Aller au contenu principal

A l’occasion de la présentation de ses résultats annuels, le constructeur japonais Mitsubishi Heavy Industries a fait le point sur la construction des deux paquebots de 124.100 GT et 1643 cabines commandés par la compagnie allemande AIDA Cruises. Un contrat qui devait relancer MHI sur le secteur de la croisière et qui a tourné à la catastrophe industrielle et financière pour les chantiers nippons. Prévu pour être livré en mars 2015, le premier navire, l’AIDAprima, ne sera inauguré que dans deux mois et demi, alors que son jumeau, l’AIDAperla, n’entrera en flotte qu’en mars 2017, soit comme son ainé un an après la date initialement prévue. Compte tenu de ces retards, des lourdes pénalités qui en découlent et des surcoûts liés aux difficultés techniques rencontrées depuis le début du programme, Mitsubishi a prévu sur ce contrat une perte d’au moins 1.7 milliard de dollars. Et cette facture pourrait encore s’alourdir, sachant qu’AIDA Cruises a commandé ses deux bateaux fin 2011 pour 1.3 milliard de dollars, un prix jugé à l’époque très bas par les constructeurs européens.

 

140173 aidaprima
© SANCE LTD

Les essais ont débuté le 29 août dernier (© SANCE LTD)

 

Le piège du navire prototype

Après une longue période de silence sur ce projet, le patron de MHI a voulu jouer la carte de la transparence et est revenu sur les difficultés qui ont conduit à un tel désastre. « Le plus difficile a été la construction du premier navire, la phase de conception prenant beaucoup de temps dans la planification. Au moment de la signature du contrat, en 2011, nous pensions qu’il était possible de mener à bien ce projet car nous avions construit des paquebots par le passé, mais jamais un premier de série », a expliqué Shunichi Miyanaga. MHI avait en effet livré en 2004, à Princess Cruises, les Diamond Princess et Sapphire Princess (116.000 GT, 1335 cabines). Un contrat qui avait déjà été difficile (avec notamment un incendie causant un important retard au premier bateau) et coûté de l’argent aux chantiers japonais. Ces derniers avaient néanmoins réussi à livrer de bons navires.

 

126110 diamond princess
© DR

Le Diamond Princess (© DR)

 

Des paquebots qui étaient, il faut le rappeler, basés sur le design de ceux réalisés pour Princess par les chantiers italiens Fincantieri. Il ne s’agissait pas, comme l’AIDAprima, d’un prototype, qui plus est très innovant. MHI aurait donc sous-évalué la difficulté de concevoir un tel bateau et se serait donc rapidement trouvé dépassé par la complexité du projet et le respect du calendrier négocié avec l’armateur. De plus, comme le rappelle Shunichi Miyanaga, il s’était écoulé du temps depuis les Princess. Or, le savoir-faire acquis à l’époque n’a pu être préservé alors que les normes et standards évoluaient significativement. « 10 ans sont passés depuis le dernier navire que nous avons construit pour Princess et il y a eu entretemps de grandes différences dans les spécifications, par exemple pour les questions de sécurité ou encore en matière d’accès Wifi dans toutes les cabines. Nous n’y étions pas préparés ».

 

97019 aidaprima
© AIDA CRUISES

Mise à flot en mai 2014 (© AIDA CRUISES)

 

Le projet remis à plat en 2013

Ne parvenant pas à finaliser correctement la conception et confronté à d’importants problèmes avec les achats d’équipements et la supply chain, Mitsubishi a totalement remis à plat le projet mi-2013. L’équipe en charge du contrat a été débarquée et un nouveau management mis en place, le chantier faisant même appel à des ingénieurs et architectes occidentaux. Mais le retard n’était plus récupérable et s’est même aggravé, le chantier annonçant d’abord un report de six mois de la livraison de l’AIDAprima, avant de reconnaitre que le bateau ne serait prêt qu’un an après la date prévue. Un glissement qui s’appliquera logiquement à son jumeau, MHI ne pouvant pas dédoubler ses équipes et devant attendre des retours d’expérience pour les appliquer sur le second navire.

 

138176 aidaprima
© DR

En cale sèche l'an dernier (© DR)

 

Le futur équipage a rejoint Nagasaki

Le 29 août dernier, lorsque l’AIDAprima a quitté Nagasaki pour ses premiers essais en mer, à part la propulsion et les systèmes de navigation, bien peu de choses fonctionnaient encore selon un fournisseur. Si généralement les nouveaux paquebots réalisent deux campagnes d’essais avant leur livraison, l’AIDAprima devrait en mener quatre (trois effectuées à fin décembre). Et le navire a été victime en janvier de plusieurs départs de feu, qui n’auront cependant pas d’impact sur le calendrier de livraison assure AIDA Cruises. La compagnie allemande a par ailleurs annoncé la semaine dernière que le futur équipage du navire était arrivé à Nagasaki, semblant indiquer que le dénouement est proche. Le baptême est toujours maintenu au 30 avril à Hambourg. On ne sait pas si le paquebot sera livré totalement achevé mais il parait probable que les travaux se poursuivront à bord pendant le transit vers l’Europe. AIDA peut également décider, le cas échéant, de confier à un chantier allemand la finition de son nouveau fleuron. Tout dépendra de l’avancée de MHI et du calendrier.

 

140718 aidaprima
© DR

Première sortie en mer le 29 août 2015 (© DR)

 

MHI évite le désastre financier grâce aux autres activités du groupe

Les pertes liées ce programme impactent sérieusement les comptes de MHI, qui est néanmoins parvenu, au cours des 9 premiers mois de son exercice 2015/2016 (1er avril au 31 décembre), à dégager un résultat net de 395 millions d’euros (une charge non récurrente de 548 millions d’euros a été invoquée et présentée comme notamment liée aux navires d’AIDA). Si le résultat net chute de 25%, le géant industriel nippon, avec ses activités dans l’aéronautique, les transports, l’électronique, la défense ou encore l’énergie, devrait donc grâce à sa taille absorber l’accident industriel que rencontre sa branche navale. 

Aller plus loin

Rubriques
Construction navale