Le milieu de la croisière était hier matin quelque peu fébrile, et dubitatif, suite à une information parue chez l’un de nos confrères. Après l’annonce mardi de la commande par Royal Caribbean International d’un cinquième paquebot de la classe Quantum chez Meyer Werft, ceux-ci se posaient la question de savoir s’il n’en serait pas de même avec la série des Oasis, dont les troisième et quatrième exemplaires sont en construction à Saint-Nazaire. « C’est tout à fait plausible », assure le journal en question, qui s’est probablement un peu vite avancé.
Aucun commentaire n’est en tous cas sorti de chez RCI et STX France, pour la bonne et simple raison que l’armateur américain comme le chantier français n’en savent encore rien.
Pas de livraison possible avant 2021
Alors que l’Harmony of the Seas (A34) sera livré en avril 2016 et son sistership (B34) au printemps 2018, l’hypothétique commande à Saint-Nazaire d’un navire supplémentaire ne verrait pas sa livraison avant 2021. Car, d’ici là, le chantier français n’a pas la place de construire un mastodonte de cette taille (362 mètres de long, 227.700 GT, 2700 cabines). Les cales de STX France sont en effet occupées par le B34, mais aussi, avant et après lui, par le MSC Meraviglia (E34, 315 mètres, 167.700 GT, 2250 cabines), livrable au printemps, et son premier jumeau (F34), dont la mise en service est prévue au printemps 2019. Et il y aura aussi à construire les deux premières unités du projet Edge de Celebrity Cruises (300 mètres, 117.000 GT, 1450 cabines), livrables à l’automne 2018 et début 2020.
En dehors de ces commandes fermes, il faut par ailleurs compter avec les options, soit deux pour MSC Cruises (livraisons des Meraviglia 3 et 4 en 2020 et 2022) et une pour Celebrity (l’Edge 3 serait livré en 2022) en attente de confirmation.
Un slot très convoité
Le seul slot encore disponible dans les six prochaines années pour un gros paquebot se situe donc en 2021. Mais bien malin celui qui peut savoir aujourd’hui à quel armateur il bénéficiera et pour quel type de navire il sera utilisé. Cette place est en effet très convoitée du fait du remplissage des formes de construction dans les différents chantiers européens. Une situation qui oblige d’ailleurs les armateurs à anticiper plus en amont, actuellement, leurs investissements, pour tenir compte du rallongement des délais de livraison. RCCL, maison mère de RCI et Celebrity Cruises, fait évidemment partie des candidats naturels à ce slot. Mais le groupe américain n’est pas le seul. On peut ainsi imaginer que MSC Cruises s’interroge sur ses options et l’éventuelle accélération de son plan de développement. Cela pourrait potentiellement conduire la compagnie italo-suisse à avancer d’un an la réalisation du quatrième Meraviglia, aujourd’hui prévu pour 2022. On sait aussi que NCL travaille déjà sur sa prochaine génération de paquebots, l’armateur américain envisageant des unités plus grosses que les Breakaway Plus (326 mètres, 164.600 GT, 2174 cabines), dont il vient de réceptionner auprès de Meyer Werft la tête de série et attend la sortie de ses trois sisterships en 2017, 2018 et 2019. L’armateur américain, à l’occasion de l’inauguration fin octobre du Norwegian Escape, a clairement parlé de 2021 pour un prochain prototype. Et, si chez NCL on semble vouloir continuer de collaborer avec les chantiers allemands ou leur filiale finlandaise, STX France constitue toujours une alternative. On peut d’ailleurs imaginer que le constructeur français, qui a déjà travaillé pour ce client (Norwegian Epic en 2010), se positionne pour le faire revenir à Saint-Nazaire.
Oasis : Un design qui aura déjà bien vécu
Quant à Royal Caribbean, toute la question est de savoir si la compagnie a intérêt à prolonger encore la série des Oasis. Car, en 2021, ce design aura déjà bien vécu puisque développé à partir de 2006 (lancement du projet Genesis) pour une mise en service de l’Oasis of the Seas en 2009. Or, depuis la fin des années 80, l’écart entre la livraison d’un prototype et celle d’un dernier de série n’avait jamais, chez RCCL en particulier, dépassé les quatre ans. Ce sera donc la première fois, avec Oasis et Quantum, que ce délai sera dépassé, soit neuf ans entre les Oasis 1 et 4, et six ans entre les Quantum 1 et 5. Des durées qui posent déjà des interrogations quant à la capacité de l’armateur à conserver son leadership et son image de compagnie avant-gardiste et novatrice. Evidemment, une plateforme géante comme celle des Oasis offre des possibilités d’évolutions, mais on voit bien avec l’Harmony of the Seas qu’il n’y a pas de révolution à attendre. Et, même si le quatrième de la série est légèrement différent, on peut se demander si, en 2018, l’effet de mode d’un concept déjà vieux d’une décennie ne sera pas un peu dépassé et continuera de séduire la clientèle, du moins sur le marché occidental. Certes, il y a le marché chinois et RCCL, qui a choisi dès cette année d’y lancer le Quantum of the Seas (livré en octobre 2014), pourrait bien y positionner l’Oasis 4. Mais tout de même, à partir de 2020, il faudra bien que la compagnie réagisse aux nouvelles générations de paquebots lancées par ses concurrents, à commencer par NCL et le groupe Carnival. Surtout que l’actuelle course aux innovations a tendance à rendre les standards des grands navires plus rapidement « dépassés ».
Le dilemme
Voilà donc tout le dilemme auquel est probablement confronté RCCL : capitaliser au maximum sur le design de l’Oasis - qui rencontre depuis sa mise en service un fort succès - mais risquer alors une certaine lassitude de la clientèle malgré les évolutions. Ou prévoir, ce qui serait le plus logique, un navire de nouvelle génération inaugurant la prochaine décennie de manière spectaculaire, en respectant son crédo basé sur l’effet « Wow ». On notera enfin que si la solution d’un paquebot différent est retenue, le calendrier sera plus contraint que pour un bateau « répétitif ». Ainsi, on estime aujourd’hui qu’il faut, compte tenu de l’importance de la phase d’études, quatre bonnes années entre la commande et la livraison d’un prototype de très grande taille.