Après les ferries, certains navires de commerce et des unités de servitude, l’ère du gaz naturel liquéfié s'ouvre dans la croisière. Le 21 février, le chantier Meyer Werft de Papenburg, en Allemagne, a lancé la construction du tout premier paquebot équipé d’une propulsion duale, fonctionnant aussi bien au GNL qu’avec un carburant classique. Ce géant de plus de 180.000 GT de jauge et environ 2500 cabines est destiné à la compagnie allemande AIDA Cruise, filiale du groupe italien Costa Crociere, appartenant lui-même à l'armateur américain Carnival Corporation.

Cérémonie de découpe de la première tôle le 22 février à Papenburg (© MEYER WERFT)
Livraisons fin 2018 et au printemps 2021
C’est en juin 2015 que ce dernier a passé commande à Meyer Werft de deux navires pour AIDA, avec des livraisons alors prévues en 2018 et 2020 et un montant estimé d’un milliard de dollars par bateau. Le calendrier a depuis légèrement évolué puisque si la tête de série est aujourd’hui prévue pour entrer en service en décembre 2018 (avec de premières croisières vers les Canaries), le deuxième navire ne sera opérationnel qu’au printemps 2021.

Futur paquebot du projet Helios (© AIDA CRUISES)
Réalisés dans le cadre du projet Helios, les deux futurs mastodontes d’AIDA Cruises, qui pourront fonctionner intégralement au GNL, compteront 15 restaurants et 23 bars, ainsi que de très nombreuses activités et un large éventail de cabines, allant de l’individuelle à la suite penthouse. Les Helios adopteront un design dérivé de celui des AIDAprima et AIDAperla (300 mètres, 124.100 GT, 1643 cabines) réalisés par le chantier japonais Mitsubishi Heavy Industries. Livré avec une bonne année de retard, le premier est entré en service au printemps dernier, alors que le second sera opérationnel cet été. On notera que ces navires ont été les premiers à être dotés d’un moteur fonctionnant au GNL. Il sert à alimenter le réseau électrique du bord lors des escales, réduisant ainsi significativement les émissions polluantes dans les ports. Un service d'avitaillement en GNL a notamment été mis en place au printemps au Havre dans le cadre des escales hebdomadaires de l'AIDAprima (voir notre article).

L'AIDAprima au Havre (© FABIEN MONTREUIL)
Un vaste programme incluant d’autres compagnies
Après les déboires rencontrés par ce projet confié aux Japonais, qui avaient pratiqué des prix très bas pour percer sur le marché de la croisière et ont donc au final un désastre financier, Carnival a décidé de revenir vers Meyer Werft. C’est en effet à Papenburg qu’avaient été précédemment construites les sept unités de la classe Sphinx (68.500 à 71.300 GT, 1025 à 1093 cabines), livrées entre 2007 et 2013. Le groupe américain en a même profité pour nouer un partenariat stratégique avec le constructeur allemand afin d’y ajouter les nouveaux projets d’autres filiales. Ainsi, dès juillet 2015, la commande de deux paquebots de 183.200 GT et 2605 cabines (projet Excellence) destinés à Costa était annoncée, avec une construction au chantier finlandais de Turku. Cette filiale de Meyer Werft les livrera en 2019 et 2021. S’y est ajouté en septembre un contrat pour trois unités supplémentaires de 180.000 GT et 2600 cabines. Deux, réalisées à Turku, seront réceptionnées en 2020 et 2022 par Carnival Cruise Lines, la troisième devant être livrée en 2020 à P&O Cruises. Tous ces navires seront dotés d’une propulsion fonctionnant au GNL et auront une base de design commune, adaptée ensuite aux spécificités de chaque marque. C’est une habitude chez Carnival, qui mutualise les coûts de développement et réalise des économies d’échelle sur la production en déclinant un modèle de plateforme entre plusieurs de ses filiales.

Paquebot du projet Excellence (© COSTA CROISIERES)
Les avantages du gaz
Cette fois, Carnival se veut pionnier en matière de propulsion au GNL et, pour cela, s’appuie sur le chantier qui a le plus d’expérience en la matière sur les navires à passagers. Meyer Werft, via sa filiale finlandaise, a en effet déjà réalisé deux grands ferries fonctionnant au gaz, le Viking Grace, sorti de Turku en 2012, et le Megastar livré il y a quelques semaines à la compagnie estonienne Tallink. Ce recours au gaz répond notamment à un enjeu environnemental et au durcissement de la règlementation sur les émissions polluantes, en Europe du nord, aux Etats-Unis et bientôt en Méditerranée et dans certaines parties de l’Asie. Pour l’heure, les rejets d’oxydes de soufre (SOx) sont particulièrement visés mais il est vraisemblable que, demain, la législation se renforcera aussi pour les oxydes d’azote (NOx), le dioxyde de carbone (CO2) et les particules fines. L’avantage du GNL est qu’il traite une grande partie du problème. Avec l’utilisation de gaz naturel liquéfié pour faire fonctionner les moteurs, les émissions de SOx et NOx sont réduites à leur portion congrue, les particules fines diminuées de moitié environ et le CO2 de 20 à 30% selon les configurations. Aucune autre technologie n’apporte aujourd’hui des avantages équivalents tout en étant économiquement viable, cela en tenant compte des contraintes des paquebots, en particulier les besoins colossaux en énergie pour leur partie hôtelière. Celle-ci représente en effet entre 60 et 70% de la consommation des navires, la propulsion de pesant que pour 30 à 40%. Cela explique d’ailleurs pourquoi des concepts comme l’alimentation électrique à quai lors des escales n’est pas envisageable pour les grands paquebots, les capacités des réseaux terrestres n’étant pour la plupart pas dimensionnés pour de tels besoins.
Autonomie des navires et avitaillement
Pour passer au GNL, technologie parfaitement maîtrisée en termes de sécurité, l’un des grands enjeux des dernières années était l’autonomie des navires avec ce carburant et les capacités portuaires d’avitaillement. Sur le premier point, les motoristes ont fait des progrès significatifs, permettant aux bateaux de naviguer une bonne semaine au moins avant de regarnir leurs soutes. Et la propulsion duale permet de toute façon, lorsqu’il n’y a plus de GNL à bord, de faire fonctionner les moteurs au diesel. Concernant les ports, l’Europe du nord est désormais bien fournie en solutions de ravitaillement, avec l’émergence de services d’approvisionnement par barges ou camions citernes. Quant à l’Europe du sud, elle devrait rapidement s’équiper, en particulier avec l’arrivée de navires dotés d’une telle propulsion. Carnival, dans cette perspective, discute d’ailleurs avec un certain nombre de ports pour mettre en place des systèmes d’avitaillement GNL. Marseille est par exemple sur les rangs.
D’autres armateurs et des technologies complémentaires
Après Carnival, on notera que d’autres armateurs ont décidé de se lancer. L’italo-suisse MSC Cruises prévoit, ainsi, de faire construire à Saint-Nazaire quatre géants de 200.000 GT et 2750 cabines (projet World Class) dotés d’une propulsion au GNL et dont les livraisons sont prévues entre 2022 et 2026. L’Américain Royal Caribbean International a quant à lui annoncé fin 2016 la commande chez Meyer Turku de deux nouvelles unités d’environ 200.000 GT et 2500 cabines (projet Icon). Livrables en 2022 et 2024, ces géants fonctionneront non seulement au GNL, mais intègreront également une nouvelle génération de piles à combustible pour contribuer à alimenter les fonctions hôtelières. C’est ainsi dans la combinaison de technologies innovantes que la croisière devrait réduire de manière très significative son emprunte environnementale.