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La Société Nationale de Sauvetage en Mer a signé hier, à Paris, le contrat de conception et de réalisation de sa future flotte. Comme annoncé en juillet dernier, celle-ci est confiée à un maître d’œuvre unique : le chantier Couach de Gujan-Mestras, en Gironde.

Le contrat, d’une durée de 10 ans, comprend une tranche ferme de cinq ans portant sur la réalisation de 35 bateaux pour un montant de 25 millions d’euros, et une tranche optionnelle similaire. Soit en tout 70 canots, vedettes, semi-rigides et pneumatiques et autres jet-skis pour un investissement fixé à 50 millions d’euros. Toutefois, la SNSM souligne que cela ne représente que la moitié de ses besoins pour le renouvellement de ses moyens : « Dans la mesure où les finances de la SNSM le permettraient, le contrat prévoit la mise à disposition de la SNSM d'une capacité industrielle de production lui permettant de satisfaire l'ensemble de ses besoins de renouvellement, à savoir 140 bateaux sur 10 ans », explique l’association, qui évalue la facture totale de ces 140 unités à 100 millions d’euros.

 

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© COUACH BARREAU-NEUMAN

La nouvelle gamme avec ses six modèles (© : COUACH BARREAU-NEUMAN)

 

Standardiser les moyens et trouver des solutions de financement

Avec ce projet, la SNSM change radicalement son approche en matière de constructions neuves. Historiquement, elle commandait ses moyens de sauvetage à différents chantiers, au gré de ses besoins,  de ses ressources financières et de leur provenance, sachant qu’environ 75% du financement est réuni par les stations via les dons et le soutien des collectivités locales. Un modèle qui se heurte au fait qu’il faut remplacer à brève échéance l’essentiel des canots tous temps (CTT) et de nombreuses vedettes en fin de vie. D’où l’idée de la SNSM de profiter de cette masse de bateaux à renouveler pour standardiser la flotte. Et trouver un maître d’œuvre unique afin de réduire les coûts et solutionner les problématiques financières liées à son statut d’association, qui ne peut emprunter et donc lancer une politique d’acquisition en série sur le long terme. En confiant à un seul acteur toute la future flotte, il s’agit de donner à l’industriel une visibilité importante et la possibilité de trouver des solutions de financement. Pour la SNSM cela permettra aussi d’homogénéiser un outil nautique aujourd’hui très disparate (19 modèles principaux), avec des gains financiers significatifs attendus, tout en facilitant la formation des sauveteurs et la logistique liée à la maintenance. « La responsabilité du maître d’oeuvre unique couvre, pour tous les navires de la gamme, l’architecture navale, la conception, la réalisation, les essais et validations, la livraison, la formation, le soutien en vue du maintien en condition opérationnelle, cela dans le cadre d’une obligation de résultats. Le choix d’un chantier, de niveau industriel, assure également à la SNSM une capacité et une flexibilité de production, adaptée à ses besoins, mais aussi à ses contraintes budgétaires, tout en lui offrant une visibilité sur une période de 10 ans, en termes de qualité, prix et délais », explique l’association et les industriels retenus.

Six nouveaux types de bateaux

Choisi à l’issue d’une procédure de dialogue compétitif, Couach s’est allié sur ce projet  avec les architectes Frédéric Neuman et Christophe Barreau. Le premier avait pour mémoire travaillé en 2017 avec la SNSM sur une étude préliminaire qui avait permis de définir les besoins fonctionnels des sauveteurs et la structuration en gamme des futurs moyens nautiques de l’association. 

Cette gamme comprendra six types de bateaux : Il s’agit des Navires de Sauvetage Hauturiers de première classe (NSH1) d’environ 17 mètres taillés pour la haute mer et les conditions les plus difficiles, ainsi que les Navires de Sauvetage Hauturiers de seconde classe (NSH2), longs de 14.5 mètres et plutôt conçus pour des interventions dans toutes les zones nécessitant une grande flexibilité de manoeuvre (cailloux, faible fonds, zones côtières,...) ou présentant des contraintes importantes d’accueil (port, abri) ou de mises en oeuvre (zones de marnage).

 

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© COUACH - NEUMAN & BARREAU

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© COUACH - NEUMAN & BARREAU

 

Regroupées dans la même catégorie, les quatre autres embarcations sont dédiées aux opérations proches du littoral, avec un seul modèle de vedette, le Navire de Sauvetage Côtier de première classe (NSC1), qui mesurera 11.7 mètres et pourra atteindre 28 noeuds. Ce NSC1 deviendra le moyen principal des stations à vocation côtière.

S’y ajoutent deux types de semi-rigides transportables par voie routière, le NSC2, embarcation de 8.5 mètres dotée d’une timonerie pouvant intervenir jusqu’à 12 milles au large, et le NSC3 de 6.4 mètres déployable depuis une plage. Enfin, pour les interventions en zones de plages il y aura des pneumatiques (IRB) de 3.8 mètres et des jet-skis, regroupés dans une dernière catégorie, nommée NSC4.

 

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© COUACH - NEUMAN & BARREAU

 

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© COUACH - NEUMAN & BARREAU

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© COUACH - NEUMAN & BARREAU

 

 

La première tranche ferme du contrat signé hier devrait comprendre 20 NSH et 50 NSC. 

L’outil industriel de Couach et la réussite du contrat saoudien ont séduit

Bien que n’ayant jamais travaillé avec le trio Couach-Neuman-Barreau, la SNSM a été notamment séduite par les capacités industrielles du constructeur girondin, spécialisé dans les matériaux composites. Il s’est notamment distingué en parvenant à livrer en un temps record pas de 79 intercepteurs de 16.5 mètres à l’Arabie Saoudite. Après la signature du contrat en juillet 2015, la tête de série a été livrée en juillet 2016 et le soixante-dix-neuvième deux ans plus tard, à l’été 2018, conformément au planning initialement prévu et sans aucune remarque du client, malgré un double processus très strict de contrôle. Un tour de force qui a probablement pesé lourd dans la balance pour une association qui s’est régulièrement plainte des retards de certains de ses chantiers historiques.

 

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© COUACH

L'un des 79 intercepteurs livrés entre 2016 et 2018 (© : COUACH)

 

Une unité de production dédiée à Gujan-Mestras

Le chantier Couach de Gujan-Mestras, 200 salariés, implanté sur le bassin d’Arcachon depuis 1897 et qui voit là son carnet de commandes se remplir opportunément dans une période semble-t-il assez calme en termes de charge, produira les NSH1, NSH2 et NSC1. Il va pour cela mettre en place une unité de production de 2000 m² dédiée à la SNSM permettant de livrer jusqu’à 16 bateaux de ces trois types chaque année. Pas de quoi cependant nourrir suffisamment le constructeur, dont les capacités industrielles seront très loin d’être saturées avec ce seul programme et qui a donc impérativement besoin de garnir son carnet de commandes avec de nouveaux contrats. Il est notamment en lice sur des projets militaires en France et à l’export, et travaille également dans le secteur de la grande plaisance, ayant ces dernières années produit des yachts jusqu’à 50 mètres.  

 

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© DR

La SNSM au chantier de Gujan-Mestras (© : COUACH)

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Organisation de la production des NSH1, NSH2 et NSC1 (© : COUACH)

 

Les semi-rigides chez Zodiac-Nautic

Couach n’a cependant pas de compétence dans les semi-rigides et pneumatiques. Il va donc les sous-traiter à des fournisseurs spécialisés, à commencer par Zodiac-Nautic. Ce qui lui permet dans ce cas de rester en « famille » puisque la célèbre entreprise française a été sauvée en 2015 par un groupe de repreneurs comprenant Florent Battistella, fondateur de Nepteam, qui a l’année de sa création, en 2011, repris Couach. Le groupe possède aussi les chantiers de réparation de yachts IMS Shipyard de Saint-Mandrier, et vient de créer une société commune avec Atlantic Refit Center pour développer cette activité à La Rochelle.

Pour en revenir à Zodiac-Nautic (à ne pas confondre avec Zodiac Milpro, les deux entreprises étant séparées depuis 2012), les NSC2 et NSC3 seront des modèles de la nouvelle ligne AKA, lancée cette année par Z-Nautic pour compléter les trois marques existantes (Bombard, Zodiac et Avon) avec une quatrième composée de produits dédiés aux professionnels et répondant notamment à la division 222 des Affaires maritimes. Les NSC2 et NSC3 seront assemblés par le site Z-Nautic d’Ayguevives, en Haute-Garonne, où une unité de production dédiée va également être aménagée.

Etudes détaillées à mener avant la construction

Après la signature du contrat cadre entre la SNSM et Couach, il va falloir maintenant à la phase de conception détaillée, puis de réalisation, d’essais et de validation des prototypes de chaque bateau, avant de lancer la production en série. « En étroite collaboration avec les architectes navals Barreau-Neuman, les ingénieurs R&D et Bureau d’Etude de Couach développeront les navires de la nouvelle flotte de la SNSM. Plus de 30.000 heures d’étude sont prévues pour optimiser l’ensemble des caractéristiques et des performances des navires. Sont prévues des Plateaux Etude, avec l’Equipe Programme de la SNSM, pour appréhender et optimiser les aspects : cohérence de gamme, tenue à la mer, ergonomie, architecture réseaux, gestion des situations dégradées. Les capabilités et outils de conception du cabinet d’architecture navale et du chantier, tels que calcul par éléments finis, modélisation, prédiction de performance, ainsi que l’expertise du chantier sur les matériaux composites permettront de dessiner les navires répondant aux exigences de la SNSM », assure l’association, qui assure la maîtrise d’ouvrage du programme.

Premières livraisons en 2021

Pour chaque tête de série, des essais technico-opérationnels sur une période de trois mois seront réalisés par un certain nombre de stations et le Pôle de Formation de la SNSM. La réception par l’association de chaque tête de série sera le jalon contractuel permettant de lancer la construction des unités suivantes. En matière de calendrier, on prévoit désormais des livraisons « en début d’année 2021 » pour le premier modèle hauturier (NSH1), un mois plus tard pour le premier modèle côtier (NSC1) et deux mois plus tard le NSH2. Sur le même principe, les têtes de série des NSC2, NSC3 et NSC4 sont prévues pour être livrées de huit à douze mois après le début des travaux.

L’art difficile du compromis

Ce concept de gamme homogène déclinée en six modèles est le fruit d’un compromis forcément complexe entre la volonté de standardiser la flotte et les besoins exprimés comme les contraintes locales spécifiques des différentes stations métropolitaines et ultramarines de la SNSM. Il y en a en tout 213 et pas moins de 8456 bénévoles, avec inévitablement des avis divergents. Parmi les stations contactées par Mer et Marine, certaines sont vent debout contre le choix du siège, alors que d’autres le soutiennent pleinement. Difficile en tous cas de satisfaire tout le monde.

Des options pour adapter les modèles de base

On notera que si la nouvelle gamme s’appuie sur des modèles précis, il y aura tout de même la possibilité de customiser partiellement les bateaux : « Pour répondre à la diversité des zones et conditions d'intervention et aux pratiques locales des sauveteurs, les navires de la Nouvelle Flotte prennent en compte, dès leur conception, la capacité d'intégration d'un certain nombre d'options. Le spectre va d’options majeures (matériau de coque en composite ou aluminium, système de propulsion avec ligne d’arbre ou hydrojet) à des options d’installations ou de moyens opérationnels associés (dispositifs de transport et mise et l’eau, propulsion hybride) ou d'équipements complémentaires (groupe électrogène, caméra infrarouge, panneaux solaires, réalité augmentée…) » La caméra thermique permet de faciliter la recherche d’une personne à la mer, mais aussi de sécuriser certaines manoeuvres de nuit, alors que la réalité augmentée est prévue pour aider le barreur du bateau de sauvetage via la projection de données sur les vitres de la timonerie.

Mise en œuvre de drones aériens

Par ailleurs, les navires hauturiers et le premier navire côtier seront adaptés à la mise en oeuvre de drones aériens. Ces engins, pour lesquels des expérimentations ont déjà débuté dans certaines stations, pourront aider les sauveteurs dans le secours aux naufragés, en élargissant les capacités de recherche ou encore en faisant une reconnaissance sur une zone de navigation dangereuse. Les drones pourraient aussi transporter et larguer une bouée auto-gonflable auprès d'une personne à la mer avant l’arrivée des secours, voire servir au déploiement d'une ligne pour mettre en place une remorque sur un navire à secourir.  

Un coût élevé mais qui ne se limite pas à l’achat de bateaux

En matière de coûts, l’enveloppe annoncée parait de prime abord assez élevée, par exemple le prix avancé des NSH1, d’environ 1.9 million d’euros, contre près d’1.5 pour les derniers canots tous temps de nouvelle génération (CTT NG) produits par le chantier breton Sibiril (trois déjà livrés, les deux derniers en 2020). La SNSM affirme que cette différence s’explique par le fait que le coût ne tient pas uniquement compte du prix de la conception et de la réalisation. Il y a aussi des aspects liés à la maintenance : « En complément de leur respect des règlementations liées à leur sécurité, les navires seront conçus, construits, livrés avec plans de formation et de maintenance définis, et surveillés conformément aux règles et standards, internationalement reconnus, d’une société de classification agréée et reconnue par le ministère français chargé de la Marine marchande, le Bureau Veritas. La volonté de la SNSM a été de contractualiser avec un chantier industriel, appliquant des procédures qualité rigoureuses et transparentes, répondant à ses exigences en matière de maîtrise qualité, coûts et délais, mais aussi d’assurance qualité fournisseurs, de documentations, de gestion de configuration des navires, de suivi des risques d’obsolescences et de service après-vente ». Il sera intéressant de voir à l’usage comment va se mettre en place cette nouvelle politique liée à la maintenance. La question est en particulier de savoir si le siège de la SNSM a, au travers de cette dimension, la volonté d’en finir avec une gestion trop locale des réparations. Et de pratiques qui, aux dires même de chantiers historiques de la SNSM, se traduisent parfois, peut-être par manque de compétences au sein de certaines stations, par des « bricolages  hallucinants ». Avec à la clé des problèmes de conformité et, pire, éventuellement de sécurité conduisant à de potentiels accidents.  

Après le drame des Sables, l’Etat va-t-il enfin faire un gros effort ?

Quoiqu’il en soit, l’arrivée d’une nouvelle génération de bateaux est une nécessité pour la SNSM, qui aligne aujourd’hui 450 embarcations de tous les types, dont une quarantaine de canots tous temps. Il s’agit de ses principaux navires, ceux qui vont au large dans les pires conditions météo. Or, le gros de ces bateaux a été construit ils y a une trentaine d’années, grâce à un fort soutien public qui suivi le drame de l’Aber Wrac’h, dans lequel 5 sauveteurs sont morts en 1986 après que leur vieux canot en bois se soit fracassé sur les rochers lors d’une opération de secours. Il reste maintenant à voir si l’Etat, après le récent drame des Sables d’Olonne qui avait entrainé un déplacement présidentiel et de nombreuses promesses, va comme à l’époque se mobiliser enfin. Le prochain Comité interministériel de la mer (Cimer) le dira. Car cela fait des années que la SNSM tire la sonnette d’alarme sur son incapacité financière à renouveler ses moyens vieillissants, sachant que 45% de sa flotte a plus de 20 ans, 15% ayant même dépassé les 30 ans.

L’insoluble équation financière

Sur le plan financier, l’équation devient en effet insoluble pour l’association. Le budget de fonctionnement de la SNSM, qui compte 213 stations en France métropolitaine et Outre-mer, s’appuyant sur plus de 8000 bénévoles et seulement 80 salariés, est de 32 millions d’euros. A cela s’ajoute le budget d’investissement, c’est-à-dire les sommes mobilisables pour le renouvellement des moyens. Pour répondre aux besoins actuels, il faut 12 millions d’euros par an dans les années qui viennent (correspondant aux 140 bateaux en 10 ans). Une somme que la SNSM est parvenue, grâce à d’importants legs, à obtenir pour 2019. Mais, généralement, l’association arrive péniblement à en réunir la moitié et, l’an dernier, ses comptes étaient tellement exsangues qu’elle n’a pu mobiliser que 4 millions d’euros pour se moderniser. La situation est d’autant plus délicate que la SNSM dépend financièrement à 80% de ressources privées, générosité du public et dons des entreprises, par définitions variables. Alors que les collectivités locales aident les stations à acquérir de nouveaux moyens, mais voient leurs budgets de plus en plus contraints, l’Etat a relevé son niveau annuel de subvention, passé en 6 ans de 1.8 million à 6 millions. Il y a certes du progrès de ce point de vue, mais cette somme demeure dérisoire, surtout au regard de la mission de service public accomplie par l’association, dont le travail des bénévoles est valorisé à plus de 40 millions d’euros. Autant d’argent que la puissance publique économise sur une mission pourtant régalienne.

 

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