Les doutes que nous évoquions début avril quant à la capacité des chantiers Mitsubishi Heavy Industries à livrer dans les temps le paquebot AIDAprima se sont confirmés quelques jours plus tard. La compagnie AIDA Cruises a officiellement annoncé que le navire, qui devait entrer en service le 22 mars 2015, aura six mois de retard. Il ne devrait finalement appareiller que le 1er octobre de Yokohama. La grande traversée de repositionnement vers Hambourg, qui devait durer 86 jours, a été annulée, l’AIDAprima ne devant désormais réaliser qu’un transit de 50 jours entre le Japon et les Emirats Arabes Unis, où il sera positionné durant l’hiver 2015/2016 sur des croisières d’une semaine. Le paquebot, prévu pour arriver à Dubaï le 20 novembre 2015, devrait quitter le port émirati le 18 mars 2016 et, à l’issue d’une traversée de 38 jours, arrivera enfin à Hambourg et débutera quelques jours plus tard son programme de navigation en Europe du nord.
Vers un gouffre financier pour les Japonais ?
Il reste maintenant à savoir si MHI sera capable de tenir les nouveaux délais annoncés. Le chantier japonais de Nagasaki, où l’AIDAprima est construit, a en tous cas progressé sensiblement, ces dernières semaines, dans l’assemblage de la coque. Le montage est désormais quasiment achevé mais il reste un travail énorme à réaliser au niveau de l’emménagement. Quant au volet financier, la commande d’AIDA Cruises, qui porte sur deux navires (le second, qui devait être livré au printemps 2016, sera également en retard), s’annonce déjà comme un gouffre potentiel pour le constructeur nippon. En mars, Mitsubishi a, en effet, présenté de mauvais résultats annuels, avec une perte de 587 millions de dollars en 2013, attribuée notamment aux difficultés rencontrées sur le projet des paquebots allemands. Il fait dire que pour remporter ce contrat, destiné à l'aider à se diversifier face à la concurrence chinoise et coréenne sur les navires à plus faible valeur ajoutée, MHI a proposé des prix extrêmement bas. Le coût initial de chacun de ces deux bateaux de 300 mètres de long, 124.500 GT de jauge et 3250 passagers est, ainsi, estimé à un peu plus de 460 millions d’euros, ce qui est faible pour des navires de cette catégorie.

L'AIDAprima mi-février (© DR)

L'AIDAprima tout récemment (© DR)
Les chantiers européens se frottent les mains
Une situation qui fait évidemment l’affaire des chantiers européens, à commencer par l’Allemand Meyer Werft, qui construisait jusqu’en 2012 les navires d’AIDA Cruises, mais aussi le Français STX et bien sûr l’Italien Fincantieri. Pour ce dernier, le risque était en effet important de voir une partie de ses commandes partir éventuellement vers l'Asie, AIDA étant une filiale du groupe américain Carnival, son principal client. Les déboires rencontrés par les Japonais constituent donc du pain béni pour les Européens, qui voient ainsi un sérieux compétiteur se prendre les pieds dans le tapis. Ces difficultés ne sont d’ailleurs pas sans rappeler celles intervenues sur le Diamond Princess et le Sapphire Princess, livrés en 2004 par MHI à Princess Cruises (autre filiale de Carnival) au terme d’une construction très difficile. Celle-ci avait été marquée par d’importants surcoûts et un grave incendie ayant retardé d’un an la mise en service de la tête de série. Des échecs que les Européens ne devraient pas manquer d’exploiter pour convaincre les armateurs de leur rester fidèles, arguant, faits à l'appui, que les chantiers historiquement spécialisés dans les paquebots sont, jusqu’à preuve du contraire, les seuls à pouvoir mener à bien ces projets très complexes dans les temps et les coûts impartis.