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Faire revenir dans les priorités européennes les industries maritimes. C'est l'objectif d'une quinzaine de régions de l'Union, qui se sont fédérées à l'initiative des Pays de la Loire pour se faire entendre et peser sur les institutions européennes. Cela au moment où la Commission travaille sur le développement d'une politique maritime intégrée et fera en fin d'année une communication sur ce que l'on appelle la « Croissance bleue ». Baptisée justement « Industrie Maritime pour la croissance bleue », l'initiative des régions, lancée en octobre dernier, mobilise de plus en plus et commence à porter ses fruits. Ainsi, jeudi dernier, une troisième rencontre était organisée à Bruxelles, dans les locaux du parlement européen. En plus des 15 régions fondatrices du mouvement (Allemagne, France, Italie, Espagne, Finlande, Pologne), des représentants d'environ 25 autres territoires avaient fait le déplacement. Et c'est devant une salle comble, avec 150 participants, que les hauts fonctionnaires des différentes directions générales de la Commission concernées par les affaires maritimes ont pu mesurer l'ampleur de la mobilisation. Durant l'audition de jeudi dernier (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU) « Accélérer la différenciation et la diversification des industries maritimes » Organisée par la région Pays de la Loire, la Conférence des Régions Périphériques Maritimes (CRPM) et l'intergroupe Mers et Zones côtières du parlement européen, cette audition publique avait pour but de faire le point sur les stratégies de développement et de diversification poursuivies par l'industrie navale européenne, ainsi que la manière de renforcer la compétitivité, tout en préservant et en amplifiant l'avance technologique des acteurs du secteur. Le message se voulait volontairement très positif. Pas question, en effet, de venir « pleurnicher » et appeler l'Europe à la rescousse pour sortir la tête de l'eau à des chantiers moribonds. Certes, la navale européenne a perdu ces dernières années des dizaines de milliers d'emplois et fait toujours face à une très vive concurrence internationale, accentuée par la crise économique et financière. Mais le secteur, pour la première fois depuis longtemps, compte bien profiter, dans les années à venir, de nouvelles sources de développement à très haute valeur ajoutée. « Nous souhaitons accélérer la différenciation et la diversification des industries maritimes vers des secteurs porteurs d'avenir comme les énergies marines, le navire du futur économe en énergie et respectueux de l'environnement ou encore les infrastructures maritimes. A cet égard, l'Union européenne peut jouer un rôle déterminant. Nos objectifs sont donc politiques : la future stratégie d'innovation européenne et la future politique régionale de l'UE doivent prendre la mesure de cet enjeu industriel. Un consensus fort se dégage entre les régions européennes sur les moyens de préparer l'avenir des industries maritimes », souligne Christophe Clergeau, premier vice-président du Conseil régional des Pays de la Loire. Eoliennes offshores (© : C-POWER) Zone portuaire dédiée à l'éolien (© : BRETAGNE DEVELOPPEMENT INNOVATION) EMR : La carte stratégique de l'indépendance énergétique Espagnols, Italiens, Polonais, Finlandais, Allemands, Français... Jeudi dernier, tous les représentants des régions invités à s'exprimer ont fait le même constat. Si le secteur, dont l'activité est traditionnellement cyclique, a été sévèrement malmené par la crise, les perspectives de développement, notamment dans les énergies marines, l'exploitation des fonds marins et les navires du futurs, sont bien réelles et pourvoyeuses de manière pérenne d'un fort développement économique et social. Sans oublier que les industries maritimes sont, et on l'oublie souvent, stratégiques pour l'indépendance de l'Europe en matière d'approvisionnements, notamment énergétiques. « Le processus de restructuration a été très douloureux mais, ces dernières années, nous avons donné un nouveau souffle aux entreprises et l'industrie a évolué. Les opportunités de développements futurs doivent aller de paire avec les nouvelles technologies et la diversification énergétique. Il faut par exemple travailler sur l'extraction du gaz, les éoliennes et de manière générale l'ingénierie de pointe dont nous disposons pour assurer la sécurité des approvisionnements de l'Europe », note Wieslaw Byczkowki, vice-président de la région polonaise de Poméranie. Et le potentiel est considérable. Ainsi, pour le seul segment de l'éolien offshore, 380 turbines étaient installées en Europe en 2010. En 2020, on estime que la capacité sera multipliée par 20 ou 25, alors qu'en 2030, l'éolien offshore devrait être au même niveau que l'éolien terrestre. Et les énergies marines renouvelables ne s'arrêtent pas là. Déjà, les industriels et centres de recherche européens travaillent sur le développement de l'éolien flottant, de l'énergie hydrolienne, de l'énergie des vagues ou encore de l'énergie thermique des mers. Un gisement colossal qui peut permettre à l'Europe d'atteindre ses objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre, tout en développant un nombre considérable d'emplois et, au passage, d'assurer par une politique de développement durable une stratégie d'indépendance énergétique, répondant ainsi à un enjeu crucial pour les années à venir. Hydrolienne (© : OPENHYDRO) Prototype d'hydrolienne (© : DCNS) Se diversifier et améliorer la lisibilité du secteur Sur le plan économique et social, face au dumping des chantiers coréens et chinois, ainsi que la raréfaction des commandes de navires, l'émergence de nouveaux secteurs d'activité constitue une fabuleuse opportunité de redressement pour la navale. Une chance unique qu'il va falloir saisir avant d'autres acteurs internationaux en renforçant les investissements de R&D, tout en maintenant et en développant des savoir-faire très pointus, chez les grands donneurs d'ordres comme pour les PME et PMI. « Nous devons diversifier les commandes et développer de nouvelles activités plurisectorielles afin de compenser le déclin de la construction navale. Face à la concurrence asiatique, il faut élargir la filière, améliorer la qualité et jouer la carte de l'innovation. Nous devons avoir des actions intégrées intersectorielles, notamment sur les infrastructures, la formation et la recherche, afin de favoriser l'innovation et la compétitivité. Il est, de plus, primordial d'avoir une attention particulière pour les petites entreprises qui doivent être assurées de pouvoir participer à ce mouvement et bénéficier de ses retombées », explique Sara Giannini, ministre de la Recherche, de l'Industrie et de l'Innovation de la région des Marches, sur la côte adriatique italienne. Ferme houlomotrice (© : CENTRALE NANTES) Energie des vagues (© : CENTRALE NANTES) Energie thermique des mers (© : DCNS) Eolien flottant (© : DCNS) Isabelle Thomas, vice-présidente de la région Bretagne en charge de la mer et de la protection du littoral, considère quant à elle qu'il faut répondre au problème de lisibilité dont souffre le secteur. Contrairement aux industries automobile et aéronautique, le maritime est en effet plus éclaté et présente une image encore très diffuse pour les décideurs politiques et économiques. « C'est un défi. Il faut une lisibilité pour le marché et les maîtres d'ouvrages en développant la R&D, une grande qualité de fabrication et un tissu d'entreprises capables de répondre à leur demande et possédant un excellent savoir-faire. Il faut une lisibilité pour les industriels et les donneurs d'ordre en développant des conditions propices à leur implantation et leur développement, que ce soit au niveau foncier, au niveau de la formation comme dans la mise en réseau des entreprises et des acteurs du secteur. Enfin, il est impératif d'avoir une lisibilité pour les élèves et les salariés, en développant des formations au plus près des besoins du secteur et des passerelles entre ces formations pour faciliter les indispensables évolutions de carrière ». (© : DCNS) Convaincre les instances européennes A Bruxelles, les représentants des régions européennes martèlent inlassablement le message et, d'ailleurs, on remarque que ce ne sont plus les chantiers qui sont mis en avant mais l'industrie maritime au sens large, où les constructeurs ont évidemment un rôle central, mais non exclusif. « Il fallait une autre manière d'aborder la question de l'avenir des industries navales. Aujourd'hui, l'image des chantiers est trop négative. Il faut montrer qu'une diversification est possible et qu'elle peut potentiellement impacter d'autres secteurs. Car la Commission ne veut pas soutenir des filières qui n'ont pas le vent en poupe », décrypte un spécialiste de la vie bruxelloise. L'Union faisant la force, c'est tout le monde maritime qui monte donc au créneau, avec ses centaines de milliers d'emplois et ses dizaines de milliards de retombées économiques. Et avec un but : se faire entendre et démontrer que le secteur est littéralement assis sur une mine d'or : énergies marines renouvelables, exploitation pétrolières et gazières, extractions minières sous-marines, transport maritime, tourisme, pêche, aquaculture, exploitation des algues... « 70% des richesses mondiales sont en mer et jamais les perspectives d'activités maritimes n'ont été aussi nombreuses », rappelle Isabelle Thomas. Navire de construction offshore en Norvège (© : STX EUROPE) Dans le contexte actuel, les défenseurs du secteur estiment que l'Europe ne peut se permettre de passer à côté de telles opportunités. « L'industrie navale représente un atout dans le cadre de la crise actuelle. L'Europe doit de nouveau s'intéresser aux enjeux maritimes et retrouver l'audace qu'elle avait dans les années 50 et 60 avec la CECA (Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier, ndlr) pour développer une politique industrielle solide. Nous avons la possibilité de mener une diversification innovante de la construction navale et des industries maritimes. C'est pourquoi nous demandons à la Commission européenne d'être ambitieuse au moment où elle examine les questions économiques et industrielles », estime la Finlandaise Talvikki Koskinen, de la CRPM. Corine Lepage, présidente de l'intergroupe Mer et Zones côtières du parlement européen, est également convaincue des atouts du secteur maritime : « On ne peut pas réduire le chômage sans créer de nouvelles activités économiques, qui doivent répondre aux marchés de demain, et non à ceux d'hier. Un réel gisement d'emplois se trouve dans la transformation de nos industries existantes, et les industries navales en sont un parfait exemple. Pour donner une nouvelle impulsion et diversifier les industries navales, les technologies existent : L'éolien offshore, les énergies marines, les navires écologiques ». Mais, pour la députée européenne, il y a urgence à convaincre les instances bruxelloises : « L'Europe risque de passer à côté de la 3ème révolution industrielle si nous n'investissons pas dès maintenant dans la recherche et l'innovation, en s'appuyant sur les secteurs existants. Nous avons des compétences hors du commun en Europe dans le domaine de la construction et de la réparation navale, créons les conditions pour les maintenir et les valoriser ». Un mémorandum a été remis jeudi dernier (© : REGION DES PAYS DE LA LOIRE) Capter les fonds communautaires A l'issue de leur nouvelle rencontre, les régions membres de l'initiative « Industrie Maritime pour la croissance bleue » ont approuvé un mémorandum, qui a été présenté formellement à la Commission européenne afin de souligner leur engagement à travailler sur ces questions. Pour Isabelle Thomas, « cette nouvelle initiative est porteuse d'un message constructif qui reconsidère l'avenir des industries navales et maritimes, et démontre leur potentiel en termes de développement économique et social pour l'Europe et ses territoires. L'enjeu est d'importance dans la perspective des négociations sur les futures orientations budgétaires, de la redéfinition de politiques européennes clés pour la filière et des réflexions de la Commission européenne sur la croissance bleue et l'agenda maritime européen ». Politique industrielle, politique de recherche et d'innovation, politique régionale... Derrière la volonté de se faire entendre et reconnaitre au niveau européen, il y a un objectif clair : Faire en sorte que l'industrie maritime puisse bénéficier d'une partie des fonds européens distribués dans le cadre du développement des territoires. Les acteurs visent les financements structurels, le Fonds Social Européen (FSE) et le Fonds Européen de Développement Régional (FEDER). Mais aussi Horizon 2020, ou « H 20 20 », qui va voir l'Europe investir quelques 80 milliards d'euros entre 2014 et 2020 sur la recherche et l'innovation dans le cadre du 7ème Programme Cadre de Recherche et de Développement (PCRD). « Ces financements sont fondamentaux pour l'innovation et la compétitivité car l'argent public devient rare. Les Etats financent de moins en moins et les régions ont des budgets limités », précise Christophe Clergeau. Or, c'est dès aujourd'hui que le secteur maritime doit se faire entendre à Bruxelles s'il veut espérer pouvoir capter une partie de cette manne financière et, ainsi, soutenir les nombreux projets de R&D initiés dans le développement des navires du futur ou encore dans le domaine des EMR... D'où le message avancé par les différents acteurs quant au potentiel d'avenir de la mer et des industries comme des laboratoires, centres de recherche et filières d'enseignement qui y sont liés. Dans le même temps, les entreprises, appuyées par les régions, cherchent aussi à solutionner les problèmes de financement qu'ils rencontrent en faisant appel à la Banque Européenne d'Investissement (BEI), qui pourrait ainsi apporter des solutions quant aux outils nécessaires, par exemple, au montage financier des constructions de navires. Paquebot en construction à Saint-Nazaire (© : STX FRANCE - BERNARD BIGER) Soudeur dans un chantier naval (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU) Soutiens de la CRPM et de l'intergroupe Mers et Zones Côtières Dans leur action, les régions sont soutenues par la CRPM, créé en 1973 et représentant les intérêts de 160 régions maritimes européennes. Cette structure, très écoutée à Bruxelles, est à même d'appuyer efficacement la transmission de messages auprès des directions générales de la Commission et, ainsi, peser sur l'élaboration des textes. De même, l'intergroupe « Mers et Zones Côtières » du parlement européen joue un rôle central. Il réunit en effet de nombreux députés européens qui peuvent, eux aussi, influer sur les travaux des différentes commissions parlementaires. Car la grande faiblesse du maritime est d'être un secteur très transversal. Même s'il existe désormais un Commissaire européen et sa direction générale (DG MARE) qui, en plus de la pêche, s'occupe des Affaires maritimes, les grandes problématiques liées à la mer sont souvent traitées par d'autres Commissaires, comme ceux des Transports, de l'Environnement, de l'Emploi ou de la Concurrence. La DG MARE a donc un poids relatif sur de nombreuses questions. D'où l'intérêt de l'intergroupe Mers et Zones Côtières, créé suite aux pressions de la CRPM et actuellement présidé par Corinne Lepage. L'intergroupe compte une cinquantaine de députés qui, en outre, siègent dans les commissions thématiques du parlement européen. Au sein de l'intergroupe, ils définissent des stratégies et agissent ensuite par des prises de parole au parlement, des actions de lobbying politique et la présentation de projets d'amendement dans leurs différentes commission. « L'intergroupe sert de caisse de résonnance sur les questions maritimes et peut, clairement, avoir un impact sur le travail législatif du parlement dans le mesure où ses membres font partie des différentes commissions. Les parlementaires peuvent, ainsi, mettre l'accent sur telle ou telle question », explique Guillaume Huet, du bureau bruxellois des régions Bretagne, Pays de la Loire et Poitou-Charentes. La Commission européenne (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU) Un bureau interrégional à Bruxelles Depuis plusieurs années, les trois régions françaises se sont regroupées pour disposer, à Bruxelles, d'une représentation. Actuellement, 11 personnes y travaillent à plein temps. Des spécialistes chargés de décrypter les méandres de la nébuleuse administrative européenne et d'aider les instances régionales à mieux comprendre les rouages bruxellois pour y jouer un rôle, frapper aux bonnes portes et intervenir quand cela est nécessaire. En cela, la proximité géographique est devenue essentielle à l'heure où l'Europe préside sans doute plus que les Etats - même si les politiques nationaux entretiennent encore une certaine illusion auprès des populations - à l'avenir des pays de l'UE. Qu'on le veuille où non, aujourd'hui, le vrai centre de décision est bien là. Dans ces conditions, les régions veulent être au plus près des institutions européennes pour en connaître les acteurs, le fonctionnement, les tendances, le travail, les décisions et bien sûr les coulisses. Le bureau effectue notamment des actions de lobbying politique auprès de la Commission et des parlementaires, il décortique les textes des institutions européennes, joue un rôle d'information et d'alerte. Il intervient aussi en soutien des acteurs locaux, effectue une veille attentive sur les appels à projets ou encore se charge de relire et mettre en bonne forme les réponses à ces appels à projets. Car c'est tout un art de comprendre le langage européen, influer sur les politiques communautaires et rédiger des documents avec des mots et phrases clés, le tout en maniant un vocabulaire relativement inaudible pour le commun des mortels. Vues de loin, les institutions européennes font un peu penser aux 12 travaux d'Astérix, cette « maison qui rend fou », avec une incroyable complexité administrative, des bureaux, des divisions, des unités, des directions générales, la Commission, le parlement, le Conseil européen... Vues de près, c'est un peu la même chose... Mais, malgré cette complexité et la nécessaire maîtrise des us et coutumes de la « planète européenne », l'administration bruxelloise ne serait pas si fermée qu'on l'imagine. « Les fonctionnaires européens sont finalement assez ouverts. Il ne faut pas hésiter à aller les voir car ils sont demandeurs d'expertises et d'expériences concrètes venant du terrain », affirme Guillaume Huet. Dans le même temps, les régions, depuis Bruxelles, tentent aussi de sensibiliser les Etats membres du Conseil européen sur les enjeux maritimes. Ainsi, jeudi dernier, Christophe Clergeau a rencontré l'ambassadeur adjoint de la France auprès de l'Union européenne. « C'est aussi très important, en plus de notre travail auprès de la Commission et du Parlement, d'avoir un soutien au niveau étatique », explique le premier vice-président de la région Pays de la Loire. Lors de l'audition (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU) Les industriels entre nécessité du lobbying et besoin urgent d'actions concrètes Jeudi dernier, les délégations régionales venues à Bruxelles comprenaient, en dehors des représentants politiques territoriaux, des industriels. Pour les Pays de la Loire, des responsables de STX France, DCNS ou encore Neopolia (qui représente 145 entreprises) étaient notamment du voyage. Au cours de l'audition dans les locaux du parlement européen, certains ont pu s'exprimer. Jean-Rémy Villageois, de STX France, a insisté sur la capacité des chantiers européens à réaliser les navires du futur, des bateaux « sûrs, propres et économes », le « relais de croissance important » constitué par les EMR et la nécessité de plancher sur les processus d'industrialisation. « Nous travaillons et développons dès aujourd'hui les technologies de demain. Il faut mettre au point de nouveaux processus de fabrication, c'est la base de notre compétitivité et c'est ça qui permettra de créer de l'emploi », a-t-il dit. « Il faut considérer la construction navale comme une industrie d'avenir. Nous avons la capacité d'inventer, concevoir et réaliser des navires à forte valeur ajoutée. Et l'émergence des énergies marines renouvelables constitue une opportunité unique pour diversifier l'activité des chantiers navals » a affirmé pour sa part Jean-Claude Pelleteur. Le président de Neopolia a également insisté sur les besoins d'aide aux PME afin de développer, là aussi, de nouveaux processus industriels. De manière générale, les entreprises veulent être soutenues pour développer des projets concrets qui pourront, ensuite, leur permettre de conquérir de nouveaux marchés. « Malheureusement, les projets de R&D sont souvent axés sur des produits, de beaux bateaux. Mais il n'y a pas d'axe industriel », regrette Jean-Rémy Villageois. Le patron d'Ocea dénonce pour sa part l'attribution de certaines subventions : « On constate que les PME ne bénéficient pas des aides, qui partent vers de grands bureaux d'études qui ne créent rien, sauf les emplois dont ils ont besoin pour absorber les subventions européennes ». Roland Joassard s'interroge sur la notion même de compétitivité : « Innover pour l'avenir, d'accord. Mais nos emplois c'est aujourd'hui que nous les faisons vivre. Dans la modernisation de nos processus industriels, il y a des gisements énormes de productivité. Or, là, nous n'avons pas de soutien ». Un yacht réalisé par Ocea (© : OCEA) Navire tout électrique par STX France (© : STX FRANCE) « Un océan d'opportunités » Même s'ils sont conscients de l'intérêt de se rendre à Bruxelles afin de se faire entendre et peser sur les institutions européennes, les industriels souhaitent qu'au-delà des déclarations d'intention, des actions concrètes soient menées. D'autant qu'il est urgent d'appuyer la diversification des chantiers européens, dont beaucoup sont dans une situation très délicate. « Nous traversons quand même la pire crise depuis un demi-siècle. Or, si l'on regarde les politiques européennes récentes, beaucoup d'argent a été consacré pour la sauvegarde du monde financier, mais on a oublié la vraie économie. Depuis plusieurs années, on nous dit que notre secteur est face à un océan d'opportunités. C'est vrai qu'il y a beaucoup de choses à faire mais, si l'Europe veut avoir un rôle moteur sur certains développements, il faut une industrie navale forte et innovante. Tous les budgets publics sont très contraints, on ne va pas demander à revenir au système d'aides des années 80, mais il faut resserrer les efforts. Nous avons besoin des régions et de l'Europe, notamment dans le soutien à l'innovation pour nous permettre de développer des équipements intelligents et efficaces», souligne Reinhard Lüken, secrétaire général de Communauté des Associations de Chantiers Navals Européens (CESA). Alors que les carnets de commandes de nombreux industriels sont réduits et que la crise exacerbe la concurrence sur les marchés traditionnels, les entreprises réclament donc le soutien des pouvoirs publics afin d'opérer au plus vite leur diversification sur les nouveaux marchés. Le temps est en effet compté car, pour développer les technologies futures, encore faut-il que le tissu industriel et les compétences d'aujourd'hui soient encore là demain. Fondation d'éolienne offshore (© : STX FRANCE - BERNARD BIGER) Ferry propulsé au gaz (© : STX FINLANDE) Difficile coopération entre industriels européens Après l'audition, les industriels français ont pu s'entretenir avec leurs homologues européens, notamment au cours d'une rencontre à la Fondation de Galice. Les politiques essaient, en effet, de favoriser les échanges entre les acteurs des différentes régions. Car, pour remporter des appels d'offres européens, il est désormais nécessaire de créer des consortiums réunissant des acteurs de plusieurs pays. Et, de ce point de vue, ce n'est pas encore gagné. « Il y a une volonté de se rapprocher et de faire des choses ensemble mais la question est de savoir quoi et comment. Aujourd'hui, il y a beaucoup de belles paroles mais pas de stratégie », constate un participant. Si les acteurs industriels européens sont prêts à constituer un front uni pour faire entendre leur voix à Bruxelles et obtenir l'intégration du maritime dans la politique communautaire, l'émergence de projets internationaux concrets est beaucoup plus délicate. Car le secteur demeure très concurrentiel, y compris au sein même de l'UE, et tous les bassins d'emploi, touchés par la crise, ont en ligne de mire les mêmes potentiels de diversification, à commencer par les EMR. Dans un contexte hyperconcurrentiel et sachant que même si le gâteau est très gros, il n'y aura pas à manger pour tout le monde, la mise en commun des savoir-faire ou encore des travaux de R&D demeure pour le moment un voeu pieux. Sans compter que les coopérations internationales, si elles sont parfois possibles entre grands groupes, sont difficilement accessibles aux PME et PMI, dont les structures ne permettent souvent pas de se lancer dans de telles aventures, complexes, coûteuses, chronophages et potentiellement risquées. Le chantier de Monfalcone, en Italie (© : FINCANTIERI) Leadership 2015 et Waterborne, deux autres leviers d'action Au niveau des grands groupes, différentes initiatives ont été lancées ces dernières années pour fortifier l'industrie navale au niveau européen. Ainsi, Fincantieri, STX Europe et Meyer Werft, associés depuis 2003 au sein d'Intership, ont signé en 2005 la charte Leadership 2015. Ce programme, lancé à l'initiative de la CESA et financé pour moitié par l'Europe, vise à définir le futur d'une politique européenne en faveur de la construction et de la réparation navale. Dix ans plus tard, Reinhard Lüken estime que « Leadership 2015 doit être revisité pour adapter cette initiative à des perspectives nouvelles compte tenu des évolutions conjoncturelles ». La CESA assure également le secrétariat de Waterborne, l'une des 30 plateformes technologiques de l'Union européenne. Créée en 2005, cette initiative permet à tous les intervenants du secteur maritime de définir et de partager une vision commune et un agenda de recherche stratégique. Les membres de Warterborne s'intéressent notamment à la navigation hauturière et côtière, aux voies navigables, aux chantiers, à l'industrie nautiques, aux universités et organismes de recherche, ou encore aux sociétés de classification. Ils font entendre leur voix au moyen de diverses publications, qui sont notamment utilisées dans l'élaboration des programmes de recherche et développement nationaux, mais aussi par la Commission européenne pour définir les grandes lignes des programmes cadres de R&D. (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU) L'Europe commence à entendre Alors que les industriels, notamment les grands groupes, peuvent aussi s'appuyer sur Leadership 2015 et Waterborne pour défendre leurs intérêts, les PME et PMI vont tenter, même si cela n'est pas simple, d'oeuvrer afin de développer des liens entre les clusters des différents pays. Mais le secteur mise beaucoup sur l'implication politique des régions, ainsi que sur l'action du l'intergroupe Mer et Zones Côtières. Car la démultiplication des sources d'influence ne peut qu'augmenter la force des messages portés. Et, à la longue, cette action commence à trouver de l'écho auprès des institutions européennes. C'est en tous cas ce que l'on a pu se dire en entendant jeudi dernier Fabrizia Benini, chef d'unité à la DG MARE de la Commission européenne. « Il faut considérer l'industrie maritime comme un ensemble, avec des synergies. Nous devons prendre des mesures pour stimuler les activités et l'emploi dans ce secteur car les industries maritimes et les activités en mer contribuent à la croissance économique et constituent des potentiels d'emplois. Nous constatons de plus un regroupement des populations vers les zones côtières. Il faut donc apporter des perspectives en termes d'emploi à ces régions. Via la politique maritime intégrée, nous voudrions exploiter ces potentiels et, pour cela, nous avons identifié le tourisme, le nautisme, la construction navale et les énergies marines renouvelables », explique-t-elle. « La Commission se penche actuellement sur l'initiative Croissance Bleue. Il faut dresser le bilan du potentiel et de ce qui peut-être réalisé à l'avenir afin d'identifier les scénarios de croissance les plus prometteurs. Dans cette perspective, les fonds structurants européens représentent une grande opportunité, permettant d'investir dans les infrastructures et les industries. Les fonds consacrés à la recherche sont également très importants », note Fabrizia Benini, qui reconnait néanmoins que le passage à la pratique n'est pas toujours aisé : « Nous avons de très bonnes idées mais des difficultés à faire du concret ». Alors que beaucoup de monde s'active actuellement pour remettre le maritime au coeur des débats, la chef d'unité de la DG MARE prévient toutefois que, pour être efficace, il est impératif que les pouvoirs publics « rament » dans le même sens : « L'Europe, les Etats membres et les régions doivent travailler ensemble et dans la même direction pour que cela fonctionne. Il faut veiller à ce que les fonds régionaux de l'UE, ainsi que les efforts des Etats et des régions soient sur la même longueur d'onde afin d'attribuer les fonds aux bons industriels », souligne-t-elle. Message reçu par les régions et les industriels présents. En lien avec les Etats et les parlementaires, ils vont peaufiner leur plan de bataille et profiter des débats liés à la politique maritime intégrée pour faire entrer l'industrie maritime dans l'agenda européen et, plus particulièrement, dans le PCRD, d'où elle est jusqu'ici absente. « Il y a, cette année, un véritable créneau pour reprendre l'offensive, faire valoir nos intérêts et en ressortir des choses concrètes », assure Christophe Clergeau.

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