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Le net ralentissement des échanges mondiaux a entrainé un effondrement global des commandes de navires. Elles ont atteint en 2016 l’un de leurs plus bas niveaux historiques, équivalent à celui de 2009, pendant la dernière grande crise financière et économique, qui avait elle-même ramené la navale mondiale aux basses eaux de la fin des années 80 et du début des années 90. « On se souviendra de 2016 pour la quasi-extinction des commandes de navires neufs et la chute libre des prix des très rares commandes qui ont toutefois été placées. L’ensemble du marché du shipping est sous pression et de larges pans de la construction navale sont maintenant menacés de contraction, voire d’élimination, alors qu’un certain nombre d’armateurs luttent pour leur survie », explique le courtier Barry Rogliano Salles, qui vient de publier son rapport annuel sur l’état du marché.

En 2015, BRS avait estimé que pour assainir un marché victime d’une surcapacité flagrante, consolidation et rationalisations n’étaient plus suffisantes, il fallait « éliminer ». « C’est ce qui s’est finalement passé », indique Tim Jones, président de BRS, qui note que, derrière la fin très médiatisée de l’armement sud-coréen Hanjin Shipping, une quinzaine d’autres liquidations sont intervenues l’an dernier dans le shipping, contre une poignée en 2015.

La libéralisation des échanges atteint ses limites? 

La surcapacité est notamment liée à la frénésie de commandes que les armateurs ont eue juste avant la crise de 2008. En 2007, un record avait été atteint avec près de 250 millions de tonnes de port en lourd commandés (contre un peu plus de 150 Mtpl en 2006, constituant déjà un record), l’emballement se poursuivant sur la première partie de 2008. Or, si une partie des contrats a été annulée et beaucoup de constructions retardées après négociations, un nombre considérable de navires est finalement entré en flotte entre 2009 et 2013.  La situation économique internationale s’est ensuite améliorée, la baisse des prix des chantiers ré-entrainant une poussée de commandes à partir de 2013. Mais la reprise du commerce mondial n’a finalement pas été au rendez-vous, la demande se contractant du fait de différents facteurs : recentrage de l’économie chinoise sur son marché intérieur, émergence de circuits courts remettant en cause le fractionnement géographique de la chaîne de production, regain de protectionnisme dans différents pays, dégradation de l’environnement géostratégique… Certains économistes estiment que la libéralisation des échanges pourrait être en train d’atteindre ses limites.

Toujours est-il que, face à cet environnement très difficile, il y a bien trop de navires en service et la concurrence exacerbée que se livrent les opérateurs a entrainé d’abord une vague de restructurations et de consolidations, avant de faire des victimes. Dans ce contexte, afin de réduire une flotte marchande trop nombreuse, les démolitions de navires sont reparties à la hausse en 2016 (plus de 40 millions de tpl). Avec des unités de plus en jeunes à partir au ferraillage, à l’image de l'India Rickmer, porte-conteneurs de 4500 EVP envoyé à la casse fin 2016 à l’âge de 7 ans seulement.

Réduction drastique des capacités asiatiques

Conséquence directe des déboires du secteur maritime et de la crise que traverse l’industrie offshore depuis la chute du prix du pétrole, les capacités de construction navale, bien trop importantes, se réduisent drastiquement. Selon BRS, le nombre de chantiers actifs dans le monde est, ainsi, passé de 1150 en 2000 à seulement 630 en 2016. L’Asie, premier pôle mondial de construction de navires, est la première touchée et connait un plongeon vertigineux, qui va selon Tim Jones se poursuivre : « Les recherches menées par BRS nous amènent à penser que jusqu’à 50% de la capacité sud-coréenne, 20 à 30% de la capacité chinoise et 10 à 20% de la capacité japonaise disparaitront d’ici 2018 ». Selon d'autres sources, entre avril 2015 et septembre 2016, les trois principaux constructeurs coréens auraient, à eux seuls, supprimé 20.000 postes et cumulé des pertes à hauteur de 5.7 milliards de dollars. 

L'Europe s'en sort plutôt bien

A l’inverse de leurs homologues asiatiques, condamnés à une purge sans précédent, les constructeurs européens s’en sortent globalement bien mieux dans le contexte actuel. Il faut dire que les capacités sont bien inférieures, dont plus « faciles » à remplir, peuvent mieux être équilibrées avec les marchés nationaux et régionaux, sans oublier le fait que les segments couverts ne sont pas les mêmes. Toujours est-il que, pour la première fois depuis les années 80, lorsque le Japon et la Corée du sud avaient mis la navale européenne à genou, celle-ci retrouve une position de leader mondial en valeur de commandes. Dans le domaine civil, cela s’explique notamment, comme le souligne BRS, par l’essor considérable du marché de la croisière et le nombre record de paquebots commandés, un secteur lequel les Européens bénéficient, du moins pour le moment, d’une situation quasi-monopolistique. Leur carnet de commandes s’élève aujourd’hui à plus de 70 navires livrables d’ici 2025, pour un montant dépassant les 50 milliards de dollars. Les chantiers européens sont également en pointe dans un autre secteur en pleine croissance, celui des bâtiments militaires, où ils occupent là aussi le premier rang mondial à l’export. Ce marché, oscillant annuellement entre 30 et 40 milliards de dollars est pour moitié fermé mais, sur les appels d’offres internationaux, les Européens se taillent la part du lion.

Innovation et diversification

De nombreux chantiers ont maintenant une stratégie duale, permettant de faire reposer leur activité entre le civil et le militaire, ce dernier servant d’ailleurs parfois de levier à un soutien public. Mais tous les constructeurs européens ne sont pas, loin s’en faut, présents dans le domaine des paquebots et celui des bateaux gris. Une partie du secteur, notamment en Europe du nord, a par exemple souffert, et souffre toujours, de la crise de l’offshore. Face aux difficultés de l’Oil&Gas, qui les a fait bien vivre pendant des années, ces chantiers jouent la carte de l’innovation, avec des concepts de navires plus sûrs, efficients et respectueux de l’environnement. Ils ont aussi entrepris de se diversifier, par exemple dans le secteur actuellement à la mode des petits navires de croisière d’expédition, ou encore dans des bateaux de pêche novateurs. Un tournant pour le moment réussi qui, s’il est souvent moins lucratif que ce qu’ils connaissaient auparavant, a le mérite de permettre aux chantiers de maintenir leurs compétences, d’en développer d’autres et, surtout, de vivre en attendant des jours meilleurs dans l’offshore.

Du nord au sud de l’Europe, de nombreux acteurs se positionnent dans le même temps sur le segment des énergies marines renouvelables, appelé à monter significativement en puissance pour permettre aux pays de l’UE de tenir leurs objectifs en termes de mix énergétique. Après l’éolien posé, qui continue son développement, les premières fermes d’éoliennes flottantes et d’hydroliennes verront le jour dans les années qui viennent, entrainant la création de nouvelles filières industrielles au sein desquelles les chantiers navals ont de belles cartes à jouer.

La concurrence arrive dans le militaire et la croisière

Au final, même si la situation demeure contrastée et même parfois délicate pour certains acteurs, la navale européenne se porte donc, globalement, plutôt bien. Mais la concurrence s’annonce de plus en plus rude dans plusieurs secteurs clés. Face au manque de commandes, les chantiers asiatiques, et notamment chinois, cherchent en effet à diversifier leur activité et monter en gamme sur des navires complexes. C’est le cas par exemple dans le domaine militaire, où Chinois et Sud-coréens remportent un certain nombre de contrats à l’export, mais aussi dans la croisière. Avec l’assistance de constructeurs, bureaux d’études et équipementiers européens, la Chine va ainsi pouvoir se lancer dans la réalisation de ses premiers paquebots.

 

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Construction navale