Cap aujourd’hui sur la côte adriatique italienne. Situé non loin de la Slovénie, au nord-ouest de Trieste, où se trouve le siège de Fincantieri, Monfalcone abrite le plus grand chantier d’Italie. Depuis plus d’un siècle - le premier gros constructeur, l’armateur Cosulich, s’y étant implanté en 1907 - la navale occupe une place centrale dans cette partie de la province de Gorizia.
Intégré en 1966 à Italcantieri puis en 1984 à Fincantieri, qui regroupe les huit chantiers publics civils et militaires italiens, Monfalcone est un site imposant. Le chantier s’étale sur 750.000 m², dont 300.000 d’ateliers couverts. Il dispose d’une vaste forme de construction de 350 mètres de long pour 56 mètres de large et compte deux postes d'armement, totalisant plus de 1200 mètres de quais.

Le chantier de Monfalcone (© GOOGLE EARTH - DIGITAL GLOBE)

Le chantier de Monfalcone (© FINCANTIERI)
5000 salariés et sous-traitants
Historiquement, le chantier a produit tous types de bateaux, des cargos aux paquebots, en passant par des pétroliers et bâtiments militaires, y compris des sous-marins. Mais, depuis les années 90, il s’est progressivement spécialisé dans la réalisation de navires de croisière, qui constituent désormais son unique activité.
Employant aujourd’hui 2000 salariés, auxquels s’ajoutent quelques 3000 sous-traitants, Monfalcone tourne à plein régime.

Le chantier de Monfalcone (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Au moins sept paquebots à livrer d’ici 2021
Seize mois après la découpe de sa première tôle et huit mois après la pose de son premier bloc dans la forme de construction, le Carnival Vista a été mis à l’eau le 25 juin dernier. Version agrandie et améliorée des trois paquebots de la classe Dream, livrés entre 2009 et 2012 par le chantier italien, ce mastodonte de 321 mètres de long pour 37 mètres de large présente une jauge de 133.500 GT. Doté de 1967 cabines et suites, soit avec l’équipage une capacité de plus de 6400 personnes, le Carnival Vista, actuellement en achèvement à flot, doit être livré en avril prochain. Son armateur, la compagnie américaine Carnival Cruise Lines, a passé commande d’un second navire du même type, qui entrera en flotte au printemps 2018.

(© CCL)
En attendant, la sortie de forme du Carnival Vista a permis au chantier de Monfalcone de procéder début juillet à la mise sur cale du Majestic Princess. Reprenant le design des Royal Princess et Regal Princess, achevés en 2013 et 2014, ce navire sera spécialement adapté au marché chinois, sur lequel il sera positionné à l’année après sa saison inaugurale en Europe à l’été 2017. Légèrement plus gros que ses aînés (145.000 GT de jauge au lieu de 141.000), le premier paquebot de Princess Cruises conçu dès l’origine pour être exploité en Asie sera basé à Shanghai et pourra accueillir quelques 3560 passagers. Un autre navire de ce type doit être livré fin 2019.

Le futur Majestic Princess (© PRINCESS CRUISES)
Pour la suite, 2015 a marquée par le lancement du programme Seaside de MSC Cruises, l’armateur italo-suisse faisant pour la première fois construire des paquebots par Fincantieri (une autre série de navires, les Vista, est réalisée parallèlement à Saint-Nazaire par STX France). La tête de série, le futur MSC Seaside, a vu sa fabrication débuter officiellement le 22 juin avec la cérémonie de découpe de la première tôle.

Début de construction du MSC Seaside en juin 2015 (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Appelé à devenir le plus gros paquebot réalisé jusqu’ici en Italie, le MSC Seaside mesurera 323 mètres de long pour 41 mètres de large et 72 mètres de haut. Affichant une jauge de 160.000 GT, ce paquebot comptera 2070 cabines, sa capacité atteignant 5179 passagers.
Bénéficiant d’un design très original, avec une moitié arrière disposant de vastes ponts extérieurs, le MSC Seaside sera mis sur cale en 2016 en vue d’une mise en service en décembre 2017 aux Etats-Unis, où il sera basé à l’année au départ de Miami. Un sistership a déjà été commandé pour une livraison en mai 2018, MSC Cruises entendant confirmer l’option portant sur la réalisation d’une troisième unité, qui rejoindrait sa flotte en 2021.

Le futur MSC Seaside (© MSC CRUISES)
En tout, au moins sept grands paquebots doivent donc sortir de Monfalcone dans les cinq prochaines années.
Un outil industriel adapté
Vingt ans après le Carnival Destiny (273 mètres, 101.000 GT), qui était à sa mise en service le plus gros paquebot du monde, la taille des navires réalisés à Monfalcone a donc considérablement augmenté. Comme d’autres chantiers, le principal site de Fincantieri a adapté son outil industriel afin de tenir compte de l’évolution du gabarit des bateaux, dont les délais de réalisation se sont dans le même temps réduits.
Produisant chaque année plus de 40.000 tonnes de structures métalliques, Monfalcone est organisé en différents pôles. « Nous avons deux usines. L’une sert à la découpe des tôles, au formage et à la préparation de petites pièces d’acier, alors que la seconde est dédiée à la préfabrication des blocs », explique un ingénieur du chantier.

Découpe de tôle (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Nouveau banc de soudage hybride
Provenant d’un vaste parc à tôles, les plaques d’acier rejoignent les ateliers où elles sont usinées en fonction des pièces requises. Puis celles-ci sont assemblées. En 2015, le chantier a investi dans un nouveau banc de soudage hybride inauguré à l’été avec le lancement de la construction du MSC Seaside. Ce nouvel outil, qui combine le soudage laser au soudage à l’arc, offre différents avantages par rapport à la méthode traditionnelle : il est en particulier bien plus rapide et limite les risques de déformation.

Ligne de production de panneaux plans (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Deux lignes de production pour les panneaux plans
Alors que le soudage s’effectue sur des épaisseurs comprises entre 12 et 25mm, pour les panneaux plans, le chantier compte deux lignes de production disposant de deux torches de soudage parallèles. « Nous pouvons produire des panneaux de 35 mètres par 16 mètres, à raison de deux panneaux par jour ».
Issus du soudage de plusieurs plaques, ces grands panneaux, sur lesquels sont ensuite intégrés des renforts (poutres) métalliques, vont être assemblés pour former une première structure. Pour un bateau, l’usine fabrique 700 structures dont le poids varie de 30 à 40 tonnes. Celles-ci sont assemblées les unes aux autres pour constituer les blocs avec lesquels la coque sera réalisée. « Il faut entre 80 et 90 blocs par navire, le poids d’un bloc pouvant atteindre 800 tonnes ».
Même si les bâtiments sont anciens, les ateliers sont en fait assez automatisés, en particulier les lignes de production des panneaux plans. Mais il y a encore des procédés traditionnels. Ainsi, à côté des grosses presses servant à former les plaques d’acier, on remarque de nombreuses pièces en bois. « Toutes les courbures données aux tôles sont vérifiées avec des modèles en bois, cette partie est encore très artisanale », sourit l’ingénieur italien.


Pré-armement
Avant de rejoindre la cale de construction, les blocs sont bien entendu pré-armés. Il s’agit d’y intégrer un maximum d’équipements afin de réduire le temps de construction à l’intérieur du bateau. Une technique habituelle en Europe, où les ouvriers s’activent d’abord sur des structures à l’envers (plafond au sol) afin de limiter la pénibilité du travail. Les structures sont ensuite retournées puis, une fois les grands blocs formés à l’issue de la phase de préfabrication, ils rejoignent la cale pour l’assemblage de la coque et des superstructures. On notera que l’aire de pré-montage bordant la forme comprend divers abris sous lesquels les équipes peuvent travailler quelque soient les conditions météo.



(© FINCANTIERI)
Deux cavaliers de 1000 tonnes et deux portiques de 400 tonnes
Deux imposants « cavaliers », en fait des portiques sur roues capables chacun de soulever jusqu’à 1000 tonnes, assurent la manutention des blocs sur l’aire de pré-montage. Ceux-ci sont, ensuite, positionnés dans la forme de construction par les deux grands portiques qui la surplombe. Leur capacité unitaire étant limitée à 400 tonnes, ils sont régulièrement utilisés simultanément pour soulever les structures d’un poids supérieur, nécessitant de répartir l’élingage sur les deux portiques. Une technique qui n’est évidemment pas la plus simple et il y a fort à parier que, lorsque Fincantieri sera amené à remplacer ces outils de levage, qui datent des années 70, le constructeur fera le choix comme ses concurrents français ou finlandais d’opter pour un portique unique de très grande capacité.



Pose de la proue du Carnival Vista (© FINCANTIERI)
Edifier une ville flottante
Pendant l’assemblage des blocs, la construction se poursuit à bord. Un travail colossal car il faut se rappeler qu’un paquebot, ce sont des dizaines de milliers de mètres carrés de locaux techniques et d’espaces publics, un hôtel flottant avec ses centaines de logements, salles de spectacles, casino, centre de bien-être, piscines, des dizaines de bars et restaurants… Et en coulisse tout ce qui est nécessaire pour faire fonctionner en toute autonomie cette petite ville de 5000 ou 6000 habitants, allant de la production d’énergie et d’eau douce aux cuisines et leurs réserves, en passant par le retraitement des déchets et la blanchisserie.
Pour une unité comme le MSC Seaside, il faut par exemple installer pas moins de 140 kilomètres de câbles et 15 kilomètres de tuyauterie. Chaque local, même en bénéficiant des process de pré-armement, doit encore être achevé et équipé une fois les blocs assemblés. Dans certains cas, comme les cabines, le chantier a recours à la préfabrication, des cabines standardisées étant réalisées par une usine dédiée et acheminées tels de petits conteneurs par centaines sur le chantier, où elles sont embarquées à bord du navire et reliées aux différents réseaux.

Le Britannia en achèvement à flot en 2014 (© FINCANTIERI)
2000 personnes à bord pendant l’armement
Après la mise à l’eau, les travaux se poursuivent sur les parties techniques et espaces publics, les sous-traitants arrivant en nombre pour la phase d’armement à flot. Au cours de celle-ci, tous les locaux du navire, qui en compte des centaines, sont progressivement achevés et l’on trouve à bord 2000 personnes au plus fort de l’activité. Electriciens, mécaniciens, peintres, menuisiers, aménageurs, décorateurs… C’est une vraie fourmilière extrêmement complexe à organiser, car elle implique de faire travailler simultanément des dizaines de corps de métiers. Cela, dans un espace restreint et en respectant des délais extrêmement courts. Alors que la date de livraison est fixée deux ans à l’avance, et même si les derniers coups de pinceau sont généralement donnés le jour de la « remise des clés » à l’armateur, respecter le timing constitue un impressionnant tour de force.

Le Royal Princess avant sa mise à flot en 2012 (© FINCANTIERI)
Un savoir-faire que seuls les Européens maîtrisent
C’est d’ailleurs l’une des raisons expliquant la persistance des chantiers européens sur cette activité, malgré une concurrence asiatique féroce dans la construction navale. La réalisation d’un paquebot est en effet une prouesse technique et humaine qui nécessite non seulement un large réseau de sous-traitants spécialisés, mais aussi une connaissance précise du produit, ainsi qu’une capacité d’ingénierie et d’innovation de premier ordre. Et les paquebots, c’est également une question d’organisation et de supervision des missions confiées à des centaines de fournisseurs. Or, le management de projets aussi complexes est un savoir-faire unique que seuls les Européens maîtrisent aujourd’hui et qu’ils optimisent sans cesse depuis 30 ans. C’est ce qui leur permet de conserver la confiance de leurs clients, qui ont la certitude de prendre possession de leurs bateaux dans les temps et coûts impartis, ainsi que le niveau de qualité souhaité.
L'un des deux pods du Carnival Vista (© FINCANTIERI)
32 paquebots livrés depuis 1992
Statendam, Maasdam, Ryndam, Sun Princess, Carnival Destiny, Veendam, Dawn Princess, Grand Princess, Sea Princess, Carnival Triumph, Carnival Victory, Oceana, Star Princess, Golden Princess, Carnival Conquest, Carnival Glory, Carnival Valor, Caribbean Princess, Carnival Liberty, Emerald Princess, Crown Princess, Carnival Splendor, Ventura, Carnival Dream, Ruby Princess, Azura, Queen Elizabeth, Carnival Magic, Carnival Breeze, Royal Princess, Regal Princess, Britannia… De 1992 à 2015, Monfalcone a livré 32 paquebots, soit près de la moitié des 70 navires de croisière achevés depuis 1990 par les différents chantiers italiens du groupe Fincantieri.
[diaporama8]

Le Britannia, dernier paquebot livré par Monfalcone, en 2015 (© FINCANTIERI)