Fincantieri devrait très prochainement signer le compromis de vente portant sur l’achat des parts détenues par le groupe sud-coréen STX Offshore & Shipbuilding dans les chantiers de Saint-Nazaire Dans le même temps, les discussions se poursuivent entre le gouvernement français et le groupe italien quant à la composition future du capital de l’entreprise. Alors que la prise de contrôle de STX France par l’un de ses concurrents historiques est redoutée, les positions varient localement entre ceux qui rejettent ce rachat et appelle l’Etat à préempter les parts sud-coréennes, et ceux qui espèrent négocier des garanties pour éviter que le chantier français se fasse, sur le long terme, vider de sa substance.
Hier, la section CFDT de STX France a fait part de son analyse sur la situation. La voici :
"Reprise par Fincantieri, enjeux et perspectives"
A - Les faits
Un "Sale Purchase Agreement" ("Compromis de vente") entre STX O&S (ou plutôt les banques dont la KDB) et Fincantieri devrait être trouvé dans les jours à venir (début mars) comme prévu, les deux parties s'étant entendues sur le prix.
Rappelons que cette cession concerne les 66,67% détenus par STX Europe dans STX France, le reste des actions étant détenu par l'Etat français.
Ce SPA débouche sur le Signing ("Acte de vente") qui entérine la vente, qui ne sera ensuite effective qu'au "Closing" ("Levée des réserves") après, par exemple, avis des autorités de la concurrence (française, européenne ou américaine) si nécessaire.
Ce "compromis de vente" ouvre la voie à deux actions, parallèles, limitées dans le temps :
1 - La procédure d'information/consultation du Comité d'Entreprise
La procédure va pouvoir être lancée et le CE aura alors un mois au maximum pour rendre son avis "motivé".
Cet avis est obligatoire (et suspensif) pour que la vente soit effective.
Mais il ne peut être question d'obstruction puisque, en l'absence d'avis du CE dans le délai, celui-ci sera réputé l'avoir rendu, sauf à démontrer formellement qu'il n'a pas eu les informations nécessaires pour le faire.
Le CE a décidé de se faire accompagner par le cabinet SECAFI durant toute la procédure (au-delà du rendu de l'avis) au travers d'un accord de méthode en négociation finale avec la direction. Cet accord prévoit même un deuxième avis qui sera rendu au moment du Closing pour vérifier que tout ce qui nous a été présenté, des mois auparavant, est toujours respecté.
2 - Le droit à préemption par l'Etat
Le pacte d'actionnaires actuel, entre STX et l'Etat français, prévoit que ce dernier peut racheter "prioritairement" les parts de STX, s'il le considère nécessaire, au prix proposé par l'acheteur (ici Fincantieri pour un montant estimé de 80M€). C'est une "nationalisation" de fait, même si elle se place dans une perspective "temporaire".
B - Les enjeux
1 - L'actionnariat
Durant les deux mois du droit à préemption, l'Etat et Fincantieri vont rediscuter de la répartition du capital. L'Etat a fait savoir à plusieurs reprises - et lors de note dernière entrevue encore - qu'il ne souhaitait pas que Fincantieri détienne à lui seul la majorité absolue (plus de 50% des parts). Les discussions sont bien évidemment tendues sur ce sujet, les italiens souhaitant rester maîtres "chez eux". Cette partie de bras de fer se joue aussi entre Etats et la part politique, plus qu'économique, est prépondérante... avec toujours la menace de préemption si aucun accord n'était trouvé, ce qui serait un constat d'échec !
L'Etat souhaite faire rentrer DCNS au capital, éventuellement les armateurs (du bout des lèvres) dans un tour de table qu'il déclare ouvert à d'autres partenaires.
Le calendrier n'est pas anodin non plus... avec un SPA début mars, le délai court jusqu'au début mai... c'est à dire en plein dans les échéances électorales en France qui font que, traditionnellement, plus rien de crucial ne se décide dans les ministères durant plusieurs semaines.
De plus, quelle majorité sortira des urnes ? Tendance protectionniste et souverainiste qui remettrait en cause la vente, tendance libérale plutôt favorable à une solution européenne ?
Dans cette incertitude, Fincantieri et l'Etat français, ont donc tout intérêt à ce que le dossier soit bouclé d'ici là par un accord. Sinon Fincantieri perd Saint-Nazaire - un chantier très intéressant et "pas cher" - et l'Etat se retrouve avec un chantier "nationalisé" de fait.
Si l'Etat souhaite ensuite revendre ses parts, il lui faudra alors trouver un ou des nouveaux acquéreurs.
Mais nous l'avons bien vu, les candidats au rachat de Saint-Nazaire ne se sont pas précipités – trois prétendants - et au final il n'en est resté qu'un pour faire une offre - très basse d'ailleurs - ce qui a surpris tout le monde et certainement Fincantieri le premier !
N'oublions pas non plus, qu’en cas d'échec - Fincantieri "jetant l'éponge", sans préemption de l'État - cela relancerait le processus de vente et que d'autres "prédateurs", bien plus dangereux, sont toujours aux aguets...
Alors qui demain pour nous racheter après cette préemption ?...
Non pas que ce soit une question de prix, 80M€ ça peut se trouver...
Mais qui avec une envergure industrielle et financière suffisante lorsqu'il va falloir aller emprunter, sur les marchés, une dizaine de milliards d'Euros pour construire nos bateaux en commandes dans les dix ans à venir. En effet n'oublions pas que, généralement, 80% du prix de vente est payé à la livraison et donc qu'il faut bien avancer cet argent durant toute la durée de la construction.
Alors qui ?
De grands industriels français ?
Ils ne se sont pas beaucoup précipités jusqu'ici et, sauf à "tordre quelques bras", cela parait illusoire et surtout ça ne s'inscrit pas dans ce temps et cette stabilité dont nous avons besoin dans notre métier.
Un actionnariat citoyen, tel que la CFDT l'a toujours appelé de ses voeux (entreprises, collectivités, citoyens, salariés)?
S'il est réalisable, malheureusement il n'aura pas, à lui seul, une "envergure" suffisante pour assurer la confiance des armateurs et des banques.
Il faudrait, idéalement, un peu des deux mais notre "industriel de référence" resterait encore à trouver !
Pour conclure, le risque, finalement, est que personne ne nous rachète... et que l'Etat reste seul à la barre. Or il n'a jamais été démontré, qu'en matière industrielle, à l'heure de certains choix vitaux, l'Etat était un bon décideur, ce qui a été confirmé par la Cour des Comptes dans un récent rapport !
Et puis bien souvent, les calendriers politiques et industriels sont en décalage, avec des enjeux divergents ("Pour un politique, un problème décalé, c'est un problème réglé. Pour un industriel, c'est un problème qui s'aggrave" pour reprendre les propos de P.Kron ancien PDG d'Alstom dans une interview récente).
2 - Le projet industriel
Alors, Fincantieri peut-il être cet industriel de référence ?
C'est ici que son projet industriel prend toute sa mesure et que la CFDT, au travers de la procédure d'information/consultation du CE, souhaite connaitre au plus tôt.
Que Fincantieri souhaite-t-il faire de Saint-Nazaire ?
Un chantier qui garde son autonomie en tous points sur son carnet (mix produit : navires à passager, militaire, EMR), sur ses savoir-faire (devis, ingénieries technique et financière), son management ?
Ou un chantier qui ne devient qu'un "atelier" de réalisation de grands paquebots, avec sa grande cale ?
C'est sur ce projet industriel que la CFDT a le plus d'exigences, car la composition de l'actionnariat à elle seule ne peut nous apporter toutes les garanties.
Des exigences qu'elle souhaite voir inscrites dans le pacte et les accords entre actionnaires, et y avoir accès pour s'assurer de l'engagement de toutes les parties.
C'est pour cela que la CFDT milite pour qu'il y ait une représentation plus large des salariés au conseil d'administration (la loi ne prévoit qu’un seul administrateur salarié) par une distribution/acquisition d'actions, voire d’aller vers une part d'actionnariat citoyen que nous avons déjà appelé de nos voeux.
Bien évidemment des engagements n'ont de valeur que si chaque partie les respecte, mais ce sont plus que de simples promesses et, en cas de décision contraire à leurs intérêts, les représentants et les salariés seront informés et pourront alors agir au lieu de subir !
Les salariés italiens l'ont bien prouvé il y a quelques années lorsque, souhaitant fermer trois de leurs huit chantiers, leur mobilisation et la pression politique aidant, Fincantieri a fait machine arrière !
C - Quels sont ces risques ?
1 - Le premier c'est le maintien ou non de l'autonomie de Saint-Nazaire.
Il ne faut pas trop se leurrer non plus, un rapprochement entre deux entreprises quelles qu'elles soient, crée forcément des "synergies" et des doublons dans certains domaines avec un impact négatif sur les effectifs.
Mais perdre des savoir-faire comme établir le devis d'un paquebot, concevoir le montage financier, etc.., nous ramènerait à n'être qu'un simple "atelier" dépendant totalement des italiens.
2 - Sur le plan industriel
Il est aussi concevable que des échanges de charge puissent s'effectuer, c'est dans l'ordre des choses.
Mais cela ne doit pas se faire à notre détriment. Pas question de voir les navires "à charge" construits chez nous et les navires "à marge" construits en Italie. Pas question non plus, qu'en cas de retournement de conjoncture, Saint-Nazaire devienne la variable d'ajustement de la charge de travail, en faveur des chantiers italiens.
Qu'en sera-t-il aussi des énergies renouvelables, source pour Saint-Nazaire de diversification ? Fincantieri souhaitera-t-il continuer dans ce domaine, décidera-t-il de s'en débarrasser pour se recentrer ?
3 - La stratégie de Fincantieri avec la Chine inquiète aussi...
Au-delà du transfert de technologies (les chinois ont largement prouvé qu'ils pouvaient les "acquérir" quand ils le voulaient), c'est le transfert de savoir-faire qui représente un risque pour notre métier. Une grande part de ce savoir-faire réside dans notre réseau de sous-traitance. Rien n’empêcherait que chacune de ces entreprises crée une filiale en Chine et "duplique" là-bas un modèle qui a fait ses preuves ici... Comment s'y opposer alors qu'effectivement le marché chinois de la croisière est le plus prometteur et que logiquement, les chinois en souhaitent leur part ?
C'est pour chacun de ces risques, que la CFDT souhaite que des garanties soient inscrites dans le pacte et les accords entre actionnaires... A charge, pour nous de les faire respecter ensuite.
D - Mais il y a aussi des opportunités qu'il ne faut pas oublier
Ce regroupement fera du groupe un nouveau poids lourd de la construction navale européenne mais aussi mondiale avec un savoir-faire reconnu dans les navires à forte valeur ajoutée, tant dans le civil que le militaire.
1 - Cela permettra donc de peser dans les négociations, tant avec les clients - ce qui pourrait faire enfin remonter le prix de vente des bateaux - qu'avec les banques pour les financements et qu'avec les fournisseurs par une puissance d'achats bien supérieure. En effet la construction navale, de paquebots en particulier, est une industrie à faible marge parce qu'elle est justement prise en étau entre ces "groupes de pression" sans beaucoup de marges de manoeuvre.
Mais coté armateurs, le risque est aussi plus grand de les voir se tourner alors vers l'Asie parce qu'un duopole (Meyer Werft / Fincantieri) ne leur conviendra plus pour tirer justement les prix vers le bas.
2 - Sur le plan industriel, les compétences de l'ingénierie de Saint-Nazaire sont reconnues et cela nous ouvre des perspectives alors que notre bureau d'études risque bientôt la sous-charge avec un carnet de commande rempli de navires répétitifs et peu de prototypes.
E - Conclusion
Pour la CFDT, même si le scénario Fincantieri n'était pas notre préféré, il a au moins le mérite d'être européen à défaut d'être franco-français.
Il y a des risques bien évidemment, comme pour tout projet industriel, mais n'est-ce pas préférable à un "vide" en cas d'échec des négociations entre Fincantieri et l'Etat, qui nous mettrait encore dans une période d'incertitude qui n'est pas bonne, ni pour les affaires ni pour les salariés !