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Le groupe américain Carnival Corporation, leader mondial de la croisière, a signé il y a quelques semaines deux protocoles d’accord avec le constructeur italien Fincantieri et China State Shipbuilding Corporation (CSSC), le plus gros conglomérat chinois de chantiers navals. L’objectif de cette alliance est, expliquent les partenaires, d’étudier la création de sociétés communes dédiées à la construction de paquebots pour le marché chinois. Ce dernier connait en effet une très forte augmentation. Si les chiffres actuels ne sont pas très précis, avec entre 500.000 et 700.000 passagers chinois par an, pour un marché asiatique estimé à environ 1.5 million de croisiéristes, la croissance rapide de cette activité ne fait aucun doute. L’an dernier, l’Asian Cruise Association tablait sur près de 4 millions de passagers pour l’ensemble de la région d’ici 2020. Le ministère chinois des Transports se fixe pour sa part des objectifs encore plus ambitieux, soit  4.5 millions de Chinois dans 5 ans.

 

Les Chinois veulent leur part du gâteau

 

Pour absorber une telle hausse de fréquentation, il va falloir des navires. Or, si le marché a été lancé par les compagnies européennes et américaines, qui y déploient de plus en plus de paquebots, ainsi que par la vente à des armateurs locaux de vieux bateaux, les Chinois veulent maintenant leur part du gâteau. Quant aux Occidentaux, ils considèrent l’Asie comme le grand relais de croissance des prochaines années et savent bien qu’ils ne pourront s’y développer sans partenariat. D’où, par exemple, la création de sociétés communes, à l’image de SkySeaCruises, filiale de RCCL et Ctrip qui débutera ses opérations en 2015. Alors qu’une initiative de ce type n’aurait rien d’étonnant de la part de Carnival, le géant US a décidé d’opter pour une approche complémentaire avec la Chine, via cette collaboration en vue de construire le tout premier paquebot chinois. Dans le cadre des accords signés en octobre, Fincantieri, dont Carnival est le principal client, assisterait CSSC pour la mise en place d’un outil industriel capable de réaliser des navires de croisière, tout en fournissant différents services et équipements. Carnival, de son côté, collaborerait avec les chantiers chinois sur le concept, la définition et les spécifications du futur paquebot.

 

Un intérêt américain de longue date pour les chantiers asiatiques

 

L’intérêt de Carnival pour les chantiers asiatiques n’est pas nouveau. Dans les années 2000, déjà, on évoquait l’intérêt du groupe américain pour les constructeurs sud-coréens, qui souhaitaient se lancer sur le segment des navires à passagers. Malgré la perspective de prix très attractifs, aucune commande n’est toutefois intervenue. Peut être parce que la construction d’un paquebot, tant au niveau des exigences techniques que du management de projet, des délais de livraison et de la rentabilité est une affaire extrêmement complexe requérant de l’expérience et des savoir-faire très pointus. Carnival a néanmoins tenté l’aventure asiatique avec les Japonais, dont les chantiers étaient réputés plus techniques que leurs homologues coréens. Une initiative qui s’est soldée par un désastre économique pour Mitsubishi Heavy Industries, confronté à de lourdes pertes avec la réalisation des Diamond Princess et Sapphire Princess, livrés en 2004 à Princess Cruises, filiale de Carnival. Dix ans plus tard, l’histoire se répète avec une autre compagnie du groupe américain, l’Allemande AIDA Cruises, dont le nouveau fleuron, construit par MHI à Nagasaki, est en retard de six mois et plombe les comptes des chantiers nippons.

 

Evaluer sans risque les capacités des Chniois

 

A la lumière de ces projets chaotiques, la nouvelle alliance scellée en Chine peut présenter à terme un sérieux intérêt pour Carnival. Au-delà du renforcement de son implantation sur le marché local, l’armateur pourra sans prendre le moindre risque juger de l’aptitude des chantiers locaux à réaliser des paquebots. Il est clair que cela s’annonce comme un énorme challenge pour les Chinois, qui ne sont pas habitués à produire des navires aussi compliqués. Ils devront, pour y parvenir, monter techniquement en gamme et développer un vaste réseau de sous-traitants spécialisés. Des pré-requis qui vont prendre du temps et coûter beaucoup d’argent, ce qui n’est en fait pas un problème ici. Les chantiers sont en effet publics et peuvent donc être subventionnés à volonté, alors que le client sera lui aussi une compagnie nationale (ou une société commune), qui sera bien obligée de s’accommoder de probables retards. Les Chinois devraient donc essuyer tous les plâtres et, s’il n’est pour l’heure question que de navires destinés au marché asiatique, il est bien évident que Carnival pourra dans quelques années récupérer cet apprentissage à son propre compte. De fait, si CSSC parvient à faire ses preuves et atteint des standards suffisamment élevés, l’armateur américain aura toutes les raisons de lui confier des paquebots destinés à ses propres filiales.  Et, en parallèle, les Chinois pourront eux mêmes proposer leurs services à différents armateurs.

 

Maintenir l’avance technologique européenne

 

Avant d’en arriver éventuellement là, beaucoup de chemin reste encore à parcourir et, bien entendu, Fincantieri compte bien éviter un tel scénario, qui pourrait sérieusement ébranler les constructeurs européens. Comme tous les industriels occidentaux, le groupe italien mise logiquement sur le maintien de son avance technologique pour conserver ses parts de marché. Dans cette perspective, il est courant que les « royalties » perçues dans les pays à bas coût sur des technologies existantes soient  réinvesties en R&D afin de développer des produits plus modernes, efficients et compétitifs. Un cercle vertueux qu’il n’est toutefois pas évident de maintenir sur le long terme, surtout face à des Chinois qui apprennent de plus en plus vite. 

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