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Compter de nouveau le numéro 2 mondial de la croisière dans sa clientèle est, pour STX France, un atout considérable. Car cette confiance retrouvée permet à Saint-Nazaire de renouer avec l’armateur le plus innovant du marché et facilite le positionnement du constructeur tricolore sur les futurs projets de Royal Caribbean Cruises Ltd. Dans cette perspective, les raisons invoquées le 9 mai par Richard Fain pour justifier la décision du groupe américain de faire construire dans l’estuaire de la Loire un quatrième paquebot géant de la classe Oasis of the Seas constituent un signe très fort : « La première fois (commande du troisième Oasis en décembre 2012, ndlr), nous avions choisi Saint-Nazaire du fait d’un arrangement financier. Cette fois, c’est en raison des capacités d’innovation et de l’esprit de coopération dont le chantier fait preuve ». Un bel hommage rendu par le président de RCCL aux équipes de STX France, qui entérine donc le grand retour de ce client historique, avec lequel Saint-Nazaire est entré dans l’ère des grands paquebots modernes il y a 30 ans.  

 

 

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© STX FRANCE

Le Sovereign of the Seas quittant Saint-Nazaire en 1988 (© STX FRANCE)

 

 

Le grand retour d’un client historique

 

 

De 1985 à 2002, RCCL fut présent à Saint-Nazaire, faisant d’abord construire la série des trois Sovereign of the Seas, ainsi que le Nordic Empress, puis les quatre unités des classes Legend of the Seas et Rhapsody of the Seas. C’est avec la série des quatre Millenium, destinés à Celebrity Cruises, l’une des filiales du groupe, que la lune de miel avait pris fin. Très innovants pour l’époque, ces navires ont fait les frais du manque de maturité des tout nouveaux moteurs de type pod développés à l’époque par Rolls-Royce et Alstom (alors maison-mère des chantiers nazairiens). Ces machines subirent de nombreuses avaries, immobilisant les Millennium à de multiples reprises et provoquant la colère de Royal Caribbean, qui porta finalement l’affaire devant les tribunaux. Suite à cette brouille, il aura fallu attendre 10 ans pour voir le géant américain revenir en France, toutes ses commandes étant dans l’intervalle confiées aux Allemands et aux Finlandais.

 

 

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© STX FINLAND

L'Oasis et l'Allure en construction à Turku en 2008 (© STX FINLAND)

 

 

L’improbable commande de l’Oasis 3

 

 

C’est fin décembre 2012 que la bonne nouvelle est tombée, STX annonçant la signature de l’Oasis 3, appelé à devenir le plus gros paquebot du monde. Toutefois, la reconquête définitive de RCCL n’était pas encore gagnée car le chantier avait, en quelque sorte, remporté la commande par défaut. L’armateur devait, en effet, confier la réalisation de ce nouveau géant à STX Finland, les deux premiers navires de ce type ayant été réalisés à Turku et les Finlandais ayant largement contribué à la décision de l’armateur américain de prolonger la série. Seulement voilà, après avoir convaincu RCCL de commander un troisième Oasis, les Finlandais ne sont pas parvenus à trouver une solution de financement suffisamment attractive pour leur client. Les Français, seuls autres Européens à disposer d’infrastructures assez grandes pour un tel projet, sont alors, dans le plus grand secret, entrés en scène avec une offre alternative, qui a finalement séduit RCCL.

 

 

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© RCI

L'Oasis of the Seas (© RCCL)

 

 

Un sistership qui n’était pas gagné d’avance

 

 

C’est donc en France que l’armateur a signé le contrat d’un milliard d’euros, assorti d’une option pour un navire supplémentaire. Trop facilement considérée comme acquise par certains, cette option n’était pas une évidence. D’abord, les Finlandais, toujours fournisseurs de RCCL via les deux paquebots commandés pour sa filiale allemande TUI Cruises, avaient toujours la possibilité de se remettre en selle. Et puis il y avait l’Allemand Meyer Werft, qui réalise une nouvelle génération de navires pour Royal Caribbean, les Quantum of the Seas, dont la tête de série sera livrée en octobre prochain. Or, après avoir notifié une première paire de Quantum en 2011, RCCL a signé avec Meyer Werft, en mai 2013, la commande d’une troisième unité de ce type. Il s’agit de paquebots de très forte capacité (2090 cabines) dont le gabarit moindre que celui des Oasis (2700 cabines) limite les contraintes d’exploitation, notamment au niveau des infrastructures portuaires. De là, il était permis de se demander si l’armateur n’allait pas faire un choix stratégique en sacrifiant son projet de quatrième Oasis pour privilégier l’allongement de la série Quantum, plus facile à déployer ailleurs que dans les Caraïbes. RCCL pouvait aussi opter pour un design différent, ce que lui avait d’ailleurs proposé Meyer Werft en 2012 comme alternative aux Oasis.

 

 

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© RCI

Le futur Quantum of the Seas (© RCCL)

 

 

Le succès de géants qui vont pouvoir se déployer à travers le monde

 

 

L’armateur américain a, néanmoins, décidé d’acter la construction de l’Oasis 4 pour plusieurs raisons. D’abord, les deux premiers rencontrent depuis leur mise en service, en 2009 et 2010, un succès considérable aux Etats-Unis. Ces paquebots gigantesques, dotés d’une variété d’équipements et d’animations encore jamais atteinte, séduisent une large clientèle et se révèlent très rentables. Dans le même temps, Royal Caribbean estime que de tels navires peuvent désormais être exploités en dehors du marché US. « La classe Oasis est à la pointe de l’industrie, la satisfaction de clients est très importante, les équipages les aiment et ils génèrent de forts bénéfices pour les actionnaires. Les prochains navires de la série seront important pour le succès et le développement de Royal Caribbean, pas seulement dans les Caraïbes, mais aussi dans d’autres parties du monde. Ils augmenteront notre capacité à nous déployer vers tous les marchés intéressants », explique Adam Goldstein, directeur général de RCCL. La première cible est l’Europe. Après un test réussi cette année avec la commercialisation de quelques traversées sur l’Oasis of the Seas en septembre et octobre, en marge de son premier gros arrêt technique à Rotterdam, la compagnie a décidé de déployer en Méditerranée l’Allure of the Seas pour toute la saison estivale 2015. La zone d’action de ces géants est donc en train de s’élargir, au point même que RCCL n’exclue pas de positionner un jour une unité de ce type sur le marché chinois, qui devrait connaitre une croissance considérable. « Le marché chinois va passer de 700.000 passagers actuellement à plus de 2 millions en 2020 (les autorités chinoises visent 4.5 millions de croisiéristes en 2020, ndlr). Il y a un grand potentiel puisque une partie importante de la population habite dans des villes proches de grands ports. Et il y a aussi une grande variété d’itinéraires, avec par exemple Taïwan et le Vietnam, qui permettent de proposer des croisières courtes (très prisées sur le marché asiatique, ndlr). Nous allons déjà renforcer notre présence sur ce marché en 2015 en y introduisant le Quantum of the Seas, qui offrira une fantastique expérience aux clients asiatiques », souligne Adam Goldstein, qui n’écarte pas la possibilité de déployer un Oasis en Chine dans les années qui viennent, si l’évolution du marché s’y prête. « Pourquoi pas, nous ne fermons aucune porte », confie le numéro 2 de RCCL.

 

 

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© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU

Sur le premier bloc de l'Oasis 3 (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)

 

 

La qualité du travail nazairien reconnu

 

 

Pour RCCL, la croissance du marché justifiait donc la commande d’un quatrième Oasis. Un projet qui a été rendu possible grâce à plusieurs facteurs. Economique bien sûr, puisqu’il a fallu proposer une offre attractive à l’armateur tout en assurant la rentabilité du contrat, ce en quoi le récent plan de compétitivité mis en place aux chantiers a contribué, ainsi que la mise en service du nouveau portique, qui permet d’optimiser la phase de réalisation. Mais la commande s’est aussi faite sur des aspects techniques et humains. En clair, la capacité des équipes de STX France à reforger des liens solides avec leur client et lui proposer des solutions innovantes. « Il y a un an et demi, nous avions signé l’accord pour la réalisation de l’Oasis 3. Depuis, beaucoup d’efforts ont été réalisés des deux côtés et nous avons vu le projet se développer de manière très positive et innovante. L’Oasis 3, qui était initialement une décision commerciale, est devenu le témoin de ce que peuvent accomplir deux partenaires lorsqu’ils travaillent collectivement. Aujourd’hui, l’Oasis 4 démontre combien nous sommes satisfaits et confiants dans la France et ses chantiers », a déclaré Richard Fain le 9 mai lors de la mise sur cale de l’Oasis 3. Cette reconnaissance a, évidemment, été appréciée à sa juste valeur par les personnels de STX France. Car, ici, chacun sait que Richard Fain est un grand professionnel de la croisière et un fin connaisseur des chantiers, y compris de Saint-Nazaire, puisqu’il était déjà là à l’époque du Sovereign of the Seas.

 

 

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© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU

Pose du premier bloc de l'Oasis 3 (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)

 

 

Depuis la fin 2012, les équipes de STX travaillent en étroite collaboration avec le service technique de RCCL, réputé comme le meilleur de l’industrie, pour accoucher d’un projet hors normes. Car il ne faut pas s’y tromper, si l’Oasis 3 est présenté comme un troisième de série et qu’il reprend le design général de ses aînés, il s’agit plus d’un prototype que d’une unité répétitive. Non seulement les plans fournis par les Finlandais n’ont, semble-t-il, pas pu être aussi bien exploités que prévu mais, comme nous l’expliquons dans l’article consacré à la commande de l’Oasis 4, les parties techniques ont été profondément modifiées, notamment au niveau de la propulsion et de la génération d’énergie. Avec de nouvelles solutions devant se traduire par un gain de 20% sur la consommation énergétique du navire par rapport à l’Oasis et l’Allure of the Seas. « C’est le premier défi relevé par nos équipes. Grâce au soutien à l’innovation, notamment via le programme des Investissements d’avenir mis en place par le gouvernement Ayrault, nous avons pu développer une solution inédite qui fera de l’Oasis 3 le paquebot au plus faible impact économique et environnemental par passager », affirme Laurent Castaing, directeur général de STX France.

 

C’est précisément ces avancées technologiques, tout comme l’esprit dans lequel les équipes ont travaillé, qui a séduit et enthousiasmé l’armateur. A charge maintenant aux chantiers nazairiens de poursuivre sur cette lancée et de mener à son terme un projet « énorme », comme le qualifie Adam Goldstein. « Ce sera difficile, il y a encore beaucoup de travail devant nous mais c’est un projet magnifique », estime pour sa part Laurent Castaing.

 

 

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© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU

Laurent Castaing et Adam Goldstein (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)

 

 

D’autres bateaux en perspective ?

 

 

De la conduite du projet et de la continuité des bonnes relations entre Saint-Nazaire et RCCL peuvent, évidemment, dépendre de futurs contrats. Car le numéro 2 mondial de la croisière a des besoins constants pour ses différentes filiales. La plus importante, Royal Caribbean International, dispose de 21 paquebots, alors que Celebrity Cruises aligne 11 navires (dont les 4 Millennium) et Pullmantur 5 bateaux, y compris l’Horizon et le Zenith, exploités pour le compte de Croisières de France, la marque tricolore de la filiale espagnole de RCCL. Le groupe comprend aussi une compagnie haut de gamme,  Azamara Club Cruises, dotée de deux navires, en l’occurrence deux anciens Renaissance réalisés à Saint-Nazaire en 2000. Enfin, l’armateur américain est présent sur le marché germanique avec TUI Cruises, une société commune créée avec le voyagiste allemand TUI et qui compte deux paquebots.  

 

 

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© CELEBRITY CRUISES

Paquebot de la classe Solstice (© CELEBRITY CRUISES)

 

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© STX FINLAND

Le nouveau Mein Schiff 3 de TUI Cruises (© STX FINLAND)

 

 

La flotte de RCCL se compose donc, en tout, de 41 navires. Côté commandes, 7 paquebots sont en chantier, soit les trois Quantum chez Meyer Werft, qui les livrera entre 2014 et 2016 et espère voir prolongée la série, les Oasis 3 et 4, qui entreront en service en 2016 et 2018, ainsi que deux nouvelles unités pour TUI, livrables cette année et l’an prochain par STX Finland. Pour la suite, les réflexions sont en cours. « Nous n’avons pas lancé d’autre projet pour l’instant. Ces dernières années, nous avons fait construire cinq navires de la classe Solstice pour Celebrity Cruises et c’est maintenant au tour de RCI de bénéficier de nouveaux investissements », explique Adam Goldstein. Concernant Celebrity, elle va perdre l’an prochain le Century, qui sera basculé chez Pullmantur pour rejoindre CDF où il remplacera le Zenith. Axée sur le segment premium, la compagnie, qui a pris livraison de son dernier Solstice en 2012, doit également préparer l’avenir, en assurant à la fois son développement et en commençant à songer au remplacement des Millennium, mis en service entre 2000 et 2002.

 

 

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© MER ET MARINE - JEAN-LOUIS VENNE

L'Azamara Quest (© MER ET MARINE - JEAN-LOUIS VENNE)

 

 

Quant à Azamara, des choix vont devoir être faits, surtout que le marché du luxe voit arriver une nouvelle génération de navires et que les Azamara Quest et Azamara Journey vont bientôt avoir 15 ans. « Nous n’avons jamais construit de bateaux neufs pour Azamara. Les navires actuels sont bons et appréciés par les clients mais la question va se poser », reconnait Adam Goldstein, sans toutefois préciser l’échéance d’un éventuel remplacement.

Des opportunités devraient donc émerger à plus ou moins long terme pour les chantiers et Saint-Nazaire ne manquera de se positionner, tout comme ses concurrents, à commencer par Meyer Werft, qui nourrit également d’excellentes relations avec RCCL. 

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