A priori, le scénario d'un blocage de la vente de STX France par l'Etat ne pourrait concerner que l’hypothèse Genting, repreneur dont personne ne souhaite dans l'Hexagone. Considéré comme un prédateur, le groupe asiatique se verrait probablement opposer un refus du gouvernement. La loi dite « Montebourg » qui permet en théorie d’empêcher la reprise d’une entreprise française considérée comme stratégique par des intérêts étrangers a souvent été mise en avant. Mais après mûre réflexion au sein des services de Bercy, elle semble en fait compliquée à mettre en œuvre dans le cas de STX France. Devant une cour arbitrale internationale, il serait par exemple difficile de justifier le blocage de la vente d’une participation déjà détenue par un groupe étranger, asiatique qui plus est. L’Etat peut, néanmoins, tenter cette carte, ne serait-ce que pour son effet dissuasif. Car, même si elle ne pouvait in fine être mise en œuvre, elle entrainerait un gel du processus de vente et une période plus ou moins longue de bataille juridique. Or, la Corée du sud est pressée d’en finir avec le dossier STX, d’autant que chaque jour qui passe, c’est un peu plus d’argent injecté à perte dans le groupe par les banques du pays. Le spectre d’une coûteuse opposition des autorités françaises pourrait donc inciter les Sud-coréens à privilégier les autres dossiers, même si les montants ne sont pas aussi élevés. Mais rien n’est évidemment gagné.
Le pacte d’actionnaire plus fiable
En dehors de la loi Montebourg, l’Etat à une autre arme à sa disposition et, pour celle-ci, il n’y a aucun doute quant à son efficacité. Il s’agit du pacte d’actionnaires conclu en 2008 lorsque STX a repris les chantiers nazairiens à la faveur de son OPA sur le constructeur norvégien Aker Yards, qui avait lui-même racheté les ex-Chantiers de l’Atlantique à Alstom deux ans plus tôt. Afin de protéger les intérêts de l’entreprise, l’Etat était entré à hauteur de 33.34% dans son capital et avait imposé dans le pacte d’actionnaires un droit de préemption sur les parts des Sud-coréens (66.66%) si ceux-ci étaient amenés à les vendre. Ce qui est donc aujourd’hui le cas, laissant à la France la possibilité d’activer cette clause indépendamment des décisions du tribunal de Séoul.
Une valorisation qui a sensiblement augmenté
Toutefois, si l’Etat préempte les parts de STX, il devra les racheter au prix de l’offre retenue par le juge coréen, qui sera probablement la plus élevée. Le montant n’est pas connu mais on sait que la valorisation de STX France, dont le carnet de commandes a explosé en deux ans, a significativement augmenté. Car la valeur du chantier, au-delà du critère traditionnel des performances économiques, fluctue aussi avec sa visibilité industrielle, aujourd’hui très importante. Mais une entreprise a surtout la valeur que ses repreneurs potentiels lui donnent en fonction de l’intérêt stratégique qu’elle représente. Or, STX France suscite de réelles convoitises, avec la présence de trois solides candidats, dont un, Genting, capable de mettre beaucoup d’argent sur la table. Au-delà de ses énormes capacités financières, le groupe asiatique a en effet une occasion unique de s’offrir l’outil idéal lui permettant de développer en propre les flottes des compagnies de croisière qu’il possède et dont la rentabilité permet un meilleur amortissement.
Par conséquent, lorsque l’on évoque la valeur de STX France, on ne parle plus en dizaines de millions d’euros, comme en 2014, mais plutôt en centaines de millions.
Rachat au même prix que l’offre bloquée
Si l’Etat était amené à user de son droit de préemption, il deviendrait immédiatement propriétaire à 100% du chantier. La perspective d’une nationalisation ayant toujours été rejetée de Matignon à Bercy, il conviendrait ensuite de vendre les anciennes parts sud-coréennes, en toute logique le plus rapidement possible. Mais à quel prix ? C’est toute la question, sachant que le montant dépendrait logiquement de celui de l’offre présentée par Genting. Or, si celle-ci est trop élevée, elle peut rendre caducs les projets de Fincantieri et du trio Damen/MSC/RCCL.
Plusieurs scenarii possibles
Dans ce cas, soit les candidats réévaluent leurs offres, soit ils jettent l’éponge, ou bien on assiste à une réorganisation des tours de table, avec l’arrivée de nouveaux acteurs, comme DCNS, susceptibles d’apporter le complément nécessaire. Dans le pire des cas, c’est-à-dire si tout le monde se retire, le groupe naval, dont l’Etat détient 65% aux côtés de Thales (35%), pourrait être sollicité avec d’autres organismes, comme la Caisse des Dépôts ou encore la BPI, pour reprendre les parts préemptées par l’Etat. Il n’y aurait néanmoins pas forcément urgence, les pouvoirs publics pouvant décider de se donner un peu de temps. Et, si le dossier devient trop complexe, les échéances électorales de 2017 pourraient s’inviter dans le processus, avec une perspective séduisante : laisser le problème être géré par le prochain gouvernement, quel qu’il soit. Dans l’attente, Saint-Nazaire resterait de facto une entreprise nationalisée.