STX France confirme et amplifie son redressement avec la signature d’une lettre d’intention portant sur la commande, pour 1.2 milliard d'euros, de deux nouveaux paquebots destinés au groupe RCCL. Après les deux géants de la classe Oasis of the Seas (361 mètres, 227.000 GT, 2700 cabines), qui seront livrés à Royal Caribbean International (RCI) en 2016 et 2018, c’est pour une autre filiale de l’armateur américain, Celebrity Cruises, que les chantiers nazairiens vont désormais travailler. Livrables à l’automne 2018 et début 2020, les deux unités du projet Edge mesureront 300 mètres de long pour 38 mètres de large. Affichant une jauge de 117.000 GT, ces navires compteront 1450 cabines, soit une capacité en base double de 2900 passagers.
De superbes vaisseaux en perspective, Celebrity Cruises étant la marque premium de RCCL, c'est-à-dire un produit haut de gamme. « STX France conçoit et construit parmi les plus innovants et somptueux navires au monde. Le projet Edge leur offre l’opportunité d’établir une fois de plus un nouveau standard s’inscrivant dans une interprétation architecturale contemporaine. Sur ce navire emblématique, nos passagers pourront accéder aux destinations les plus incontournables au monde tout en vivant une expérience unique de luxe à bord », affirme Michael Bayley, président de Celebrity Cruises, qui ne souhaite pas, pour l’heure, entrer plus avant dans les détails et révéler le design de ses futurs bateaux.

Le chantier de Saint-Nazaire (© STX FRANCE)
Apre bagarre avec les autres chantiers européens
Dans les tuyaux depuis un bon moment, cette commande a fait l’objet d’une très vive compétition entre Saint-Nazaire et ses concurrents européens, à commencer par l’Allemand Meyer Werft. Toujours fournisseur de RCCL, avec la livraison à RCI, en octobre dernier, du Quantum of the Seas (167.800 GT, 2090 cabines), qui sera suivi en 2015 et 2016 par deux sisterships, le chantier de Papenburg a aussi produit la dernière série de cinq paquebots de Celebrity Cruises. Il s’agit des Solstice (projet Challenger), unités de 122.000 à 126.000 GT et de 1443 à 1515 cabines livrées entre 2008 et 2012. Rien de surprenant donc à ce que les Allemands aient tout mis en œuvre pour enchainer avec le projet Edge. « Nous sommes particulièrement heureux, c’est une belle victoire de STX France car il y a eu une vraie bagarre avec les autres chantiers. Tout le monde s’est mobilisé et nous avons réussi à distancer nos compétiteurs avec intelligence », se félicite Laurent Castaing. Pour le directeur général de STX France, plusieurs facteurs ont présidé au choix de RCCL et de sa filiale : « Il y a d’abord le fait que cela se passe très bien sur l’Oasis 3. Ensuite, l’armateur veut un bateau vraiment différent avec beaucoup de choses nouvelles. Nous avons fait un certains nombre de propositions et plusieurs innovations ont été retenues. Le client a également insisté sur la maîtrise de la consommation en carburant, un domaine où nous avons développé des solutions très efficaces, qui nous permettent de nous engager sur des chiffres très faibles ». Et puis il y a bien entendu eu la question cruciale du financement. Avec une approche originale par rapport aux montages traditionnels, qui a permis, tout en étant conformes aux règlementations de l’Europe et de l’OCDE, de se démarquer de la concurrence. « Nous nous sommes inspirés d’un mode de financement intelligent initié avec les Oasis. Bercy s’est fortement impliqué et nous avons le soutien de la Coface », précise Laurent Castaing, volontairement laconique sur le sujet puisqu’il ne veut bien sûr pas dévoiler les secrets de cette nouvelle « recette ».
Les efforts de compétitivité payent
La compétition avec les concurrents européens, à commencer par Meyer Werft et sa nouvelle filiale finlandaise de Turku (où RCCL est aussi client avec les nouveaux paquebots de sa branche allemande TUI Cruises), fut également l’occasion de constater que les écarts tarifaires entre chantiers étaient insignifiants. « Nous nous sommes aperçus que nous finissons dans un mouchoir de poche avec les autres compétiteurs du nord de l’Europe. Nous avons aujourd’hui le même niveau de prix ». C’est pourquoi, quand on lui demande si les efforts de compétitivité réalisés dernièrement au sein du chantier ont été déterminants pour engranger cette nouvelle commande, le patron de STX France répond clairement par l’affirmative.
11 millions d’heures de travail et des embauches en perspective
En termes de charge, les deux futurs paquebots de Celebrity Cruises vont générer 11 millions d’heures de travail pour STX France et ses sous-traitants (dont 6 pour le premier navire, qui intègre les études), soit un peu plus qu’un géant de la classe Oasis (10 millions d’heures). Avec, mécaniquement, des retombées positives pour l’emploi et l’économie locale. « Cette commande va renforcer notre plan de recrutement. Nous avons déjà embauché 250 personnes ces deux dernières années et 50 autres le seront début 2015 », précise Laurent Castaing, à la tête d’une entreprise forte de 2500 salariés en France, dont 2200 pour le chantier de Saint-Nazaire. Après une période difficile, le retour d’un cycle favorable s’est amorcé en 2013 suite à la commande à la toute fin de l’année précédente d’un premier paquebot géant de la classe Oasis of the Seas. Ce navire, connu sous le nom de « A34 » sur les bords de Loire, sera livré en avril 2016 et suivi d’un sistership (B34), qui doit entrer en flotte en 2018. En parallèle, STX France va réaliser les deux Vista (E34 et F34) commandés par MSC Cruises au printemps. Ces deux vaisseaux de 168.000 GT et 2250 cabines seront opérationnels en mai 2017 et avril 2019.

Paquebot du type Oasis of the Seas (© MER ET MARINE - KEVIN IZORCE)
Entre deux très gros paquebots pour compléter le plan de charge
En plus d’accroître le carnet de commandes du chantier, les deux unités du projet Edge sont d’autant plus intéressantes qu’elles peuvent s’intercaler, compte tenue de leur taille moins importante, entre les mastodontes de RCI et MSC. « Sur le plan industriel, cette commande est une très bonne nouvelle pour le chantier car nous pouvons être amenés à avoir des hauts et des bas entre deux très grands navires. Or, cette fois, nous pouvons placer le projet entre les gros paquebots ». Alors que la construction du premier navire de Celebrity Cruises doit débuter à l’été 2016 et celle du second un an plus tard, le plan de charge sera, ainsi, plus constant, permettant d’optimiser l’ensemble des projets et d’assurer une pleine activité jusqu’en 2019 au moins. Car d’autres contrats sont en cours de discussion pour prendre la relève. S’il n’y a pas d’option prévue au contrat Edge, compte tenu du fait que les bateaux seront livrés dans un délai assez long, deux Vista supplémentaires sont toujours en projet pour MSC, qui prévoit de les réceptionner entre 2020 et 2022.
Le client historique revient durablement à Saint-Nazaire
On soulignera que, pour Saint-Nazaire, cette commande entérine la confiance retrouvée de RCCL, armateur avec lequel le chantier a survécu à la fin des années 80 en se lançant sur le marché des paquebots de croisière. Après la livraison du Sovereign of the Seas, en 1987, 11 autres navires ont été livrés au groupe américain, dont les quatre Millennium de Celebrity Cruises, achevés entre 2000 et 2002. Un contrat malheureusement entaché par le manque de fiabilité des nouveaux moteurs de type pod développés à l’époque par Rolls-Royce Alstom (alors maison-mère des Chantiers de l’Atlantique). Avec au final de nombreux problèmes techniques et une brouille entre RCCL et Saint-Nazaire qui priva durant 10 ans le chantier français de son client historique. C’est avec la commande de l’Oasis 3, en décembre 2012, que les liens se sont renoués. Les Français ont ensuite fait ce qu’il fallait pour regagner la confiance de l’armateur américain. La confirmation de l’Oasis 4, en mai dernier, pouvait signifier que son aîné ne résultait pas d’un simple concours de circonstance mais que RCCL, manifestement satisfait, envisageait de revenir durablement sur les bords de Loire. En lui confiant désormais les nouvelles unités de Celebrity Cruises, le groupe vient de le prouver de la plus belle des manières, en tournant définitivement et officiellement la page des anciens déboires qu’a connus cette compagnie. A STX France, maintenant, de relever le défi et de ne pas décevoir celui qui est redevenu hier soir son principal client. Un challenge dont Laurent Castaing mesure parfaitement l’importance : « En choisissant STX France, notre client confirme sa satisfaction à l’égard du déroulement des contrats en cours, et, par ailleurs, gratifie l’audace de notre capacité d’innovation qui s’est exprimée dans tous les domaines au travers de ce projet. En renouvelant sa confiance dans notre chantier et en nous permettant de produire la prochaine classe de navires de Celebrity Cruises, RCCL renforce notre partenariat et nous allons lui donner toutes les raisons d’en être satisfait ».

L'Oasis 3 en cours d'assemblage (© STX FRANCE - BERNARD BIGER)
La diversification toujours considérée comme stratégique
Même s’il convient, comme toujours, d’attendre que la lettre d’intention se transforme en commande ferme suite au bouclage du montage financier (ce qui est prévu dans les 3 mois), l’évident rebond de la construction de paquebots à Saint-Nazaire donne au chantier français, pour la première fois depuis longtemps, une meilleure visibilité que celles de ses concurrents. La situation de ce très beau carnet de commandes, qui culmine désormais à plus de 4.5 milliards d’euros hors options, valide aussi la stratégie de diversification du chantier, qui a anticipé la saturation de son outil industriel en lançant la construction d’une nouvelle usine dédiée aux énergies marines. « Malgré toutes les commandes que nous enregistrons dans la croisière, le travail de diversification se poursuit plus que jamais », insiste le patron du chantier. Pour la première fois, le constructeur français n’attend pas d’être au creux de la vague pour développer une activité annexe permettant de compenser l’aspect cyclique des commandes de paquebots. Il profite au contraire d’une période d’embellie pour investir et doter ses nouvelles activités de moyens propres, ce qui les rend autonomes vis-à-vis du plan de charge de la forme de construction et des ateliers traditionnels. A cet effet, l’usine Anemos sera opérationnelle à l’été 2015. Dédié notamment à la réalisation de fondations métalliques de type jacket, de sous-stations électriques et de pièces de transition d’éoliennes offshore, ce nouveau pôle industriel, qui se positionne aussi sur l’offshore pétrolier et gazier ainsi que d’autres types d’EMR, comme l’hydrolien et le houlomoteur, présente un beau potentiel. Grâce à cet outil, STX France espère transformer l’essai des premiers contrats réalisés dans les énergies marines (jacket pour le prototype d’éolienne offshore Haliade 150 d’Alstom, sous-station électrique pour Dong et module destiné au FPSO Girassol de Total). La conclusion de nouvelles commandes est espérée au printemps, ce qui permettrait de lancer la production sur Anemos dès que la nouvelle usine sera achevée.

Eléments de la sous-station électrique livrée à Dong (© STX FRANCE - BERNARD BIGER)
Le moment ou jamais d’acheter ?
Fort de son carnet de commandes plein pour quasiment cinq ans et bénéficiant de belles perspectives en matière de diversification, dont la direction souhaite qu’elle représente jusqu’à 20% du chiffre d’affaires à partir de 2020, STX France est donc à l’aube de ce qui ressemble de plus en plus à un nouvel âge d’or. Cela, au moment où le chantier est à vendre, son actionnaire principal (66.66%), le groupe sud-coréen STX Offshore & Shipbuilding, souhaitant se désengager. Avec les dernières commandes pour RCI et MSC, l’entreprise avait déjà meilleure allure, surtout que sa situation financière est seine, qu’elle a de la trésorerie et que sa modernisation a été menée à bien. Avec en plus le projet de Celebrity, la mariée est aujourd’hui encore plus belle. Ce qui repose d’ailleurs la question d’une reprise en main par des intérêts français. Si la navale fait peur à certains et que sa rentabilité demeure faible, elle se révèle tout de même aujourd’hui comme l’une des rares industries en pleine reprise. De quoi, peut être, inciter un groupe français à rejoindre l’Etat (actionnaire à 33.34%) au capital et, ainsi, éviter une nouvelle fois que ce fleuron national passe sous un autre pavillon étranger.