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Malgré les difficultés de financement et l’impact de la crise sur le pouvoir d’achat des vacanciers, l’industrie des croisières maritimes attend encore, d’ici la fin 2016, l’entrée en service d’une imposante armada. En tout, pas moins de 21 navires ont été commandés par les compagnies, pour une capacité totale de plus de 61.000 lits (sur une base de deux passagers par cabine), soit plus de 3.1 millions de nouveaux clients à trouver dans les quatre années qui viennent (*). Cela, alors que la capacité mondiale atteint déjà des sommets puisque, selon notre confrère Michel Bagot, qui en fait un décompte précis dans son dernier Miniguide de la croisière, les opérateurs alignent en cette fin 2012 une capacité cumulée annuelle de 25.39 millions de passagers, dont 20.34 millions pour les navires de plus de 1500 passagers. Or, d’après Michel Bagot, la flotte est déjà loin d’être pleinement remplie puisqu’en 2012, elle aurait, au mieux, accueilli 21 millions de passagers. La mise en service de nouvelles capacités, très importantes, suscite donc de vraies interrogations dans un contexte général difficile, pour lequel aucune amélioration notable ne semble en vue sur le plan économique. Quant aux marchés émergeants, comme l’Asie, ils sont encore loin d’avoir atteint une maturité suffisante pour servir véritablement de grands relais de croissance.

 

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© MEYER WERFT

Le chantier Meyer Werft de Papenburg (© MEYER WERFT)

 

Situation contrastée suivant les chantiers

 

Si, durant quelques années, les armateurs ont mis la pédale douce sur les commandes, craignant à juste titre une certaine surcapacité malgré l’essor incontestable du marché, les investissements ont donc repris, bien qu'ils demeurent encore prudents et limités par les difficultés de financement. Les goupes américains Carnival, Royal Caribbean et NCL ont tous commandé un ou plusieurs paquebots cette année et le carnet de commandes des constructeurs a repris des couleurs. Seule la compagnie italo-suisse MSC Cruises, prise d’une frénésie de commandes ces dernières années, a annoncé qu’elle gelait ses investissements en attendant que la situation économique s’améliore (et aussi qu’elle digère son impressionnante croissance).

Quoiqu'il en soit, avec 21 navires de croisière, le carnet de commandes mondial retrouve un niveau plutôt correct, surtout dans le contexte actuel, même si l'on est très loin de la dernière période d'euphorie intervenue entre 2008 et 2010, avec pour chacune de ces années une douzaine de navires livrés pour une capacité totale, sur trois ans, de 78.500 lits. La concurrence est donc aujourd'hui plus importante entre industriels et le carnet de commandes global cache d’importantes disparités entre les chantiers, certains tirant bien mieux que d'autres leur épingle du jeu.

 

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© FINCANTIERI

Le Royal Princess en achèvement chez Fincantieri (© FINCANTIERI)

 

Neuf navires pour Fincantieri, qui retrouve sa place de leader

 

Après s’être laissé distancer par l’Allemand Meyer Werft, Fincantieri a, depuis peu, recouvré sa place de leader mondial de la construction de paquebots. Entre 2013 et 2016, le groupe italien doit livrer 9 navires, pour une valeur totale de 5.11 milliards de dollars (3.9 milliards d’euros). Fincantieri achèvera ainsi :

 

- En 2013 le Royal Princess (141.000 GT, 3600 passagers, Princess Cruises) et Le Soléal (10.700 GT, 264 passagers, Compagnie du Ponant) ;

 

- En 2014 le Regal Princess (141.000 GT, 3600 passagers, Princess Cruises) et le premier d’une nouvelle classe de paquebot de 132.500 GT et 3700 passagers pour Costa Croisières

 

- En 2015 un navire dérivé du Royal Princess pour P&O Cruises (141.000 GT, 3600 passagers), un navire pour Viking Ocean Cruises (47.000 GT, 944 passagers) et une nouvelle unité pour Holland America Line (99.000 GT, 2660 passagers)

 

- En 2016 un second navire pour Viking Ocean Cruises (47.000 GT, 944 passagers) et un paquebot pour Carnival Cruise Lines (135.000 GT, 4000 passagers).

 

Le carnet de commandes de Fincantieri s’est donc regarni, mais demeure encore insuffisant pour faire tourner à plein régime les quatre chantiers du groupe dont la croisière est la spécialité (Marghera, Monfalcone, Sestri Ponente et Ancône). Fincantieri espère néanmoins décrocher de nouvelles commandes, notamment auprès de Regent Seven Seas, Costa Croisières et La Compagnie du Ponant.

 

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© MEYER WERFT

Le Norwegian Breakaway en construction (© MEYER WERFT)

 

Six gros paquebots pour Meyer Werft

 

Le plan de charge est en revanche plus équilibré chez Meyer Werft, qui a l'avantage de ne compter qu'un chantier, celui de Papenburg. Le constructeur allemand, qui a franchi la crise sans problème alors que ses concurrents rencontraient les pires difficultés, continue sur sa lancée, avec la particularité d’être le seul à travailler pour les trois leaders mondiaux du secteur, Carnival, Royal et NCL. Meyer Werft doit livrer, dans les trois prochaines années, six grands paquebots :

 

- En 2013 le Norwegian Breakaway (143.500 GT, 4000 passagers, NCL) et l’AIDAstella (71.300 GT, 2192 passagers, AIDA Cruises)

 

- En 2014 le Norwegian Getaway (143.500 GT, 4000 passagers, NCL) et le premier navire du projet Sunshine de Royal Caribbean (158.000 GT, 4100 passagers)

 

- En 2015 un second Sunshine et une version agrandie du Norwegian Breakaway (163.000 GT, 4200 passagers, NCL) en 2015, avec une option pour la réalisation d’un second « Breakaway Plus » livrable en 2016.

 

Sur les seules contrats fermes, le carnet de commandes de Meyer Werft atteint une valeur de 5.07 milliards de dollars, soit 3.89 milliards d’euros.

 

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© NCL

Le futur Breakaway Plus (© MEYER WERFT)

 

Deux navires pour STX Finland et un nouvel Oasis en discussion

 

Le chantier STX Finland de Turku, qui est passé très près du gouffre il y a deux ans, a quant à lui repris des couleurs. Relancé avec la construction du ferry de croisière Viking Grace (57.000 GT, 2800 passagers, Viking Line), premier grand navire à passager doté d’une propulsion au gaz naturel liquéfié, qui doit être livré le mois prochain, le chantier finlandais se relance sur la croisière. Il doit livrer en 2014 et 2016 les Mein Schiffe 3 et Mein Schiffe 4, deux paquebots de 99.300 GT et 2300 passagers commandés par la compagnie allemande TUI Cruises. Sa maison-mère, Royal Caribbean, est par ailleurs en train de négocier la construction d’un troisième géant du type Oasis of the Seas (225.000 GT, 5400 passagers), dont les deux premières unités, aujourd’hui les plus grands paquebots du monde, ont été livrées par Turku en 2009 et 2010. En attendant la commande potentielle d’un nouveau mastodonte de ce type, qui dépendra notamment d’une solution de financement couverte par l’Etat finlandais (RCI pouvant aussi faire affaire avec un autre chantier), le carnet de commandes de STX Finland s’élève, pour la croisière, à un peu plus de 1 milliard de dollars (789 millions d’euros), faisant que le constructeur demeure encore dans une situation assez précaire.

 

Le futur Mein Schiffe 3 de TUI Cruises  (© STX FINLAND)

 

L'Oasis of the Seas à Turku en 2009 (© STX FINLAND)

 

Saint-Nazaire : Plus que deux navires en achèvement

 

Reste enfin, en Europe, le cas de STX France, qui est dans la situation la plus difficile. Le chantier de Saint-Nazaire n’a plus que deux navires de croisière en construction, mais ces unités, dont la valeur cumulée s’élève à environ 1.1 milliard de dollars (844 millions d’euros), en sont au stade de l’achèvement. Le MSC Preziosa (140.000 GT, 3500 passagers, MSC Cruises), sera livré mi-mars 2013 et l’Europa 2 (39.500 GT, 516 passagers) à la fin du mois suivant. Ensuite, il ne restera à STX France que deux unités militaires à construire, les bâtiments de projection et de commandement (BPC) Sébastopol et Vladivostok, livrables en 2014 et 2015 à la Russie, mais dont la construction a déjà été anticipée pour combler le creux de charge, qui ne cesse de s’accentuer. Alors que peu de projets dans la croisière semblent à portée de STX France, qui n’est finalement pas parvenu à décrocher l’une des dernières commandes (NCL, HAL…), le chantier nazairien espère diversifier son activité dans d’autres secteurs, comme l’offshore, ou encore bénéficier de commandes de la part d’entreprises françaises, comme la SNCM, qui compte renouveler sa flotte de ferries. Le constructeur français compte, aussi, sur la mise en place de financements couverts par l’Etat, ce qui lui permettrait de valoriser ses offres par rapport à ses concurrents, qui disposent déjà de tels dispositifs.

 

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© STX FRANCE - BERNARD BIGER

Le MSC Preziosa à Saint-Nazaire (© STX FRANCE - BERNARD BIGER)

 

Le Japonais Mitsubishi en embuscade

 

Comme s’il n’y avait pas assez de concurrence en Europe, les constructeurs historiques de paquebots doivent désormais compter avec des compétiteurs asiatique. Alors que les sud-coréens cherchent à percer sur le segment de la croisière et que, dit-on, les Chinois pourraient également s’y essayer, le Japonais Mitsubishi, après avoir réalisé plusieurs paquebots, dont deux navires pour Princess Cruises en 2004 (Diamond Princess et Sapphire Princess, de 116.000 GT et 2670 passagers), est revenu dans la course en décrochant les deux nouvelles unités d’AIDA Cruises. Signée en novembre 2011, cette commande, qui a constitué un coup dur pour Meyer Werft, chantier historique de la compagnie allemande, verra la livraison, en 2015 et 2016, de deux navires de 125.000 GT et  3250 passagers. Des paquebots placés sous le signe de l’innovation puisqu’ils doivent être dotés d’un système d’injection d’air sur la carène afin de diminuer la résistance à l’eau et, par conséquent, de réduire la consommation en carburant. Ce projet sera suivi de près par les chantiers européens et les armateurs car, de la capacité de Mitsubishi à réaliser et livrer ces navires dans les temps dépendront évidemment la signature de nouvelles commandes au Japon.

 

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© Princess Cruises

Le Diamond Princess, livré par Mitsubishi en 2004 (© PRINCESS CRUISES)

 

Dans un contexte de surcapacité flagrante et donc de concurrence exacerbée, il apparait en tous cas clair que la compétitivité industrielle, mais aussi financière, ainsi que les capacités à innover en proposant notamment des solutions permettant des gains sur l’exploitation des navires seront fondamentales dans les années qui viennent. Tout comme, sans doute, la diversification de l’activité vers de nouvelles niches à forte valeur ajoutée. Car il est évident que la seule croisière, malgré son essor, ne donnera pas à manger à tout le monde.

 

(*) Sur la base moyenne de croisières d'une durée d'une semaine avec 51 semaines d'exploitation par an pour les navires.

 

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