Rencontré à Londres, le président de Rolls-Royce Marine est formel : « Cela fait de nombreuses années que je suis dans le monde maritime. Les cycles, je connais bien. Mais ce que nous vivons actuellement, c’est du jamais-vu ». Mikael Mäkinen a pris ses fonctions en 2014. Il est arrivé quelques mois avant l’effondrement du prix du pétrole qui a profondément secoué son entreprise.
« La combinaison de la baisse cyclique du marché offshore en 2015 avec la dégringolade du cours du brut a provoqué, très rapidement, un grand affaiblissement de notre groupe. En un an, nos bénéfices ont été divisés par deux ». En 2014, Rolls-Royce Marine emploie 6000 personnes à travers le monde, dont 3000 en Europe du Nord, principalement en Norvège et en Finlande. Pendant la décennie précédente, le marché offshore, représentant alors la majeure partie de l’activité de Rolls-Royce, était dans l’euphorie : « nous avons construit près de 700 navires avec nos design UT, vendus près de 100.000 pièces d’équipements, notre portefeuille de produits était large et majoritairement axé autour de l’offshore ».
« Nous n'avons pas su nous adapter suffisamment rapidement »
Et puis, tout s’arrête. Mikael Mäkinen est un adepte de la transparence à la mode nordique, il ne veut pas cacher le bilan qu’il tire de la période ayant suivi la chute du baril. « Quand la marée est haute, on ne voit pas les rochers. Quand elle est basse, ils apparaissent. Quand les revenus sont importants, on ne voit pas les coûts fixes. Quand ils baissent, on les découvre. Pendant des années, la croissance du marché a caché les problèmes de coûts structurels de l’entreprise. S’il avait continué à augmenter, nous n’en serions probablement toujours pas assez conscients ».
Pour Rolls-Royce Marine, le choc a été rude. « Nous n’avons pas été suffisamment rapide pour réduire nos coûts. Nous n’avons pas su nous adapter au marché suffisamment rapidement. Nous étions au cœur d’une tempête sans précédent ». Les clients de Rolls-Royce, armateurs de navires de servitudes offshore et chantiers, sont directement impactés par l’arrêt des investissements des majors pétrolières. Les annulations de commandes et désarmements de bateaux se multiplient, les chantiers, surtout européens, sont désertés. « Il y a aussi les acheteurs spéculatifs. Je suis sûr qu’il y a des gens qui vont gagner de l’argent avec cette crise. Nous avons vu des supply vendus pour servir de groupes électrogènes ».
Les effets ne se font pas attendre : des centaines de licenciements et des résultats négatifs. En 2016, 27 millions de livres sterling de pertes sont enregistrées pour un chiffre d’affaires de 1.114 milliard, qui voit les mauvais résultats de l’offshore (47% de l’activité) quelque peu amortis par le secteur de la marine marchande (28%) et du naval militaire (25%). « Notre modèle ne pouvait plus durer. Il nous fallait à la fois restructurer, en réfléchissant à combien d’emplois nous pouvions sauver, et créer une nouvelle vision, une nouvelle stratégie pour préparer l’avenir ».
Redonner beaucoup de moyens à l'innovation et la R&D
Deux défis se présentent : répondre aux besoins immédiats, à savoir s’adapter vite aux actuelles conditions de marché, et préparer la suite, l’ère qui va voir le secteur profondément changer, notamment avec sa digitalisation massive. La réponse de Rolls-Royce s’appelle « Marine 4.0 ». Un véritable programme de transformation : « il faut réduire nos coûts, éliminer tout ce qui est inutile, simplifier notre modèle jusqu’ici trop complexe ». Pour cela, l’entreprise va rationaliser son fonctionnement et tailler dans ses activités annexes, vendre ou externaliser la production de produits ne se situant pas dans son coeur de métier. « Il nous faut faire de la place, gagner du temps et de l’argent pour réattribuer à la R&D et recréer une culture où les idées et la créativité peuvent s’épanouir, qui puisse attirer des jeunes dans cette industrie ». 300 millions de livres vont ainsi être investis dans la recherche.

La technologie de l'aimant permanent est au coeur des nouveaux produits Rolls-Royce (© ROLLS-ROYCE)
La production industrielle et les usines rationalisées
L’organisation industrielle est, quant à elle, profondément rationalisée. De 27 usines en 2012, Rolls-Royce est passé aujourd’hui à 15, soit une réduction de 40%. « Nous avons procédé à des consolidations, en regroupant, sur un site, la production de plusieurs produits, comme par exemple à Brattvåg. Parallèlement, nous nous sommes retirés des usines ne se situant pas dans notre coeur de métier comme Mitchell Bearings, Syncrolift, Intering ». L’usine suédoise de Kristinehamn, qui produit des hélices à pas variable et des waterjets, a ainsi vu son organisation profondément changée. « En 2012, l’usine employait 400 personnes alors que les commandes d’hélices étaient basses et ses coûts d’exploitation très élevés. Nous avons décidé de la faire évoluer pour pouvoir conserver le site : nous avons gardé la ligne d’assemblage des hélices et transféré la production à nos sous-traitants ; les machines-outils ont été vendues à notre fournisseur principal et une partie de l’usine lui a été louée, ce qui a permis de transférer une partie des emplois et de garder ces compétences dans notre réseau de sous-traitance. Aujourd’hui, nous n’occupons plus que 25% de l’usine, nous louons le reste. L’assemblage des waterjets a été transféré à Kokkola en Finlande. Nous avons, en revanche, développé un centre de recherche en hydrodynamique. Cette restructuration a permis de garder 200 emplois ».

Production à Rauma (© ROLLS-ROYCE)
D’autres sites, considérés comme stratégiques, bénéficient d’investissements. Ainsi l’usine finlandaise de Rauma, qui produit des propulseurs, va recevoir 44 millions de livres d’ici 2020. « Nous réhabilitons toute l’infrastructure, en réunissant toute la chaîne d’assemblage et de test des propulseurs sur un seul site. Nous investissons dans des nouveaux équipements de manière à pouvoir développer de nouveaux types de propulseurs, notamment de plus grande taille ».
Etre prêt pour affronter de nouveaux concurrents
Les leçons sont tirées et même si la situation est encore très compliquée, le groupe britannique a quand même pu tirer des satisfactions récentes. « Nous avons réussi à nous diversifier vers de nouveaux marchés, où nous avons remporté de beaux contrats comme celui des deux navires d’Hurtigruten ou encore le navire polaire Sir David Attenborough. Il nous faut continuer dans ce sens : proposer une offre unique avec des produits innovants, une intégration complète et un service après-vente mondiale. Nous allons continuer à travailler sur la digitalisation au service de notre clientèle pour plus de répondant et d’optimisation. Un jour, nous serons peut-être concurrencés par des sociétés de logiciels. Ce n’est pas encore le cas, parce qu’elles n’ont pas la connaissance du hardware, du support de travail. Mais il faut être prêt ».
Propos recueillis par Caroline Britz © Mer et Marine, mars 2017