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Selon la presse outre-Rhin, le groupe asiatique serait en pourparlers pour racheter Nordic Yards, qui dispose de trois chantiers en Allemagne, à Wismar et Warnemünde, ainsi qu’à Stralsund suite à la reprise en 2014 de Volkswerft. Si tel est le cas, Genting, après la reprise totale de Lloyd Werft l’an dernier, deviendrait un nouveau poids lourd de la construction navale européenne, en particulier dans le secteur de la croisière. Car c’est clairement sur ce segment que le géant asiatique souhaite développer des capacités industrielles.

 

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© LLOYD WERFT

Le chantier de Bremerhaven (© LLOYD WERFT)

 

Paquebots et navires fluviaux déjà commandés à Bremerhaven

Ainsi, la reprise du chantier Lloyd Werft de Bremerhaven s’est accompagnée de la commande de trois paquebots de luxe de 100.000 GT et 1000 passagers. Ces navires, dont le premier doit être mis en service en 2018, sont destinés à la compagnie américaine Crystal Cruises, que Genting a racheté au Japonais NYK début 2015. En plus de renouveler sa flotte avec des paquebots neufs, le groupe a en plus choisi de diversifier l’activité de sa nouvelle filiale vers le marché des croisières fluviales haut de gamme. A cet effet, quatre navires de 84 à 110 passagers seront construits par Lloyd Werft, pour une livraison prévue en 2017. Et Crystal Cruises s’est aussi lancée cette année sur le yachting de croisière avec le Crystal Esprit (ex-Megastar Taurus de Star Cruises), qui a bénéficié d’une profonde modernisation.

 

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© CRYSTAL CRUISES

Paquebots de 100.000 GT commandés à Lloyd Werft (© CRYSTAL CRUISES)

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© CRYSTAL CRUISES

L'un des navires fluviaux commandés à Lloyd Werft (© CRYSTAL CRUISES)

 

Les Genting Dream et le World Dream en construction chez Meyer Werft

Dans le même temps, Genting, dont la branche Star Cruises est depuis deux décennies un acteur majeur de la croisière en Extrême-Orient, a décidé de créer une nouvelle compagnie sur le marché asiatique. Dream Cruises débutera ses activités en octobre prochain avec le Genting Dream, un nouveau paquebot de 151.300 GT et 3300 passagers commandé au chantier allemand Meyer Werft de Papenburg. Ce dernier construira dans la foulée un second navire de ce type, le World Dream, prévu pour rejoindre la Chine à l’automne 2017.

 

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© DREAM CRUISES

Le Genting Dream (© DREAM CRUISES)

 

Ces bateaux sont dérivés des Norwegian Breakaway et Norwegian Getaway, livrés en 2013 et 2014 par Meyer Werft à la compagnie américaine NCL. Cette dernière est une ancienne filiale de Star Cruises, qui l’avait repris en totalité en 1999 avant d’en céder 50% en 2007 au fonds d’investissement Apollo Management. Suite à l’introduction en bourse de NCL en 2013, la participation de Genting a été ramenée à 28% et il ne serait pas étonnant que le groupe s’en retire progressivement.

 

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© MEYER WERFT

Le Norwegian Getaway à Papenburg en 2014 (© MEYER WERFT)

 

Un conglomérat malaisien très puissant

Genting semble en effet avoir décidé de mettre en œuvre une vaste stratégie de développement de ses propres marques sur le marché asiatique et international. Et le gigantesque conglomérat malaisien, basé à Kuala Lumpur, en a les moyens. Créé en 1965 par Tan Sri Lim Goh Tong, qui a d’abord fait fortune dans les casinos, les parcs de loisirs, l’hôtellerie et les magasins, le groupe s’est diversifié dans la croisière en créant Star Cruises en 1993, mais s’est aussi développé dans bien d’autres secteurs, comme l’agriculture, l’immobilier, l’énergie, l’industrie pétrolière et gazière, ou encore le commerce en ligne et les biotechnologies. Implanté dans de nombreux pays, dont la Chine via Genting Hong Kong, il brasse des milliards de dollars.  

Et semble bien décider à devenir un acteur majeur de la croisière, avec comme particularité de vouloir disposer de ses propres chantiers navals. Alors que Lloyd Werft a surtout été spécialisé, ces dernières années, dans les arrêt techniques et modernisations de navires, il va donc grâce à son nouveau propriétaire renouer avec la construction de paquebots.

 

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© STAR CRUISES

Un paquebot de Star Cruises (© STAR CRUISES)

 

Star Cruises vient de créer de nouvelles sociétés en Allemagne

Dans cette optique, il pourrait donc ajouter à Bremerhaven trois autres chantiers allemands. Plus qu’une rumeur, l’intérêt de Genting pour Nordic Yards est étayé par le fait que le groupe, via Star Cruises, a créé en janvier et février pas moins d’une dizaine de sociétés en Allemagne, toutes domiciliées au siège de Lloyd Werft. Parmi elles, on trouve Star Cruises Wismar Operations GmbH, Star Cruises Warnemünde Operations Gmbh et Star Cruises Stralsund Gmbh, actives depuis le 29 janvier et dont l’activité est sans équivoque : « exploitation d’un ou plusieurs chantiers navals, formes et docks spécialement pour la construction navale, la conversion et la réparation sur le site de Wismar/Warnemünde/Stralsund ». En plus de Star Cruises Germany, créée en 2014 en prévision de la reprise de Lloyd Werft, une nouvelle structure, Star Cruises Germany Holding, vient également de voir le jour, probablement pour chapeauter l’ensemble des actifs présents et futurs du groupe en Allemagne.

 

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© NORDIC YARDS

Le chantier de Warnemünde (© NORDIC YARDS)

 

Un Russe aux commandes depuis 2010 

Nordic Yards a été spécialement créé par l'homme d'affaire Vitaly Yusufov (fils de l'ancien ministre russe de l'Energie Igor Yusufov, patron du conseil d'administration de Gazprom et fondateur d'un important fonds d'investissement) pour reprendre les chantiers de Wismar et Warnemünde. Ces derniers, regroupés sous le nom de Wadan Yards suite à leur cession en 2008 par le groupe norvégien Aker Yards - quelques mois avant que celui-ci soit repris par le Sud-coréen STX Offshore & Shipbuilding - firent faillite en 2010. Suite à une importante restructuration sous l'égide de Nordic Yards, qui a vu la suppression de plus la moitié des 2500 postes que comptaient les deux sites, la situation s'est redressée et les commandes ont repris, avec notamment des contrats pour des clients allemands et russes sur des projets offshore (éoliens notamment) et des navires polaires. Au printemps 2014, le groupe, qui dispose d'un centre de recherche maritime à Moscou, s'est enrichi d'un troisième chantier allemand à Stralsund, en profitant de la liquidation de P+S Volkswerft. Mais l'activité semble s'être tassée l'an dernier et, notait Eurofound en septembre 2015, l'entreprise prévoyait alors de réduire ses effectifs 1400 à 900 salariés. C'est donc peut être le moment de vendre. 

 

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© NORDIC YARD

Brise-glaces russes dans la forme de Wismar en 2015 (© NORDIC YARDS)

 

Trois grandes formes de construction couvertes 

Concernant les chantiers, qui sont tous situés au bord de la mer Baltique, ils diposent chacun d'une grande forme de construction couverte. Celle de Warnemünde mesure 320 mètres de long pour 54 mètres de large et 80 mètres de haut, avec des capacités de levage de 600 tonnes. Le chantier de Wismar dispose quant à lui d’une cale de 340 mètres de long, 67 mètres de large et 72 mètres de haut, les capacités de levage atteignant 1000 tonnes. Quant à Stralsund, son hall s'etend sur 300 mètres de long, 108 mètres de large et 74 mètres de haut. 

 

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© NORDIC YARDS

Le ferry Stena Hollandica, livré en 2010 (© NORDIC YARDS)

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© NORDIC YARDS

Le cargo brise-glace Norilskiy Nickel, livré en 2006 (© NORDIC YARDS)

 

Les trois sites de Nordic Yards conçoivent et réalisent des plateformes et navires offshore, des ferries et des équipements pour l'éolien offshore, tout en ayant également une compétence reconnue sur les navires polaires, comme les brise-glaces et bateaux de commerce tels des cargos et méthaniers. Alors que Nordic Yards avait clairement affiché son ambition de revenir sur le segment de la croisière, Wismar et Warnemünde ont réalisé par le passé des paquebots, leurs deux dernières réalisations étant l’AIDAvita et l’AIDAaura (42.200 GT, 630 cabines), livrés en 2002 et 2003 à la compagnie allemande AIDA Cruises. 

 

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© MER ET MARINE - KEVIN IZORCE

Le paquebot AIDAaura, livré en 2003 (© MER ET MARINE - KEVIN IZORCE)

 

Un coup à jouer sur les navires d’expédition polaires

L’outil industriel et les compétences de Nordic Yards sont donc intéressants pour Genting. Les chantiers de Wismar, Warnemünde et Stralsund ont, en effet, une expérience dans les navires à passagers, et travaillent déjà sur de nouveaux concepts dans la croisière. Leur savoir-faire en matière de bateaux polaires peut, en particulier, être très précieux si le groupe asiatique décide d’étoffer son offre de croisières de luxe en se développant sur les voyages d’expédition, prolongeant ainsi l'initiative du Crystal Esprit. Il se murmure d’ailleurs qu’une commande aurait été d’ores et déjà passée avec Nordic Yards (ou serait en cours de négociation) pour un ou plusieurs bateaux de ce type.

 

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© DR

Le chantier de Stralsund du temps de Wolkswerft (© DR)

 

Vers une amplification des investissements de Genting ?

Une reprise de ces chantiers allemands signifierait également, ce qui est logique, que Genting souhaite amplifier son plan de développement dans la croisière et, dans la perspective d’une volonté manifeste d’être autonome dans la construction de ses navires, aurait besoin de capacités supplémentaires. Alors que Lloyd Werft sera déjà bien occupé avec les nouveaux paquebots de Crystal Cruises, auxquels il faudra peut-être ajouter la reconstruction du vieux liner américain SS United States, pour lequel le groupe est prêt à dépenser 700 à 800 millions de dollars, Dream Cruises et Star Cruises auront besoin de nouvelles unités. Or, les infrastructures de Nordic Yards (Wismar et Warnemünde), comme celles de Bremerhaven, sont assez grandes pour réaliser des unités comme le Genting Dream, et même des unités plus grosses. De quoi assurer le développement rapide du géant asiatique sur différents segments, allant des grands paquebots aux navires de luxe, en passant par les bateaux d'expédition et le fluvial. 

 

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© STAR CRUISES

Le Superstar Virgo, livré en 1999 par Meyer Werft (© STAR CRUISES)

 

Le choix de l’Allemagne

Alors que le plan de charge des grands chantiers européens spécialisés dans la croisière est plein jusqu’au début des années 2020, ou du moins suffisamment rempli pour tirer les prix vers le haut, Genting s'oriente donc vers l’intégration verticale, ce qui ne s'est pas vu chez un grand armateur depuis très longtemps. Quant au choix de l’Allemagne, il s’explique par le fait que le conglomérat malaisien connait bien ce pays et a confiance dans son industrie comme dans ses capacités de financement. Ses relations avec Meyer Werft datent en effet de la fin des années 90, avec la construction du SuperstarVirgo, livré en 1999 à Star Cruises, puis la réalisation à Papenburg de tous les navires de NCL, à l’exception du Norwegian Epic, commandé en 2006 et sorti des chantiers STX France de Saint-Nazaire en 2010. Quant au Pride of America, que les chantiers de Pascagoula, aux Etats-Unis, n'étaient pas parvenus à terminer, Lloyd Werft avait amené la coque à Bremerhaven où le navire fut achevé en 2005. 

Evidemment, si la reprise de Nordic Yards se confirme, cela ne sera pas probablement pas une bonne nouvelle pour les constructeurs de paquebots européens, qui verront émerger un nouveau compétiteur. Avec en première ligne Meyer Werft, qui perdrait au passage un client historique. 

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