Une commande à partir de 2017 en vue d’une livraison d’un premier navire à l’horizon 2020. C’est ce que souhaite obtenir auprès du groupe américain Carnival, leader mondial de la croisière, China State Shipbuilding Corporation (CSSC). Le géant chinois de la construction navale a, selon Tradewinds, formé une nouvelle division dédiée à la croisière. Celle-ci comprend ses meilleurs chantiers : Guangzhou Shipyard et Waigaoqiao Shipbuilding, alliés aux ingénieurs du Shanghai Design And Research Institute (SDARI). Des navires de grande capacité, de l’ordre de 4000 à 6000 passagers, sont évoqués.
Les Chinois, qui sont en train de s’attacher des compétences occidentales en matière de conception et de construction de paquebots, misent aussi sur le développement progressif de leur savoir-faire sur les navires à passagers. Guangzhou travaille notamment sur un nouveau ferry rapide de 200 mètres doté d’une propulsion GNL. Destiné aux liaisons entre la Suède et l’île de Gotland, il doit être livré en 2017 à l’armement suédois Rederi AB, qui l’a commandé fin 2014.

Le ferry au GNL devant être livré en 2017 (© : WARTSILA)
Répondre à la croissance locale du marché de la croisière
La nouvelle alliance formée par CSSC vise dans un premier temps à répondre au développement considérable du marché national de la croisière. En 2015, pas moins de 52 paquebots ont été exploités en Asie, avec un nombre toujours plus important d’unités basées à l’année en Chine. Selon le ministère chinois des transports, le pays devrait à lui seul compter 4.5 millions de croisiéristes d’ici 2020 (700.000 en 2014) et 10 millions dans les 20 prochaines années. Du côté de l’industrie de la croisière, on table également sur de forts taux de croissance dans la zone Asie-Océanie, qui représente actuellement 2.4 millions de passagers (dont 1.4 en Asie) et doit selon les estimations des compagnies atteindre 6.5 millions en 2026.

Le Majestic Princess, construit spécifiquement pour le marché chinois (© : MER ET MARINE - VG)
Accord avec Carnival fin 2015
Dans cette perspective, les armateurs déploient de plus en plus de navires dans la région et ont commencé à faire construire en Europe des paquebots conçus dès l’origine pour les spécificités de la clientèle asiatique. C’est le cas de Princess Cruises et Costa Crociere, filiales de Carnival, mais aussi de NCL et du groupe malaisien Genting. Alors que la construction navale se trouve globalement, en ce moment, dans une situation difficile, entrainant en particulier la fermeture de dizaines de chantiers en Chine, Pékin veut clairement sa part du gâteau dans le domaine de la croisière. C’est ainsi qu’un accord a été entériné fin 2015 entre CSSC, Carnival et le fonds souverain China Investment Corporation (CIC). Les partenaires ont annoncé leur intention de développer une grande compagnie de croisière nationale, pour laquelle ils vont acquérir plusieurs navires, de « seconde main » dans un premier temps avant de passer le plus rapidement possible à des constructions neuves.

Chantier du groupe CSSC (© : DR)
Et Fincantieri dans tout cela ?
Ce projet d’alliance, annoncé en novembre 2014, incluait initialement Fincantieri, dont le groupe Carnival est de très loin le client principal. Mais le constructeur italien n’a pas encore rejoint l’aventure, se contentant de signer indépendamment en mars 2016 une alliance avec les chantiers chinois Huarun Dadong Dockyard (HRDD), spécialisés dans la maintenance, la réparation et la refonte de navires. Les partenaires mettront à profit les cales sèches de Shanghai pour réaliser les arrêts techniques de paquebots exploités en Asie, à l’image de ceux réalisés par Fincantieri pour les filiales de Carnival.
Pour la suite, il est probable que le géant américain de la croisière fasse pression sur son fournisseur italien pour aider les Chinois à concevoir et construire des paquebots. Ce qui constitue un enjeu technique et industriel majeur, avec des compétences très particulières en ingénierie, la nécessité de disposer d’un réseau de sous-traitants spécialisés et, surtout, maîtriser le management de projets aussi complexes. La mésaventure rencontrée par AIDA Cruises (autre filiale de Carnival) au Japon, où les paquebots AIDAprima et AIDAperla accusent un an de retard, incite forcément à la prudence, d’autant que les constructeurs nippons sont réputés comme meilleurs que les Chinois et avaient déjà des expériences dans la croisière.
Eviter de tuer la poule aux oeufs d'or
D’où, logiquement, le souhait de Carnival de voir Fincantieri entrer dans la boucle. Ce qui n’est pas encore le cas, les Italiens semblant trainer clairement des pieds sur le sujet. Il faut dire que réaliser un transfert de technologie vers les chantiers asiatiques est une question stratégique et une telle décision pourrait être hautement risquée à moyen et long termes. Les Européens ont en effet le quasi-monopole de la construction de paquebots, un savoir-faire et une avance technologique indéniables. Il s'agit donc de ne pas tuer la poule aux œufs d’or en donnant les clés de la réussite aux Chinois. Ce qui reviendrait, même si des gains financiers appréciables peuvent être espérés à brève échéance, à favoriser et accélérer une concurrence potentiellement mortelle.