Nous vous emmenons aujourd’hui au Vietnam, où Piriou développe depuis bientôt 10 ans un complexe industriel qui a connu une belle croissance et a livré plus de 80 navires de 7 à 90 mètres. A 10.000 kilomètres de Concarneau, son berceau historique, le constructeur breton a voulu faire de sa filiale locale un véritable tremplin vers le marché international de l’offshore et de la pêche.
Trois ans et 25 millions de dollars pour créer un premier chantier
South East Asia Shipyard (SEAS), rebaptisée en 2015 Piriou Vietnam, est née en 2006 avec la création d’un premier site à Ben Luc. Le chantier se trouve à une vingtaine de kilomètres au sud-ouest d’Ho Chi Minh Ville. Pour s’y rendre, il faut d’abord traverser l’ancienne Saigon, où dans une chaleur moite la circulation se révèle très dense, avec des milliers de deux-roues qui se faufilent dans le moindre espace disponible.

Dans les rues de l'ancienne Saïgon (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Passés les faubourgs de la capitale vietnamienne, puis de vastes étendues de cultures, Ben Luc est en vue après trois bons quarts d’heures de route. La ville se trouve au bord d’une grande rivière, le Vam Co Dong, l’un des multiples affluents du fleuve Nah Bê, qui borde Ho Chi Minh Ville. « Quand nous nous sommes installés ici, il n’y avait rien. Il a fallu trois ans et 25 millions de dollars d’investissement pour créer un chantier ex nihilo », explique Pascal Piriou. A Ben Luc, l’entreprise concarnoise a progressivement développé un chantier dédié aux constructions en aluminium.
Le chantier de Ben Luc (© PIRIOU)
« Faire ici des navires aux standards européens »
Quand on parcourt le site, la première chose qui frappe est sa propreté et son organisation, une réalité très éloignée de l’image que l’on pourrait se faire d’un chantier situé dans cette partie de l’Asie. « Le grand challenge a été de démontrer que l’on pouvait faire ici des navires aux standards européens », sourit le président de Piriou, pas peu fier du travail accompli et des réactions de ses visiteurs, toujours agréablement surpris. « Il est souvent difficile de convaincre que l’on peut construire au Vietnam en toute confiance. C’est pourquoi les visites de clients sont très importantes car, une fois qu’ils ont le chantier sous les yeux et voient comment nous travaillons et ce que nous produisons, les doutes s’estompent immédiatement ».

Pascal Piriou à Ben Luc (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Une aventure asiatique lancée avec Bourbon
L’aventure de la filiale vietnamienne de Piriou a donc débuté il y a une décennie, au moment où Bourbon voulait développer sa filiale Surf en Asie, plus particulièrement en Indonésie. Le groupe maritime français souhaitait faire réaliser ses bateaux dans la région et désirait pour cela s’appuyer sur un partenaire de confiance. L’idée d’une implantation locale est alors évoquée avec Piriou. Concarneau est déjà un fournisseur de longue date de Bourbon et les relations avec le président du groupe maritime, Jacques de Chateauvieux, sont excellentes. Elles vont même se renforcer puisque sa holding personnelle, Jaccar, sera momentanément (de 2006 à 2009) l’actionnaire principal du constructeur breton. Alors que l’armateur français est en plein recentrage sur les activités offshore, un terrain est disponible à Ben Luc, là où Bourbon avait autrefois une activité sucrière. On décide d’y créer un chantier. « La première année, nous avons réalisé des crew boats de 18 mètres. Puis, comme cela se passait bien, Bourbon nous a confié la réalisation de navires de 26 mètres, dont nous avons produit 12 exemplaires. Dès lors, il ne s’agissait plus uniquement de travailler pour le marché asiatique puisque la plupart de ces bateaux sont partis en Afrique », explique Pascal Piriou. Grâce aux commandes de Bourbon, qui connait une forte croissance et se montre satisfait de la qualité des unités sortant de Ben Luc, le chantier se développe vite. « Nous avons rapidement doublé puis triplé l’atelier de fabrication ».
Un beau succès à l’offshore avec les FPSV
Sur les rives du Vam Co Dong, le chantier se déploie aujourd’hui derrière un immense terre-plein bétonné, qui plonge dans les eaux de la rivière. Les nefs de fabrication ont fleuri les unes après les autres, au fil de la montée en puissance du site et de l’accroissement de la taille des bateaux qui y sont construits. Ainsi, Ben Luc s’est mis à fabriquer de grands FPSV (Fast Passenger & Supply Vessels) de 53 mètres, toujours en aluminium. Après avoir lancé cette série avec les Sirocco, Shamal, Norte et Harmattan, livrés en 2012 et 2013 à Bourbon, la filiale vietnamienne de Piriou s’est, en plus des commandes traditionnelles, lancée sur le marché du stock.
Le Bourbon Harmattan, livré en 2013 (© PIRIOU)
Construire sans client préalable
En clair, anticiper les besoins du client dans un domaine d’activité très porteur en produisant des navires sur fonds propres. C’est ce que l’on appelait autrefois la construction en spéculation. Une stratégie qui a, au moment où l’offshore se développait massivement, rapidement porté ses fruits puisqu’elle a permis à Piriou de décrocher de nouveaux contrats et, au passage, de diversifier son portefeuille de clients. « Investir en propre sans commande préalable constitue un risque industriel mais sur des segments de marché bien spécifiques, notamment les activités offshore, les armateurs ont des besoins immédiats et, si les bateaux sont déjà construits, cela constitue un avantage pour les vendre », affirme Pascal Piriou.
Standardiser au maximum
Pour cela, il faut évidemment ne pas se tromper dans les caractéristiques des navires et veiller à ce qu’ils correspondent au mieux aux besoins du marché. Le client peut personnaliser certaines parties des navires, comme l’aménagement des espaces intérieurs, mais le reste est standardisé. L’objectif est en effet de bénéficier d’économies d’échelle grâce à une base commune construite en grande série.

Le FPSV Kacey, livré en 2014 (© PIRIOU)
Coup d’arrêt avec la crise de l’offshore
Sur la douzaine de FPSV de 53 mètres livrée depuis 2012, certains ont été placés de cette manière, SEAS décrochant de nouveaux clients, comme le groupe suisse Outremer AG, pour lequel il a livré en 2014 le Kacey et le Karol W, exploités par ABC Maritime. Alors que l’activité offshore atteignait des sommets, Ben Luc s’était mis en capacité de livrer un FPSV de 53 mètres tous les deux mois, avec un délai de production de 8 mois par bateau. Et il a dans le même temps entrepris en 2014 la réalisation en stock de nouvelles unités de 41 mètres. Malheureusement, l’effondrement du cours du pétrole a entrainé un coup d’arrêt brutal des investissements dans l’offshore. Les quatre derniers FPSV réalisés en stock sont toujours en cours de commercialisation. Ces navires, soit deux unités de 53 mètres et deux de 41 mètres, font l’objet de différents projets, même de conversion, comme une transformation en YSV (Yacht Support Vessel) et en patrouilleurs.

FPSV de 53 et 41 mètres en attente de commercialisation (© PIRIOU)

Le nouveau modèle FPSV 41 (© PIRIOU)
De belles perspectives avec l’éolien offshore
Heureusement, la situation est meilleure sur le marché des énergies marines renouvelables, où Piriou a également opté pour la stratégie du stock pour les navires de soutien à l’éolien offshore. Le groupe s’est lancé sur ce nouveau segment en 2013, année où il a commencé à commercialiser une gamme de Windfarm Support Vessels (WFSV) de 22 à 26 mètres, basée sur un design catamaran développé par le bureau d’architecture navale britannique BMT Nigel Gee. Les deux premières unités, du type WFSV 21 (21.8x7 mètres), ont été livrées en 2014 à MPI, filiale du groupe néerlandais Vroon, qui les exploite en mer du Nord et en Baltique. « La construction en stock permet aussi de convaincre que l’on peut réaliser au Vietnam des navires aux standards européens à des prix très compétitifs. Les clients potentiels viennent voir des bateaux déjà construits pour potentiellement les acheter et peuvent ainsi apprécier la qualité de construction. Au passage, ils découvrent les installations et l’outil industriel du chantier, qui finissent de les convaincre. C’est typiquement de cette manière que nous avons vendu à Vroon ses deux premiers navires de service à l’éolien offshore ». Après Vroon, Ben Luc a livré en 2015 le Largo et l’Ocean Wind 8 of Hartlepool. Du type WFSW 26w (27.4x8 mètres), ces bateaux ont été respectivement acquis par l’armement allemand Opus Marine et la société AIS Marine 2 Limited pour être exploités en mer du nord. Destinés à North Sea Logistics, deux unités du type WFSV 21w (21.85x7 mètres), les Challenger et Excalibur, ont ensuite suivi et quitté le Vietnam fin 2015 pour rejoindre eux-aussi les champs éoliens d’Europe du nord.

Le WFSV Largo lors de sa mise à l'eau à Ben Luc (© PIRIOU)

Le WFSV Ocean Wind 8 of Hartlepool (© PIRIOU)
Des skiffs et une trentaine de Fast Rescue Boats
En dehors des FPSV et des WFSV (dont d’autres exemplaires sont en cours de construction), Ben Luc a également produit les gros « skiffs » destinés aux thoniers construits par le second chantier de SEAS situé près d’Ho Chi Minh Ville (nous y reviendrons plus loin), ainsi que des petits bateaux de sécurité et de travail embarqués sur les navires offshore. Le chantier a en particulier réalisé une trentaine de FRB (Fast Rescue Boat) de 7.2 mètres livrés aux chantiers chinois Sinopacific, où Bourbon a fait construire de grands remorqueurs ravitailleurs de type PSV (Platform Supply Vessel). « Nous avons développé des bateaux de sécurité et de travail qui répondent aux normes SOLAS, sont auto-redressables et disposent d’un croc de largage à distance. Réalisés entièrement en alu, ils peuvent atteindre la vitesse de 30 nœuds et sont très robustes, ce qui leur permet par exemple de faire la navette entre le navire support et les plateformes ».
En tout, Ben Luc peut traiter quelques 500 tonnes d’aluminium par an, le métal, aux spécifications « marine », étant importé d’Europe. Le site, qui compte quatre nefs de construction, s’est enrichi en 2013 d’un hall d’armement de 1000 m², alors qu’une nouvelle rampe de lancement autorise la mise à l’eau de navires dont la longueur peut atteindre 60 mètres.

Le chantier de Ben Luc (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)

Hall d'assemblage à Ben Luc (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)

FPSV à Ben Luc (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)

A la passerelle d'un FPSV (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Les personnels vietnamiens se mettent aux usages occidentaux
Environ 200 personnes travaillent à Ben Luc, pour l’essentiel des Vietnamiens. Bien loin de l’image d’Epinal que l’on pourrait avoir, les salariés locaux ont les mêmes équipements que leurs homologues français de Concarneau. Des combinaisons estampillées Piriou, des casques, ainsi que des lunettes, masques et gants de protection. « Les équipements sont fournis par la société. C’est très important car, ici, si les gens ne travaillent pas, ils ne mangent pas. Nous faisons particulièrement attention à protéger les personnels contre les risques de blessures, notamment aux pieds, aux mains et aux yeux », note Pascal Piriou. Les Français ont, ainsi, mis en place une organisation et des process de sécurité largement inspirés des normes en vigueur en Europe. Ce qui n’a pas été forcément simple, au début, avec des ouvriers loin d’être habitués à de tels standards de protection. Mais à force de patience et d’explication, les cadres de Piriou Vietnam sont parvenus à faire comprendre que ce qui était perçu par beaucoup comme une contrainte dans leur travail est au final une bonne chose pour leur sécurité et leur santé, donc pour leur propre bien-être et celui de leurs familles.

Au chantier de Ben Luc (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Même s’il reste encore quelques réfractaires, par exemple pour porter des gants, l’immense majorité du personnel a adopté cette façon de faire. Elle est d’ailleurs intégrée au processus de formation des employés, qui apprennent à travailler suivant les standards requis. Alors que la moyenne d’âge est d’environ 25 ans sur le chantier, les ouvriers travaillent 8 heures par jour et ont en plus du dimanche un samedi sur deux de libre, sauf lorsque la charge de travail est trop forte et que tout le monde est mobilisé, heures sup à la clé. Le midi, la pause déjeuner dure une heure et, en dehors de quelques joueurs invétérés qui misent une partie de leur paie dans les gargotes du coin, la plupart des employés mange rapidement un morceau pour s’autoriser une demi-heure de sieste à l’ombre des arbres plantés dans le chantier, où Piriou a aussi semé de la pelouse.

Au chantier de Ben Luc (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Des conditions de travail très appréciées
Comme on peut le constater sur place, l’entreprise, qui compte aussi un syndicat servant plutôt de comité d’entreprise, offre des conditions de travail enviables pour cette région du monde et qui ne sont, sur de nombreux aspects, pas éloignées de ce que l’on trouve en Europe. « Il y a les équipements de protection mais aussi le fait que nous avons construit des ateliers où les personnels peuvent travailler à l’abri. C’est très important car la chaleur est étouffante et de nombreux chantiers sont en plein air, ce qui rend les conditions de travail très dures. Ici, on construit les bateaux à l’abri du soleil et des ouvertures créent un courant d’air qui limite la température ». Dans un pays où les transports en commun sont inexistants et les zones d’habitation souvent éloignées, il a aussi fallu créer des navettes. « Nous avons aussi mis en place un service de bus qui va chercher les gens pour les amener au travail le matin et les ramener chez eux le soir ». Des espaces de vie, avec vestiaires et sanitaires, ont été aménagés. Avec au début quelques incompréhensions culturelles face à certaines initiatives du management français.

Au chantier de Ben Luc (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Quand deux cultures très différentes se rencontrent
« Quand le chantier a été créé, les ouvriers déjeunaient un peu partout, autour de petits restaurants situés à proximité mais aussi au bord de la route. Nous avons décidé d’installer un espace avec des tables et bancs pour qu’ils aient un peu plus de confort durant la pause déjeuner. Sauf que cette idée bien occidentale n’était pas du tout dans les habitudes locales et le premier jour, quand nous sommes allés jeter un œil à midi, nous les avons trouvés assis en tailleur sur les tables ! », sourit un cadre de l’entreprise, sans aucune mesquinerie : « Il faut comprendre que les habitudes ici sont complètement différentes de ce que nous connaissons en France, c’est une autre manière de vivre et aussi de travailler puisque nous avons eu la même scène dans les ateliers à l’ouverture du chantier. Les ouvriers avaient l’habitude de travailler par terre et quand nous leur avons dit d’utiliser les établis, ils ont commencé à travailler accroupis dessus, en nous prenant sans doute pour des fous ! » Des aléas de lancement dont tout le monde s’amuse aujourd’hui, patron comme employés, mais qui illustrent la nécessité de composer avec les différences culturelles quand on implante une entreprise à l’autre bout du monde. « Au départ, on ne prend pas forcément en compte cette dimension. On pense surtout au marché, aux aspects économiques et techniques. Mais les problématiques culturelles sont très importantes. Il faut apprendre comment fonctionne le pays et comment vivent et réagissent les gens pour réussir son implantation. C’est un processus assez long mais c’est intéressant et progressivement on arrive à adapter tout cela pour travailler ensemble malgré les différences ».

FPSV en essais au chantier de Ben Luc (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Fidélisation des employés locaux
Parmi les arguments permettant à Piriou Vietnam de fidéliser sa force de travail, il y aussi, bien entendu, la question de la rémunération. Les ouvriers vietnamiens touchent en moyenne 300 dollars net par mois. C’est beaucoup moins que le salaire des expatriés (2300 dollars net pour 3100 dollars brut selon les chiffres de la direction fin 2013) mais, localement, c’est une belle paye puisque le salaire net mensuel moyen dans le pays est estimé entre 100 et 150 dollars. A cela, Piriou Vietnam, qui dispose au sein du chantier d’une infirmerie, propose une assurance santé d’entreprise (non obligatoire) permettant d’améliorer significativement la couverture offerte par la sécurité sociale nationale, qui est comme on peut s’en douter bien moins généreuse que la Sécu française.

Près du chantier de Ben Luc (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Le test annuel de la fête du Têt
« Nous attachons beaucoup d'importance au bien-être des salariés. On les forme, on les transporte, on fournit les vêtements et les équipements de protection, il y a des vestiaires et des conditions de travail très bonnes pour le pays. En plus, les salaires sont au dessus de la moyenne ». De quoi motiver les troupes et c’est probablement pourquoi le taux de fidélité des employés de Ben Luc est bon, ce qui n’a rien d’évident au Vietnam. « Lors de la fête du Têt, qui correspond au nouvel an vietnamien, les gens se remettent traditionnellement en cause et décident s’ils doivent changer de vie. Du coup, chaque année, en février, c’est le test. Au bout de 15 jours de vacances, on compte les ouvriers qui reviennent. Or, nous constatons que nous avons un turnover assez faible, très peu partent au moment du Têt, ce qui est un bon signe », note Pascal Piriou.

Le thonier Belle-Isle, livré fin 2013 (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Les thoniers de SAPMER, point de départ d’un nouveau développement
Ben Luc a donc servi de base à Piriou pour réussir son implantation vietnamienne, apprendre à travailler dans ce pays et y développer son activité. Alors que le chantier d’origine est resté dédié aux constructions en aluminium, le groupe a été amené à accroître ses capacités locales suite au contrat signé à l’été 2007 avec l’armement réunionnais SAPMER. Une commande portant sur trois grands thoniers-senneurs surgélateur de 90 mètres de long, qui allaient être suivis par quatre bateaux supplémentaires. Pour des questions de place au chantier de Concarneau, qui visait concomitamment d’autres marchés (bac amphidrôme pour le Conseil général de la Gironde et palangrier pour Pêche Avenir), mais aussi en raison d’un coût très serré, Piriou a décidé de s’appuyer sur le Vietnam. Seule la tête de série, le Franche Terre, a été achevée en Bretagne, la coque étant réalisée en Pologne. Les autres thoniers ont vu le jour en Asie.

Le chantier de Nha Bê (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Seconde implantation dans un arsenal à Ho Chi Minh Ville
Cependant, il n’était pas possible de les construire à Ben Luc, où les infrastructures ne sont pas adaptées à des navires aussi grands. Il fallait aussi tenir compte du fait que seule la superstructure des thoniers était en aluminium, leur coque étant en acier. C’est pourquoi Piriou a choisi d’ouvrir un second pôle de construction au Vietnam, le choix se portant mi-2008 sur le chantier Hai Minh. Egalement connu sous le nom « X51 », ce site fait partie de l’arsenal de la marine vietnamienne implanté dans le district de Nha Be, à Ho Chi Minh Ville.
C’est avec le Manapany, premier sistership du Franche Terre (achevé par Concarneau à l’été 2009), que l’activité a débuté au X51. La première tôle du navire y a été découpée en août 2008, la livraison du Manapany à SAPMER intervenant en mai 2010. Depuis, cinq autres thoniers de ce type ont été construits à Nha Be : le Bernica quelques mois après son aîné, les Dolomieu et Belouve en 2012, puis les Belle Rive et Belle Isle en 2013.
Investissements pour moderniser l’outil industriel
Fort de ce succès, Piriou a décidé d’investir dans l’outil industriel du site afin d’accroître sa productivité. Un nouveau portique est ainsi entré en service en novembre 2013. Surplombant la forme de construction longue de 120 mètres utilisée par Piriou, cet outil, réalisé en Chine et ayant nécessité un investissement de 2.4 millions d’euros (intégralement financé par le constructeur français), offre une capacité de levage de 240 tonnes. De quoi manutentionner des blocs bien plus gros qu’avec les moyens disponibles jusque là.
Le nouveau portique a été inauguré lors de la mise sur cale du Morn Seselwa, premier d’une nouvelle génération de thoniers-senneurs longs de 80 mètres également commandés par SAPMER. Grâce au nouvel outil de levage, le navire a été réalisé en seulement 9 grandes sections d’un poids allant jusqu’à 200 tonnes, alors qu’il a fallu 23 blocs pour les unités de 90 mètres, pourtant plus grandes. Les délais d’assemblage ont, de cette manière, été significativement réduits, soit deux mois au lieu de cinq.


Le thonier de 80 mètres Morn Seselwa, livré fin 2014 (© PIRIOU)
Partenariat avec la marine vietnamienne
Sur le X51, Piriou n’est comme on l’a vu que locataire, ce qui ne l’empêche pas de s’y développer et d’investir. A ce titre, un nouvel accord de coopération avec le chantier public vietnamien a été signé fin 2013 pour l’exploitation de la cale sèche, ainsi que les aires de pré-montage environnantes, soit une surface totale de 7000 m². « Le site d’Hai Minh est historiquement un chantier militaire qui faisait de la réparation navale, pas de construction. Au début, nous n’avions pas de relations directes avec la marine vietnamienne, on passait par un intermédiaire, qui a fait les deux premières coques en sous-traitances sous la supervision de Piriou, une trentaine de Concarnois ayant suivi la construction des Manapany et Bernica. Pour le thonier suivant, la direction du chantier a voulu travailler en direct avec nous. Un premier accord de partenariat avec Hai Minh a alors été signé, avec l’idée d’utiliser ses ressources dans les métiers de la coque en sous-traitant la réalisation de blocs. En parallèle, nous avons mis en place nos équipes, pour lesquelles il a fallu recruter des tuyauteurs, des aménageurs, des mécaniciens et rechercher des sous-traitants ».


Au chantier de Nha Be (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Ateliers, chaine logistique et bureaux d’études
Piriou, qui a employé sur ce chantier jusqu’à 200 personnes, et même 500 si l’on compte les sous-traitants, utilise en plus de la cale et de l’aire de pré-montage de nombreux ateliers de production du chantier, qu’il a modernisés et réorganisés à sa manière, tout en mettant en place une chaîne logistique. Un grand magasin pour les pièces détachées a par exemple été aménagé, avec du personnel vietnamien mais francophone pour faciliter la compréhension et traiter les bonnes références. Une unité de fabrication de meubles a également été mise en place afin de fournir les éléments nécessaires aux cabines des équipages.
A Nha Be, Piriou compte aussi des bureaux d’études, plusieurs dizaines de personnes étant chargées des études de détail, en collaboration étroite avec l’ingénierie concarnoise.

Bureaux d'études à Nha Be (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)

Bureaux d'études à Nha Be (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
La série des thoniers de 80 mètres réduite à deux unités
Fin 2014, le chantier a livré le Morn Seselwa, premier des nouveaux thoniers-senneurs de 80 mètres commandés par SAPMER. Puis ce fut au tour, au printemps 2015, de son premier sistership, le Morne Blanc, d’entrer en service. Initialement, la commande, signée en 2013, comprenait une option pour un troisième navire et SAPMER envisageait alors d’en faire une dizaine. A l’époque, l’armement réunionnais misait en effet sur les licences de pêche qu’il avait obtenues en Papouasie Nouvelle-Guinée. Mais ce projet de développement a été suspendu et la série des 80 mètres, spécialement conçue pour opérer dans le Pacifique, a été réduite pour le moment à deux unités, que SAPMER a finalement décidé de baser aux Seychelles.

Le Morn Seselwa (© PIRIOU)
Un marché régional considérable mais encore hors d’atteinte
Un coup dur pour Piriou Vietnam, qui misait sur cette série pour développer le chantier X51 de Nha Be, dont les capacités avaient été dimensionnées pour produire 5000 tonnes d’acier et jusqu’à quatre navires par an à partir de 2014. Malheureusement, le marché des thoniers asiatiques n’a, pour le moment, pas pu prendre la relève. Bien que potentiellement énorme, avec quelques 300 navires âgés d’une trentaine d’années en activité dans le Pacifique, le potentiel de remplacement de la flotte thonière dans cette partie du monde échappe à Piriou, qui s’y intéresse depuis plusieurs années. Il faut dire que la plus-value technique n’est pas de nature à séduire les pêcheurs asiatiques, qui veulent les bateaux les plus simples possibles pour permettre aux équipages de se débrouiller seuls en mer en cas de problème. Une donnée que Piriou a bien intégrée, en simplifiant par exemple l’appareil propulsif des derniers thoniers produits au Vietnam, mais qu’il n’a pas encore réussi à faire valoir auprès des armements locaux.

Au chantier de Nha Be (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Des coûts de production bien moindres qu’en France
Malgré tout, les chantiers vietnamiens de Piriou ont encore des cartes à jouer dans d’autres secteurs et la compétitivité demeure un argument crucial. En effet, si le prix des équipements ne peut être réduit, et est même un peu plus onéreux car il faut les importer, le coût de la coque, de la tuyauterie ou encore de l’emménagement est 30 à 40% moins cher qu’en France. Une capacité qui permet à Piriou de rester dans la course face à des constructeurs étrangers à bas coûts, y compris en Europe. C’est de cette manière qu’a été prise au printemps 2014 la commande du nouveau palangrier de Cap Bourbon, filiale réunionnaise de l’armement boulonnais Le Garrec.

Le palangrier Cap Kersaint, livré en décembre 2015 (© PIRIOU)
Un premier palangrier livré en décembre
Long de 59.45 mètres pour 12.8 mètres de large, le Cap Kersaint, qui bénéficie d’un certain nombre d’innovations, a été livré en décembre 2015 par le chantier de Nha Be. Et Piriou espère bien que d’autres navires de ce type suivront : « Ce palangrier, plus sûr et plus économe, est la première étape du renouvellement de la flotte de pêche à la légine dans les Zones Economiques Exclusives des Terres Australes et Antarctiques Françaises. Notre collaboration étroite avec Cap Bourbon nous a permis de faire évoluer notre connaissance sur ce type de navire et de maintenir notre position de leadership dans ce secteur. A travers ce prototype développé avec le bureau d’études norvégien Skipsteknisk, nous avons ainsi démontré notre capacité de construire au Vietnam des navires de pêche au standard des pays du Nord de l’Europe, zone qui constitue un marché cible important », explique Vincent Faujour, directeur général de Piriou.

Remorqueur de Boluda en construction à Nha Be (© PIRIOU)
Les remorqueurs, un nouveau marché
Le groupe français a également fait valoir les atouts de ses chantiers vietnamiens auprès de la société de remorquage Boluda. Celle-ci a passé commande de quatre unités de 30.3 mètres et 70 tonnes de capacité de traction. Il s’agit des premiers remorqueurs du type OST 30 (Omni Stern Tug) - modèle de la nouvelle gamme de remorqueurs conçue par Piriou – dérivé des huit construits à Concarneau et livrés à Boluda France entre 2007 et 2009. Les deux premiers exemplaires de cette nouvelle série, le VB Cyclone et le VB Ouragan, ont rejoint la France en décembre et seront exploités dans les ports de Nantes Saint-Nazaire et Dunkerque. Quant à leurs deux sisterships, ils quitteront Nha Be au premier semestre de cette année... et la commande de deux unités supplémentaires a été confirmée par Boluda en vue d'une livraison début 2017.

Le VB Cyclone, récemment livré à Boluda (© PIRIOU)
Baisse probable des effectifs
Si Piriou Vietnam a bon espoir de d’enregistrer rapidement de nouvelles commandes, la filiale asiatique du groupe breton est, toutefois, entrée dans une période complexe. Après un essor fulgurant jusqu’en 2014, la crise de l’offshore et le gel de certains projets à la pêche contraignent pour le moment Ben Luc et Nha Bê à revoir leurs ambitions à la baisse. « Nous avons livré le dernier thonier en juillet dernier et n’avons pas de commande depuis. En revanche, les remorqueurs portuaires se portent bien et l’éolien démarre bien, nous avons livré des unités à plusieurs opérateurs significatifs et avons plusieurs prospects pour l’Europe du Nord. Mais, malgré tout, il va nous falloir réadapter notre outil industriel vietnamien et sans doute adapter nos effectifs », confirme Vincent Faujour.

Le chantier de Nha Be avec des WFSV prêts à être livrés (© PIRIOU)
Compétitivité et tremplin vers le marché asiatique
Malgré les soubresauts des marchés historiques, les chantiers de Bel Luc et Nha Be, qui ont chacun leurs spécialités, demeurent des atouts pour le groupe. En effet, dans un contexte de concurrence internationale accrue, les sites vietnamiens de Piriou, désormais rôdés, demeurent très compétitifs et permettent toujours au groupe d’engranger des commandes qu’il ne pourrait réaliser en France pour des questions de coûts, ou de place puisque le chantier de Concarneau est actuellement plein pour plusieurs années. De plus, le Vietnam peut toujours constituer un véritable tremplin pour permettre à Piriou de percer sur le marché international et asiatique, y compris dans le domaine des bâtiments militaires, où les besoins régionaux sont importants. Un secteur sur lequel le constructeur breton s’est notamment allié à DCNS au travers d’une société commune, Kership, qui commercialise une gamme de bateaux faiblement armés jusqu’à 95 mètres dédiés à l’action de l’Etat en mer.