C'est la grande question qui taraude actuellement les chantiers navals. Car la construction navale européenne a faim, très faim même. Et il n'y aura probablement pas à manger pour tout le monde. En France, en Italie et en Finlande, les carnets de commandes ont atteint un niveau très bas, voire critique, provoquant des vagues de licenciements ou des mesures de chômage partiel. Même en Allemagne, où Meyer Werft était jusque là épargné, les livraisons seront réduites d'un tiers à partir de l'an prochain. Après la grande frénésie des années 2000, où l'activité des chantiers, en dehors de quelques exceptions, avait atteint des sommets, la signature de nouveaux contrats a commencé à décliner en 2007. Et aujourd'hui, l'heure est clairement à la retenue. D'abord, la crise économique et financière a des répercussions, à la fois sur le pouvoir d'achat de la clientèle, mais aussi sur les capacités d'investissement des compagnies. Celles-ci ont désormais beaucoup plus de mal à boucler les montages financiers, une situation qui ne va sans doute pas s'arranger avec la volonté de plusieurs grandes banques de se retirer du secteur maritime. (© : MER ET MARINE) Dans le même temps, la rentabilité de certaines compagnies est mise à mal cette année, par la conjonction de plusieurs facteurs : Une politique tarifaire très agressive pour compenser la baisse des ventes au premier trimestre suite à la catastrophe du Concordia (due essentiellement à l?arrêt des actions de marketing), le contexte économique morose en Europe qui réduit les dépenses et provoque de l'attentisme au sein de la clientèle, le prix incertain du pétrole qui pèse sur les frais de soutes et, au final, une surcapacité de la flotte dans cet environnement très négatif. Car, actuellement, si l'industrie de la croisière poursuit sa croissance, une part importante des néo-croisiéristes présente un pouvoir d'achat limité, peu compatible avec le modèle économique des paquebots, basé notamment sur les ventes à bord (boissons, restaurants à supplément, centres de bien-être, attractions, excursions...) Du coup, les perspectives de commandes de nouveaux navires paraissent en ce moment très limitées. Elles sont subordonnées aux capacités financières des armateurs, à leur endettement (qui est parfois très important), au bon vouloir des banques qui ne prêtent plus aussi facilement qu'avant, mais aussi aux projections sur l'évolution du contexte économique et donc les estimations de croissance, en nombre de passagers comme en revenus, les deux courbes n'évoluant pas forcement au même rythme. Navire en construction chez Fincantieri (© : COSTA CROISIERES) Carnival Corp demeure le principal pourvoyeur de commandes Leader mondial de la croisière, avec une centaine de navires en flotte, le groupe américain Carnival Corporation et ses nombreuses filiales (Carnival Cruise Lines - CCL, Costa Crociere, AIDA Cruises, Ibero Cruceros, Princess Cruises, P&O Cruises, Holland America Line - HAL, Cunard, Seabourn) est, évidemment, celui vers qui se tournent d'abord les regards. Carnival a considérablement développé ses différentes marques mais, depuis cinq ans, le groupe de Micky Arison se montre relativement prudent, bien que poursuivant ses investissements. Alors qu'on a longtemps pensé que le groupe allait lancer le projet Pinnacle, qui devait constituer une réplique à l'Oasis of the Seas et l'Allure of the Seas (225.000 tonneaux, 2700 cabines), les plus grands paquebots du monde, mis en service en 2009 et 2010 par son grand concurrent Royal Caribbean, le géant américain a préféré ne pas surenchérir dans la course au gigantisme. Le Carnival Breeze (© : FINCANTIERI) Le dernier et plus gros paquebot de CCL, le Carnival Breeze (130.000 tonneaux, 1846 cabines), troisième unité de la classe Dream, a été livré en mai dernier par l'Italien Fincantieri. Pour l'heure, aucune autre commande n'a été passée pour CCL mais il est fort probable que ce soit le cas dans les prochains mois. Logiquement, la compagnie devrait poursuivre sur sa lancée et commander un quatrième Dream pour une livraison en 2014, à moins qu'elle choisisse, ce qui est moins évident, d'opter pour une nouvelle série. CCL a, en effet, tout à gagner à allonger la famille des Dream pour réaliser des économies d'échelle. D'autant que ce design a également été retenu pour les nouveaux paquebots de Costa (132.500 tonneaux, 3700 passagers). Le premier doit être livré par Fincantieri en octobre 2014, la commande d'un second « Super Costa », livrable en 2015, étant attendue d'ici la fin de l'année. Le futur Royal Princess (© : PRINCESS CRUISES) Concernant Princess Cruises, le nouveau programme est déjà en cours. Egalement construit par Fincantieri, le Royal Princess (140.000 tonneaux, 3600 passagers), premier du genre, sera opérationnel au printemps 2013 et sera suivi en 2014 d'un sistership. A l'instar de CCL et Costa, le groupe Carnival mutualise également ce design en l'adoptant pour le nouveau paquebot de P&O Cruises (141.000 tonneaux, 3611 passagers), qui quittera les chantiers italiens en mars 2015. La commande d'une seconde unité de ce type est probable pour une mise en service chez P&O à partir de 2016. Le futur navire de P&O (© : P&O CRUISES) Concernant les autres filiales de Carnival, des projets sont également à l'étude pour Holland America, qui pourrait se doter d'une unité de 100.000 tonneaux. Les deux derniers paquebots de la compagnie, les Eurodam et Nieuw Amsterdam (87.000 tonneaux, 1053 cabines), ont en effet été livrés en 2008 et 2010 par Fincantieri. Il paraitrait donc logique qu'une commande intervienne dans les prochains mois pour HAL, afin que la compagnie dispose d'une unité neuve à l'horizon 2015. Alors que Cunard dispose désormais d'une belle flotte récente avec le Queen Mary 2 (STX France, 2003, 145.000 tonneaux, 1260 cabines), le Queen Victoria (Fincantieri, 2006, 90.400 tonneaux, 1007 cabines) et le Queen Elizabeth (Fincantieri, 2010, 90.400 tonneaux, 1046 cabines) et que Seabourn a reçu ses trois nouveaux navires de luxe, les Seabourn Odyssey, Seabourn Quest et Seabourn Sojourn (32.000 tonneaux, 225 cabines), livrés en 2009, 2010 et 2011 par l'Italien T. Mariotti (qui n'a plus depuis de nouveau bateau neuf dans la croisière), aucun projet ne semble pour le moment émerger chez Ibero Cruceros, la filiale espagnole du groupe, qui doit faire face à un marché ibérique particulièrement déprimé. Le Nieuw Amsterdam (© : FINCANTIERI) Le Queen Elizabeth (© : CUNARD) Le Seabourn Odyssey (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU) En revanche, Carnival a créé la surprise l'an dernier en choisissant le chantier japonais Mitsubishi pour réaliser les deux prochains paquebots de la compagnie allemande AIDA Cruises, des unités 125.000 tonneaux et 1625 cabines livrables en mars 2015 et mars 2016. Un coup dur pour Meyer Werft, qui a réalisé les 6 navires de la classe Sphinx d'AIDA, dont le dernier exemplaire, l'AIDAstella (71.300 tonneaux, 1096 cabines) sera livré fin 2013. Cette décision du leader mondial de la croisière de construire des navires au Japon (où deux paquebots de Princess ont déjà été réalisés dans les années 2000) tend un peu plus la concurrence déjà très forte entre chantiers européens. Un paquebot d'AIDA (© : MEYER WERFT) Royal Caribbean Cruises doit déjà achever les projets lancés Du côté de Royal Caribbean Cruises, un autre groupe américain, numéro 2 mondial de la croisière, des projets sont également à l'étude mais, là aussi, il n'y aura pas pléthore de commandes. Le grand programme de constructions neuves pour Royal Caribbean International (RCI) est en effet déjà lancé. Et a été décroché par Meyer Werft, alors que les chantiers finlandais de Turku, qui ont notamment réalisé les Oasis of the Seas et Allure of the Seas, étaient depuis de longues années le berceau des géants de Royal. Baptisé Sunshine, le nouveau projet verra la livraison de deux paquebots de 158.000 tonneaux et 4100 passagers (2050 cabines ?) à l'automne 2014 et au printemps 2015. Le second navire ayant été confirmé cette année, RCC va sans doute attendre un peu avant d'allonger la série, d'autant que les difficultés de la navale européenne ne peuvent qu'engendrer des propositions commerciales intéressantes. Le groupe doit, de plus, digérer l'entrée en service des cinq nouvelles unités de son autre grande filiale, Celebrity Cruises. L'Oasis of the Seas (© : RCI) Le Celebrity Equinox, de la classe Solstice (© : MEYER WERFT) Quatre paquebots de la classe Solstice ont déjà été livrés par Meyer Werft depuis 2008 à raison d'un par an. Le dernier de la série, le Celebrity Reflection (126.000 tonneaux, 1515 cabines), doit entrer en service cet automne. Celebrity Cruises va donc faire une pause en 2013 et peut-être en 2014 afin de digérer cette hausse significative de capacités. De nouveaux projets seraient néanmoins à l'étude pour la suite, ce qui pourrait se traduire par une commande dans l'année qui vient. De même, RCC devra penser, un jour ou l'autre, à l'avenir de sa marque haut de gamme Azamara Club Cruises, qui exploite les Azamara Quest et Azamara Journey (30.000 tonneaux, 347cabines), deux anciens Renaissance construits à Saint-Nazaire en 2000. En ce qui concerne la filiale allemande de RCC, TUI Cruises (une société commune avec le voyagiste allemand TUI exploitant pour le moment deux anciens navires de Celebrity), la commande d'un nouveau paquebot de 97.000 tonneaux et 1250 cabines a été confiée à STX Finlande, le chantier de Turku devant livrer ce navire au printemps 2014 (avec une option pour la construction d'un jumeau). Le futur paquebot de TUI Cruises (© : STX EUROPE) Pour ce qui est de Pullmantur, la filiale espagnole du groupe, là aussi, les difficultés sur le marché espagnol rendent la situation délicate. Aucune construction neuve n'est prévue, la compagnie se contentant de récupérer les anciens navires de RCI, comme le Monarch of the Seas (1991, 73.000 tonneaux, 1200 cabines), qui rejoindra ses rangs en 2013, tout comme l'avait fait l'un de ses deux sisterships, le Sovereign, en 2009. Quant à Croisières de France, la marque tricolore de Pullmantur, après avoir récupéré de sa maison-mère l'Horizon (1990, 46.800 tonneaux, 720 cabines), qui a remplacé cette année le Bleu de France après une importante modernisation à Marseille, l'ajout d'un second navire provenant de Pullmantur n'est pas à exclure d'ici 2014. Le futur Norwegian Breakaway (© : NCL) Norwegian Cruise Line attend ses deux nouveaux géants Du côté de chez Norwegian Cruise Line, le troisième grand nom du secteur, le renouvellement de la flotte est également en cours. Après avoir reçu le Norwegian Epic (153.000 tonneaux, 2109 cabines) en 2010, construit à Saint-Nazaire et qui devait initialement avoir deux sisterships, la compagnie américaine, suite à sa reprise en main par Apollo Management en 2007, a totalement bousculé ses projets. Si l'Epic a bien été achevé, ses jumeaux ont été abandonnés et NCL s'est tournée vers Meyer Werft pour réaliser une nouvelle série de paquebots. Les Norwegian Breakaway et Norwegian Getaway (144.000 tonneaux, 2000 cabines) sortiront des chantiers allemands au printemps 2013 et au printemps 2014. Et NCL devrait d'abord digérer ces deux mastodontes avant de lancer de nouvelles commandes. Le MSC Divina (© : MSC CROISIERES) MSC Cruises : La place de leader européen convoitée Dans l'univers des grandes compagnies, il reste MSC Cruises, qui fait office de cas un peu particulier. Filiale du géant suisse Mediterranean Shipping Company, numéro 2 mondial du transport maritime conteneurisé avec 446 porte-conteneurs en flotte, MSC Cruises a connu un développement fulgurant en à peine dix ans. La compagnie a, ainsi, pris livraison depuis 2003 de 10 paquebots, soit deux Lirica (59.000 tonneaux, 850 cabines), quatre Musica (92.000 tonneaux, 1275 cabines) et trois Fantasia (139.000 tonneaux, 1637 à 1739 cabines), sans compter la reprise de deux ex-navires de Festival, l'European Stars et l'European Vision (2001 et 2002, 58.600 tonneaux, 783 cabines), devenus MSC Sinfonia et MSC Armonia. Tous ces navires ont été réalisés par les chantiers STX France de Saint-Nazaire, qui ont livré le MSC Divina en mai dernier et travaillent actuellement sur son sistership, le MSC Preziosa, dont la mise en service est prévue en mars 2013. Ce bateau n'est autre que le navire initialement commandé par la compagnie libyenne GNMTC, repris par MSC suite à la chute du régime de Mouammar Kadhafi l'an dernier. Le MSC Preziosa en construction (© : MSC CROISIERES) Pour la suite, MSC projette de réaliser des paquebots encore plus gros, moins longs mais plus larges que les Fantasia, avec encore plus de cabines (2000). C'est le projet Vista, qui pourrait déboucher sur une série de quatre géants. Mais pour signer le contrat, la compagnie doit, comme ses concurrentes, trouver les financements nécessaires, ce qui est compliqué en ce moment. On se rappellera notamment qu'il a bien fallu six mois pour boucler le montage financier permettant la reprise de l'ex-paquebot libyen. Malgré tout, MSC s'est fixée comme objectif de ravir à Costa la place de leader européen de la croisière, qu'elle devrait détenir en termes de capacités l'an prochain avec l'arrivée du Preziosa, son dernier navire en commande. Mais Costa, qui se fera doubler en 2013 en raison de la perte du Concordia cette année, reprendra l'avantage en 2014 avec la livraison de son premier Super Costa, qui devrait comme on l'a vu être suivi par un sistership en 2015. Si MSC veut se maintenir dans la course, elle n'a donc d'autre choix que de lancer rapidement de nouveaux investissements. Le Disney Fantasy (© : DCL) Autres compagnies : Des opportunités sur le segment du luxe Pour ce qui est des autres compagnies, Disney Cruise Line, après avoir pris livraison en 2011 et 2012 des Disney Dream et Disney Fantasy (128.000 tonneaux, 1250 cabines), construits chez Meyer Werft, doit normalement faire une pause puisque ces deux navires ont fait plus que doubler ses capacités en un peu plus d'un an. La plupart des autres compagnies ont, quant à elles, plus l'habitude des navires de seconde main que des constructions neuves. On évoque certes des projets de nouvelles unités, par exemple chez Saga Holidays ou Louis Cruises, mais rien n'est joué, surtout dans le contexte actuel. En revanche, sur le segment du luxe, il y a de sérieuses perspectives de commandes. Silversea, après avoir réceptionné chez Fincantieri le Silver Spirit (36.000 tonneaux, 270 cabines) fin 2009, devra poursuivre dans les prochaines années le renouvellement de sa flotte. En attendant, la compagnie a décidé de développer son offre sur les voyages d'expédition, en achetant d'occasion le petit Galapagos Explorer II (50 cabines), qui s'ajoutera au Silver Explorer (66 cabines) en septembre 2013. Le Silver Spirit (© : SILVERSEA CRUISES) Regent Seven Seas est sans doute plus pressée car elle n'a pas intégré de bateau neuf depuis le Seven Seas Mariner (STX France, 46.000 tonneaux, 354 cabines) en 2001 et le Seven Seas Voyager (T. Mariotti, 46.000 tonneaux, 353 cabines) en 2003. Quant à son troisième navire, le Seven Seas Navigator (33.000 tonneaux, 245 cabines), il commence à vieillir puisqu'il a été construit en 1999 par T. Mariotti. La maison-mère de Regent, Prestige Cruise Holdings, également propriétaire d'Oceania Cruises, est en négociation avec Fincantieri en vue de commander un nouveau navire, livrable en 2015, avec une option pour un sistership en 2016. Il serait relativement logique que ces deux unités soient dérivées des Marina et Riviera (68.000 tonneaux, 632 cabines), livrés à Oceania en 2011 et 2012 par Fincantieri. Le Marina d'Oceania Cruises (© : MER ET MARINE - JEAN-LOUIS VENNE) Le constructeur italien a également signé un accord avec Viking River Cruises, l'un des leaders mondiaux de la croisière fluviale, qui souhaite se lancer dans les voyages maritimes. L'armateur veut faire réaliser deux unités de 45.000 tonneaux et 499 cabines devant être achevées en mai 2015 et en 2016 (avec un troisième bateau en option). Cette commande avait été initialement placée à Saint-Nazaire mais, à défaut d'un montage financier satisfaisant, Viking a abandonné la France pour se tourner vers l'Italie. Son président, Torstein Hagen, a annoncé récemment qu'il espérait finaliser ce mois-ci le contrat, soumis à l'obtention d'une solution de financement. Fincantieri espère enfin décrocher la commande d'un quatrième navire pour la Compagnie du Ponant, alors que Le Soléal (10.800 tonneaux, 132 cabines), troisième unité du type Boréal, est actuellement en construction pour une livraison à l'été 2013. Le Boréal et L'Austral de la Compagnie du Ponant (© : PHILIP PLISSON) Du côté de la compagnie allemande Hapag-Lloyd Cruises, un nouveau navire, l'Europa 2 (39.500 tonneaux, 258 cabines), vient d'être mis à l'eau chez STX France en vue d'entrer en service en mai 2013. Cet armateur attendra sans doute les premiers retours de ce nouveau vaisseau avant de prendre une décision pour la suite. Mais il est clair qu'Hapag-Lloyd devra, notamment, prévoir le remplacement de ses petites unités, le Bremen (1990, 6700 tonneaux, 80 cabines) et l'Hanseatic (1993, 8400 tonneaux, 88 cabines), notamment dédiées aux croisières d'expédition. Le futur Europa 2 (© : STX FRANCE) On citera enfin le projet de l'entrepreneur parisien Didier Spade qui veut faire construire un nouveau paquebot France, une unité de luxe au design très original disposant de 320 cabines. L'objectif serait de lancer la construction (si possible à Saint-Nazaire dit le porteur du projet) en 2013 pour une mise en service en 2015. Mais avant cela, il faut rassembler quelques 400 millions d'euros ce qui, dans le contexte actuel, est un véritable challenge, surtout pour une compagnie qui doit être montée de toute pièce. (© : LE NOUVEAU FRANCE - BEVIEW) Plus que 14 navires à construire en Europe d'ici 2015 Alors que les projets de paquebots résidentiels semblent renvoyés aux calendes grecques, on voit donc bien que, dans les prochains mois, les commandes seront normalement très peu nombreuses. Evidemment, de très bonnes surprises ne sont pas exclure, ce qui arrive de temps en temps dans l'industrie de la croisière, où les logiques sont parfois complexes. Mais les faits sont là : la période n'est pas propice aux grands investissements. Cela, au moment où le carnet de commandes des constructeurs européens est à son plus bas niveau depuis une quinzaine d'années. On peut donc redouter la fermeture de chantiers en 2013, sauf si les industriels parviennent à compenser la baisse de l'activité dans la croisière par des commandes en diversification, notamment dans le secteur de l'offshore (éolien flottant, navires de forage, sismique...) Moyennant quoi, pour l'heure, les chantiers et leurs sous-traitants demeurent dimensionnés pour la réalisation de paquebots et c'est ce marché qui va, dans l'année qui vient, assurer ou non la pérennité de l'activité. A ce jour, il n'y a plus que 14 navires de croisière à réaliser d'ici le printemps 2015 en Allemagne, en Italie, en France et en Finlande. Le chantier de Papenburg (© : MEYER WERFT) Meyer Werft : De trois à deux livraisons par an Actuel leader mondial du marché, le chantier Meyer Werft de Papenburg compte donc 6 navires à son actif, soit le Celebrity Reflection pour 2012, l'AIDAstella et le Norwegian Breakaway pour 2013, le Norwegian Getaway et le premier Sunshine pour 2014 et, pour le moment, le second Sunshine en 2015. Habitué à livrer précédemment trois paquebots par an, Meyer Werft va donc voir cette cadence se réduire d'un tiers, au moins en 2013 et 2014. Si Celebrity Cruises décide de lancer une nouvelle série, le constructeur allemand a toutes ses chances. Mais l'affaire n'est pas gagnée d'avance, même si le client est satisfait des navires précédemment livrés, comme l'a démontré la commande des futurs AIDA au Japon. Alors que NCL et RCI ne devraient pas recommander immédiatement et que le dernier Disney est parti au printemps, les opportunités paraissent assez réduites, en ce moment, pour Papenburg, qui ne manquera évidemment pas de tenter sa chance sur tous les dossiers susceptibles d'être décrochés, même s'il s'agit de clients de ses concurrents. Le chantier de Monfalcone (© : FINCANTIERI) Fincantieri : Une période très dure mais plusieurs contrats en vue Il en va de même pour Fincantieri, d'autant que le groupe public italien, contrairement à son homologue allemand, fait actuellement face à une imposante baisse de charge. Il ne lui reste en effet plus que cinq navires de croisière à livrer : le Royal Princess en mai 2013, Le Soléal en juin 2013, le sistership du Royal Princess au printemps 2014 et le premier Super Costa en octobre 2014 ; ainsi que le nouveau navire de P&O Cruises en mars 2015. C'est peu, très peu même pour un groupe comptant huit chantiers, dont quatre spécialisés ces dernières années dans la croisière. En fait, seul Monfalcone fonctionne normalement, avec les projets de Princess et P&O. Marghera, qui a livré son dernier paquebot en mai (le Costa Fascinosa) aura la charge du Super Costa et Ancône travaille sur Le Soléal. En revanche, il n'y a plus rien dans la cale de Sestri Ponente, près de Gênes. La situation de Fincantieri est donc très difficile, mais le constructeur italien est sans doute celui qui dispose aujourd'hui des meilleures perspectives de commandes avec le groupe Carnival, Viking, Regent et La Compagnie du Ponant. Il peut en outre s'appuyer sur son activité dans le secteur militaire, pour la marine italienne et à l'export, sans oublier sa volonté de se développer sur le marché des grands yachts et de l'offshore. Le maintien de tous ses sites et des effectifs associés parait toutefois complexe. Le chantier de Saint-Nazaire (© : STX FRANCE - BERNARD BIGER ) STX France : MSC comme probable planche de salut STX France, de son côté, navigue dans le gros temps. En mars et mai 2013, ses deux derniers navires de croisière, le MSC Preziosa et l'Europa 2, quitteront Saint-Nazaire. La baisse de charge, déjà sensible, va continuer d'augmenter dans les prochains mois, la réalisation de deux unités militaires, des bâtiments de projection et de commandement destinés à la Russie (livrables en 2014 et 2015), n'étant pas suffisante pour compenser le trou d'air. Dans le contexte actuel, MSC Cruises demeure la meilleure chance de reprise de STX France avec le projet Vista. Mais, comme on l'a vu, il faudra d'abord solutionner la problématique du financement des nouveaux paquebots, dont le prix sera sans doute situé entre 600 et 700 millions d'euros pièce. Pour cela, il faut du temps, ce dont manque précisément Saint-Nazaire. Et il ne faut pas non plus tenir pour acquis le fait que MSC commande en France, même si la compagnie italo-suisse s'est, jusqu'ici, montrée extrêmement fidèle à Saint-Nazaire. Sauf énorme surprise, le chantier français peut espérer décrocher ce contrat dans les prochains mois, et continuera de chercher d'autres commandes comme de poursuivre sa politique de diversification dans l'offshore et le militaire. En cas de besoin, des contrats liés directement ou indirectement à l'Etat, comme les rouliers des armées, pourraient aussi apporter du travail dans le secteur de la fabrication en attendant des jours meilleurs. Le chantier STX de Turku, en Finlande (© : STX EUROPE) STX Finlande : Turku redémarre Il reste enfin le cas des Finlandais de Turku, qui font comme Saint-Nazaire partie du groupe STX Europe, mais sont dans les faits concurrents. Ce très beau chantier, situé sur les bords de la Baltique, a réalisé entre 2006 et 2010 les cinq plus gros paquebots du monde (classe Freedom et Oasis de RCI), mais a bien failli péricliter peu après. Turku a été sauvé in-extremis par deux commandes : celle d'un grand ferry de croisière doté d'une propulsion au gaz naturel liquéfié destiné à la compagnie finlandaise Viking Line. Il s'agit du Viking Grace, en cours d'assemblage et livrable en janvier 2013. Puis bien sûr le contrat TUI qui donne de la visibilité au chantier jusqu'en 2014, d'autant qu'en toute logique, sauf catastrophe, un sistership de ce paquebot devrait voir le jour. Pour la suite, STX Finlande, comme ses concurrents, se positionnera sur tous les marchés possibles dans la croisière, mais aussi avec son compatriote de Rauma sur celui des ferries, notamment si le Viking Grace et sa propulsion au GNL sont un succès. Le Costa neoRomantica en refonte l'hiver dernier (© : COSTA CROISIERES) Le marché de la rénovation Si les constructions neuves sont limitées actuellement, le secteur de la réparation et surtout de la refonte de paquebots semble en revanche promettre de très belles perspectives. D'abord, parceque l'on constate que très peu de navires partent à la casse. Les « petites » unités anciennes sont généralement revendues à d'autres opérateurs, qui les ré-exploitent à l'issue d'une remise à niveau plus ou moins poussée. Et, dans le même temps, les grands armateurs commencent à devoir rénover complètement leurs premiers gros paquebots, entrés en flotte dans les années 90. Plutôt que de concentrer tous leurs investissements sur les unités neuves, les armateurs préfèrent remettre à niveau leurs « vieux » bateaux, une solution moins coûteuse et logique pour proposer à la clientèle des standards cohérents sur l'ensemble de la flotte. Sans compter que les grands paquebots sont actuellement quasiment invendables sur le marché de l'occasion et que les filiales habituées à récupérer les anciens navires de leurs maison-mères les absorbent avec de plus en plus de difficultés. Navire de Royal en chantier de revitalisation (© : RCI) Dans le secteur des refontes, RCI a entrepris de revitaliser quatre unités de la classe Legend of the Seas et Grandeur of the Seas, un chantier d'une cinquantaine de millions d'euros pas bateau, réalisé notamment en Espagne par Navantia. Costa, de son côté, a mené à bien, cette année, la plus importante refonte du moment, en transformant totalement l'ancien Romantica, devenu Costa neoRomantica à l'issue d'un chantier colossal de 90 millions d'euros réalisé à Gênes par San Giorgio del Porto. L'an prochain, CCL prendra le même chemin avec le Carnival Destiny, qui deviendra Carnival Sunshine après un chantier de 120 millions d'euros chez Fincantieri. Et il y a bien entendu d'autres contrats de ce type à venir, à commencer par les sisterships de ces navires. Le Carnival Destiny sera refondu l'an prochain (© : CCL)

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