les compétences dévolues aujourd’hui aux Conseils généraux devront s’emparer de ces sujets. Le but de la mission Mer et Littoral de l’ADF est d’ouvrir les esprits, créer une dynamique et engager des coopérations. L’essentiel est que ce soit fait, peu importe qui le fait. Notre objectif est notamment que les régions et les intercommunalités s’en saisissent et prennent toute la dimension du problème, dans sa globalité. Nous devons les sensibiliser à des enjeux qu’elles ne traitent pas d’habitude et qu’elles auront peut-être à prendre en main. Quelque soient les futures collectivités compétentes, les questions que nous posons seront à résoudre. 

 

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Propos recueillis par Vincent Groizeleau © Mer et Marine, juin 2014

 

 

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