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Pour répondre aux questions de certains lecteurs, les chantiers nazairiens n’ont pas encore été « vendus aux Italiens », contrairement à ce qu’a affirmé Marine Le Pen lors du débat télévisé l’opposant mercredi soir à Emmanuel Macron. Il est aussi bon de préciser que ce dernier, comme l’Etat ou le gouvernement, ne sont en rien responsables du processus de cession des parts de l’actionnaire principal, comme l’a laissé entendre la candidate du Front National. De plus, certains de nos confrères, y compris hier dans la chronique économique d'une grande chaîne de télévison, n'étant pas manifestement au fait de la réalité du dossier, il nous est apparu nécessaire de refaire un point sur cette affaire.  

Placé sous le coup d’une procédure de redressement judiciaire en juin 2016, le groupe sud-coréen STX Offshore & Shipbuilding, propriétaire de 66.7% des chantiers de Saint-Nazaire depuis 2008, est pour mémoire contraint par la justice sud-coréenne de céder ses actifs afin d’éponger son énorme dette. Le dossier est piloté par un tribunal de Séoul, qui a reçu fin décembre, dans le cadre de la procédure qu’il a lui-même initiée, une offre de reprise de la part du groupe public italien Fincantieri. Mais, concrètement, les chantiers ne sont pas encore vendus. Aucun engagement ferme n’a été pris en ce sens par le gouvernement français et d'autres possibilités restent ouvertes.  

Après de longues discussions avec la France, qui détient et souhaite conserver le solde du capital (33.4%) via l’Agence des Participations de l’Etat (APE), Fincantieri a proposé, une fois rachetées les parts de STX dans Saint-Nazaire, de n’en conserver que 48%. Le reste serait cédé à une fondation italienne (6%) et au groupe naval français DCNS (12%).

Un protocole d’accord a été signé en ce sens entre l’APE et Fincantieri le 12 avril. Toutefois, compte tenu de l’imminence des échéances électorales, les Italiens n’ont pas pu sécuriser l’approbation définitive des autorités françaises. Le gouvernement, dans cet accord, a en effet conservé la possibilité, pour la prochaine équipe allant accéder aux responsabilités, d’activer le droit de préemption des parts de STX. Dans le cadre du pacte d’actionnaires conclu en 2008 entre le groupe coréen et l’Etat, ce dernier s’était en effet judicieusement réservé la possibilité d’acquérir contractuellement la participation de STX dans les chantiers nazairiens, afin d’éviter toute cession à un repreneur considéré comme indésirable.

Le prochain gouvernement aura concrètement deux mois pour préempter s’il le souhaite ces parts, le délai courant à partir du moment où Fincantieri et le tribunal de Séoul auront signé la convention de cession des parts de STX. C’est le fameux Sale and Purchase Agreement (SPA), qui n’a à ce jour toujours pas été paraphé.

Alors qu’une reprise par Fincantieri, concurrent historique de Saint-Nazaire, suscite de nombreuses craintes, le prochain gouvernement aura donc toute latitude pour remettre à plat ce dossier et prendre les décisions qui s’imposent pour assurer la pérennité du dernier grand chantier civil français. Surtout qu’il ne serait contraint, en cas de préemption, qu’à une nationalisation temporaire, des solutions alternatives à Fincantieri ayant été travaillées ces derniers mois, sans pouvoir être mises en œuvre du fait du cadre juridique et du calendrier inhérent à la vente initiée à Séoul. L’une des solutions de reprise, portée par les deux clients principaux de Saint-Nazaire, est prête à être activée immédiatement. Les armateurs RCCL et MSC ont en effet renouvelé après la signature du protocole d’accord franco-italien leur offre. Celle-ci les verrait prendre chacun environ 20% du capital, avec une ouverture aux salariés (10%), pour un total armateurs/salariés d’un peu plus de 50%, le solde étant détenu par l’Etat (33%) et DCNS.

Pendant ce temps, le Comité d’entreprise de STX France, qui doit donner son avis sur le projet de Fincantieri, n’a toujours pas pu commencer à travailler en profondeur. La cabinet d'expertise qu'il a nommé pour étudier le dossier, s'il a commencé ses auditions cette semaine, n'a son premier rendez-vous à Bercy que ce vendredi. Il va bien pouvoir consulter le protocole d'accord du 12 avril, afin d'en examiner les modalités, et interrogera différents responsables de Fincantieri dans les jours qui viennent. Sur la base des informations recueillies, il présentera son rapport à la commission économique du CE le 16 mai, sachant que certaines informations pourraient devoir demeurer confidentielles. C'est en tous cas sur la base de cette expertise que les élus du Comité devront rendre leur avis, dès le 18, soit deux jours plus tard seulement. Même s’il n’est que consultatif et non contraignant, l’avis du Comité d’entreprise pourra évidemment avoir une importance politique forte pour la suite de ce dossier.

 

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