C’est fait. Le groupe asiatique Genting a annoncé hier le rachat du groupe allemand Nordic Yards, qui compte trois chantiers à Wismar, Warnemünde et Stralsund. Le montant de l’opération est annoncé à 230.6 millions d’euros. Cette reprise vient s’ajouter à celle de Lloyd Werft, à Bremerhaven, dont Genting a pris le contrôle l’an dernier. Le groupe indique que le rachat de ces chantiers va lui permettre de réaliser sa stratégie globale de développement à long terme. Il compte, notamment au cours des 10 prochaines années, réaliser de nouvelles unités pour ses trois filiales spécialisées dans la croisière : Crystal Cruises, Dream Cruises et Star Cruises.
Saturation des constructeurs traditionnels
Une décision directement liée à la saturation des grands constructeurs traditionnels de paquebots, Meyer Werft (Allemagne et Finlande), Fincantieri (Italie) et STX France devant réaliser d’ici 2022 une cinquantaine de navires. « La croissance rapide de l’industrie de la croisière dans le monde, en particulier en Chine, conduit à avoir un carnet de commande élevé en permanence. Afin de veiller à ce que le groupe puisse construire le nombre requis de navires dans la prochaine décennie afin de poursuivre l’expansion de sa flotte, il était stratégique d’acquérir des chantiers capables de réaliser nos navires dans les temps impartis et de manière rentable », explique Tan Sri Lim Kok Thay, président de Genting Hong Kong.

Le futur Genting Dream (© : MEYER WERFT)
L’Europe préférée à l’Asie
Avec désormais quatre chantiers en Allemagne, Genting, via sa filiale Lloyd Werft (à laquelle vont être rattachés les anciens sites de Nordic Yards), présentera la particularité d’être à la fois armateur et constructeur. Et il va devenir l’un des poids lourds de la réalisation de paquebots. Une situation que les industriels européens regardent évidemment de près. « Nous commençons à être serrés en Europe en matière de capacités et Genting peut devenir un concurrent », reconnaissait récemment le patron de STX France, interrogé sur la question par Mer et Marine. Toutefois, relevait Laurent Castaing, le fait que l’Europe attire malgré le manque de commandes que connaissent les chantiers asiatiques, à commencer par les chinois, est un signe positif : « Nous observons la volonté de certains acteurs de ne pas aller en Asie, où il y a des capacités mais pas l’environnement spécifique à la construction de paquebots ». En ce sens, le choix de Genting est d’autant plus remarquable. Alors que même le Japonais Mitsubishi, pourtant « très compétent », a vu la construction des deux paquebots d’AIDA Cruises tourner au désastre financier, Tan Sri Lim Kok Thay, qui connait bien l’Allemagne pour y faire construire des bateaux depuis la fin des années 90, joue la carte de la confiance : « Avec tous les chantiers situés en Allemagne, un pays bénéficiant d’une longue tradition d'efficacité et de grande qualité dans la construction de navires de croisière et méga-yachts, le groupe Lloyd Werft va compter environ 1700 ouvriers et managers expérimentés. Il est bien placé pour devenir l’un des meilleurs dans le monde sur ce marché. L’Allemagne est aussi là où l’on trouve le plus grand réseau de fournisseurs d’équipements marins alors que la coordination par le gouvernement des politiques maritimes est excellente ».

Futur paquebot de Crystal (© : CRYSTAL CRUISES)
Un vaste plan de développement en perspective
Le conglomérat malaisien, dont la tête de pont se situe aujourd’hui à Hong Kong, a en tous cas clairement décidé de se développer massivement dans la croisière. En plus de Star Cruises (six navires), lancée en 1993 et devenue un acteur majeur du marché en Extrême-Orient, Genting a racheté l’an dernier à l’armement nippon NYK la compagnie de luxe Crystal Cruises, axée sur le marché américain. Forte de deux paquebots, dont le Crystal Serenity, sorti de Saint-Nazaire en 2003, elle va bénéficier de trois nouvelles unités de 100.000 GT et 1000 passagers qui seront réalisées en Allemagne, la mise en service de la tête de série étant prévue fin 2018. Crystal se lance également sur le marché des croisières fluviales de luxe, quatre navires de 84 à 110 passagers allant sortir de Lloyd Werft en 2017. Une troisième branche a également été créée sur le segment des yachts de croisière avec la refonte d’un premier bateau, le Crystal Esprit (ex-Megastar Taurus de Star Cruises). Enfin, la compagnie travaille sur la remise en service de l’ancien liner américain SS United States.
Meyer Werft va perdre un client
Si Genting, via Star Cruises, s’est désengagé de l’armement américain NCL, qu’il avait repris en 1999 et dont il ne possédait plus en 2015 que 28%, le groupe a créé une nouvelle compagnie haut de gamme spécialement dédiée au marché asiatique. Dream Cruises recevra son premier paquebot, le Genting Dream (151.300 GT et 3300 passagers), en octobre prochain. Quant à son sistership, le World Dream, il sortira fin 2017. Ces deux navires sont réalisés à Papenburg par Meyer Werft, qui va donc perdre un client.

Le chantier de Warnemünde (© : NORDIC YARDS)
150.000 tonnes d’acier par an
Car avec ses quatre chantiers allemands, Genting pourra construire l’ensemble de la gamme de navires dont ont besoin ses filiales, du grand paquebot au bateau fluvial, en passant par les yachts d’expédition. A eux seuls, Wismar, Warnemünde et Stralsund - dont le cœur de métier actuel réside dans les navires à passagers, les bateaux polaires et les énergies marines - ont une capacité de production annuelle de 150.000 tonnes d’acier. De quoi, selon Genting, qui compte investir dans la modernisation de l'outil industriel, « réaliser un certain nombre de paquebots et un méga-yacht par an ».
- Plus de détails sur Nordic Yards dans notre précédent article sur la reprise par Genting