Après l’échec du défunt CORICAN et les ratés d’un premier appel à manifestation d’intérêt initié en 2019, le Comité d’Orientation de la Recherche et l’Innovation pour la Mer (CORIMER) avait lancé fin 2020 un nouvel AMI, dont le secteur maritime attendait beaucoup. Un an plus tard, à l’occasion de la signature d’un avenant au contrat de filière entre le gouvernement et les industriels de la mer, les lauréats du nouvel AMI ont été annoncés hier soir. Avec de beaux projets à la clé (voir le détail à la fin de cet article). Mais ils ne sont que sept, peut être neuf au final (décisions de financement en attente pour deux dossiers supplémentaires) pour un volume total d’investissement de 50 millions d’euros, dont 27 à 30 d’aides publiques (via le programme des investissements d’avenir - PIA).
C’est peu, bien peu, pour une filière aux enjeux considérables qui représente en France, entre l’industrie navale, le secteur nautique et les énergies marines quelques 125.000 emplois et 45 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Le constat est d’autant plus sévère si on compare ce maigre résultat au précédent AMI qui, bien que considéré comme un calvaire, avait tout de même vu 21 projets recevoir un visa du CORIMER, dont au moins 8 avaient reçu un financement il y a un an. Pourtant, tirant les leçons de ce premier échec, « une nouvelle procédure a été mise en place afin de fluidifier la remontée des projets et les différentes étapes de l’instruction, conduisant à une plus forte mobilisation des dispositifs d’aide nationaux. En outre, avec le passage au PIA4, les conditions de financement ont été considérablement améliorées : part de subvention renforcée comparée aux avances remboursables, assouplissement des conditions de remboursement, taux d’aide alignés sur les maximums européens, avance à notification à 25% au lieu de 15% », précise le Conseil national de l’industrie (qui dépend du gouvernement) dans un dossier de presse communiqué hier soir.
On y apprend qu’en tout et pour tout, 51 projets ont été déposés, que sur ce total 25 ont été soumis par le CORIMER aux services de l’Etat mais que 14 seulement « présentaient un volume suffisant pour être examiné dans les dispositifs considérés ». Et sur ces 14 donc, il n’y en a eu que neuf de sélectionnés, dont deux encore en suspens. La crise sanitaire a peut-être eu un impact, un certain nombre d’entreprises, notamment des PME et ETI, ayant d’autres chats à fouetter. Mais cela n’explique pas tout. On peut surtout en déduire : soit que l’innovation maritime française est en grave souffrance pour présenter si peu d’idées novatrices, soit que les dispositifs sont encore trop complexes et mal adaptés, ou bien que nombre des acteurs de la filière n’ont tout simplement plus confiance dans les usines à gaz de l’Etat et renoncent à postuler. Ces deux derniers facteurs faisaient clairement partie des raisons avancées pour expliquer l’échec du premier AMI. Très conscient de ces errances, le président du CORIMER Jean-Georges Malcor (qui cèdera sa place à Carine Tramier au 1er janvier), avait pourtant fait montre de volontarisme pour y remédier (voir l'interview qu'il avait accordé à Mer et Marine en octobre 2020). Sans manifestement réussir à mobiliser la filière autant qu’il l’aurait voulu malgré les améliorations apportées aux dispositifs. Ce qui peut paraitre assez inquiétant au regard de l’importance des enjeux maritimes, du retard pris par la France dans de nombreux domaines technologiques et du dynamisme dont font preuve actuellement de nombreux pays en matière d’innovation maritime, en particulier en Europe du Nord et en Asie.
Il reste maintenant à voir si le prochain appel à manifestation d’intérêt aura plus de succès. Il vient d’être lancé pour trois mois et demi, les candidats ayant jusqu’au 29 mars 2022 pour déposer un dossier (les lauréats doivent être connus au troisième trimestre de l’année prochaine). La création d’une cellule d’orientation des projets inférieurs aux seuils des dispositifs considérés par le CORIMER (2 millions d’euros pour un projet mono-partenaire, 4 millions d’euros pour un projet en consortium) a été actée par le Comité Stratégique de Filière (CSF) des Industriels de la Mer, dans le sillage duquel avait été créé le CORIMER il y a trois ans et qui s’est réuni hier en marge du salon nautique de Paris. A cette occasion, un avenant au premier contrat de filière, conclu en 2018, a été signé avec l’Etat. « Parmi les nouveaux sujets d’attention figurent la décarbonation des procédés industriels, l’émergence de l’hydrogène issu des énergies marines renouvelables ainsi que l’achat responsable au sein de la filière et la promotion de sa compétitivité hors-prix », précise le gouvernement.
Les 7 lauréats de l’AMI
DigIt+
Acteurs : Chantiers de l’Atlantique, ACOEM
Localisation : Saint-Nazaire, Pays de la Loire
Le projet DigIt+ engage les Chantiers de l’Atlantique dans une nouvelle phase de transformation digitale des navires pour répondre aux objectifs climatiques d’une part, et pour assurer la compétitivité et la pérennité de l’entreprise d’autre part. Au travers de la collecte des données digitales issues des navires et des stations électriques, ce projet vise le développement d’interfaces utilisateurs intelligentes et de modules experts à destination des exploitants. Il permettra d’atteindre une nouvelle étape majeure de l’optimisation de la performance énergétique et de la minimisation des impacts environnementaux menées depuis 2008 par Chantiers de l’Atlantique sur ces produits et services via son programme R&D dédié Ecorizon. Mais l’ambition du projet DigIt+ va encore plus loin car il vise aussi à garantir la continuité des opérations, notamment par une maintenance facilitée par la détection prédictive des défaillances, en collaboration avec le partenaire ACOEM.
CASSIOPEE
Acteurs : Bourbon Marine & Logistics, PREDICT, Opsealog, Laboratoire d’Informatique et Systèmes (LIS) de l’Université d’Aix-Marseille (AMU), Bureau Veritas
Localisation : Marseille, Toulon, PACA
CASSIOPÉE (Collecte et Analyse de Données pour la Sécurité des Opérations, la Performance et l’Efficience Energétique) vise à mettre en place l’infrastructure nécessaire à la collecte des données et leur traitement à bord pour fournir aux marins des applications d’aide à la décision en temps réel pour l’amélioration de la sécurité des opérations. Ce système permettra également le transfert à terre des données afin d’alimenter un jumeau numérique pour le suivi continu de l’état de santé du navire et de sa capacité opérationnelle, optimisant ainsi les coûts d’exploitation. L’analyse et le traitement des données permettront d’améliorer la performance opérationnelle des navires mais également l’efficience du flux logistique dans lequel ils évoluent afin d’en réduire l’empreinte carbone.
CTV ZEST
Acteurs : LDA, MAURIC, ADV TECH, SEAir, Barillec
Localisation : Suresnes, Ile de France / Nantes, Pays de la Loire / Mérignac, Nouvelle Aquitaine / Lorient, Concarneau, Bretagne
Le projet « CTV ZEST » pour Crew Transfer Vessel Zero Emission & Safe Transfer vise à développer un prototype de CTV de nouvelle génération (démonstrateur échelle 1) et l’industrialiser afin de répondre aux besoins des opérateurs de champs éoliens, d’anticiper les futures opérations de transfert par grutage des personnels et aux enjeux environnementaux de la filière maritime française. Les critères de sécurité, de confort et de consommation guident la conception de ces navires spéciaux qui assurent le transfert quotidien des personnels travaillant sur ces fermes pour assurer la mise en œuvre et la maintenance des éoliennes, aussi bien en construction qu’en opération. L’ambition réside dans l’intégration combinée de trois technologies innovantes avec une source d’énergie alternative, les hydrofoils et des propulseurs trochoïdaux.
- voir notre article sur le projet CTV ZEST
CEMAS
Acteurs : Rtsys, IMSolutions, IES Engineering
Localisation : Caudan, Saint Philibert Bretagne / Montpelier, Occitanie
CEMAS (Continuous Environmental Monitoring At Sea) vise le développement d‘une station mobile de surface autonome capable de déployer un système de drones sous-marins entièrement autonomes et d'assurer une permanence à la mer pour des applications de monitoring d'installations et de surveillance environnementale. Les objectifs techniques ambitieux permettent le déploiement et la récupération des micro AUV par la station surface sans ligne de mouillage et en totale autonomie énergétique. Les micro AUV sont capables d’une stabilisation dans la colonne d’eau pour réaliser des acquisitions long terme assurées par des capteurs innovants, miniaturisés, de faible coûts et de faible consommation.
SEMNA II
Acteurs : Ixblue, Forssea Robotics, DONECLE, ENSM, IFREMER
Localisation : La Ciotat, PACA / Paris, Ile de France / Labège, Séte, Occitanie
L’objectif du projet est de développer un écosystème complet pour la mise en œuvre de solutions autonomes que ce soit dans la supervision à distance ou l’opération simultanée de système multi-drones. Le projet ambitionne de développer une nouvelle génération de plateformes marines autonomes (surface, sous-marin et aérien) à capacités augmentées. Les applications visées par ce projet incluent l’hydrographie (côtière et grands fonds) et la géophysique en mode multi-véhicules, l’étude et le suivi automatisés des ressources halieutiques et l’inspection des structures éoliennes offshore.
TRILam Bio-Tex
Acteurs : All Purpose, CLM, KAIROS et l’Institut de Recherche Dupuy de Lôme (IRDLUBS)
Localisation : Carnac, Concarneau, Lorient, Bretagne / Najac, Occitanie
L’objectif du projet de créer un textile technique souple innovant recyclable et biodégradable d’un niveau de performance et de durabilité équivalent aux matériaux actuels utilisés pour la confection de voiles des marchés de la plaisance, de la course et de la marine marchande. Basé sur le modèle d’économie circulaire, en s’appuyant sur l’approvisionnement de matières premières en circuit court et en réduisant la mise en décharge des déchets, le consortium vise la création d’un nouveau marché durable de voiles de bateau éco-responsable pour réduire l’impact environnemental de la filière nautisme sur l’ensemble du cycle de vie.
DIGI4MER
Acteurs : Campus des Industries Navales, l’association Wind Ship, l’École Nationale Supérieure Maritime et D-ICE Engineering
Localisation : Brest, Bretagne / Nantes, Pays de la Loire
Les briques technologiques soumises à l’AMI du CORIMER ont intégré le projet du Campus des industries navales (CINav) qui vise la navalisation et à la digitalisation des formations pour les industries de la mer. Elles permettent d’ouvrir les formations aux nouvelles compétences liées au déploiement des nouvelles technologies en matière de propulsion vélique sur plusieurs typologies de navires, dont la marine marchande. Les premiers résultats du projet sont opérationnels depuis la rentrée scolaire 2021.
© Un article de la rédaction de Mer et Marine. Reproduction interdite sans consentement du ou des auteurs.