Alors que l’armateur italo-suisse est semble-t-il en passe de signer la plus grosse commande de son histoire, les syndicats de Saint-Nazaire sont confrontés à un choix cornélien : Soit accepter de négocier un accord sur la compétitivité, qui imposera des efforts aux salariés mais permettrait de réduire le prix proposé à MSC et, ainsi, de décrocher la commande. Ou bien refuser la remise en cause ou l’évolution de certains acquis sociaux avec, dans ce cas, le risque de voir le principal client de STX France partir à l’étranger. Une hypothèse qui, très clairement, obèrerait sérieusement la pérennité du chantier français, dont l’avenir va peut-être se jouer dans les jours qui viennent.
Plusieurs dizaines de millions à gagner
Estimée à un milliard et demi d’euros, la méga-commande MSC, qui porte sur deux grands paquebots de 2000 cabines d’un nouveau type (projet Vista), livrables entre 2017 et 2019, assurerait à l’entreprise un plan de charge significatif et une visibilité sur plusieurs années. D’autant que deux autres navires de ce type pourraient compléter la série. On sait l’armateur, qui a fait réaliser à Saint-Nazaire l’intégralité des 10 paquebots qu’il a commandés (livrés entre 2003 et 2013), très attaché à STX France. Mais en affaires, l’aspect économique est évidemment crucial et c’est là que le bât blesse actuellement. La proposition du chantier français serait trop élevée, de plusieurs dizaines de millions d’euros dit-on. Or, le Conseil d’administration de l’entreprise a refusé, dans le contexte actuel, que l’offre soit revue à la baisse, craignant une vente à perte. La direction a donc remis sur la table son projet d’accord sur la compétitivité. L’objectif est d’économiser annuellement, par ce biais, 5 millions d’euros sur une période de six ans. Des gains qui permettraient de proposer une offre plus convaincante à MSC, mais aussi à la compagnie américaine Royal Caribbean International, qui doit affermir ou non, dans les prochains mois, la commande d’un nouveau paquebot géant de la classe Oasis (2700 cabines), livrable en 2018. Cela alors que le premier, signé en décembre 2012 et devant être achevé au printemps 2016, a été engrangé à un prix très bas, rendant la rentabilité du projet délicate. Un risque que l’entreprise et ses actionnaires ont accepté de prendre compte tenu de la situation du chantier à l’époque, mais qu’ils ne peuvent renouveler sur les prochains projets. Sauf à mettre en péril la trésorerie, obérer les capacités de financement indispensables à la signature de nouveaux contrats et ne plus être en mesure de lancer les investissements nécessaires au développement du site. On pense par exemple aux projets dans les énergies marines renouvelables (EMR), pour lesquels 100 millions d’euros doivent être mobilisés. Et puis, bien entendu, sans marge, il n’est pas possible d’augmenter les salaires.
Une réalité économique implacable
La situation est donc on ne peut plus claire et, quelque soient les arguments avancés, d’une réalité économique implacable : soit STX France parvient à être suffisamment bénéficiaire pour financer son développement, réussir sa diversification et impulser un regain d’activité permettant de renouer avec une politique salariale digne de ce nom, soit l’entreprise passera à côté de commandes cruciales (ou les prendra à perte, ce qui revient au même) et vivotera quelques années avant de s’éteindre. C’est exactement ce qui est en train de se passer pour les chantiers finlandais.
On notera, de plus, qu’il n’existe plus vraiment de marges de manœuvre du côté des coréalisateurs, dont le travail représente plus de 70% de la valeur d’un paquebot et qui ont longtemps servi de variable d’ajustement. Après avoir supporté, ces dernières années, l’essentiel des efforts de compétitivité du chantier (ce qui s’est d’ailleurs traduit par un recours massif à des sociétés étrangères à bas coût et la destruction d’emplois locaux), les sous-traitants de STX France ont pour beaucoup atteint une limite en deçà de laquelle ils ne peuvent descendre.
Une réponse des syndicats attendue demain
La problématique est donc bien plus large que la seule commande de MSC. Il s’agit de donner suffisamment d’air à un chantier qui, malgré la commande de l’Oasis 3 et des perspectives intéressantes sur les EMR, reste sous assistance respiratoire et peut malheureusement très vite se retrouver encore en situation d’asphyxie. Mais pour mettre en place un plan d’amélioration de la compétitivité, il va falloir convaincre la majorité des responsables syndicaux qui, seuls, peuvent entériner un accord. Vendredi dernier, la direction a évoqué le sujet avec les représentants du personnel, leur demandant de fournir d’ici demain une réponse quant à leur volonté, ou non, de s’engager dans un processus de négociation avec l’idée d’aboutir à un accord. Si la réponse est positive, et même si les détails du projet ne sont évidemment pas encore entérinés, la direction pense que cette démarche de dialogue social sera suffisante pour convaincre le Conseil d’administration de donner son aval à une offre plus attractive pour MSC. Dans le cas contraire, les choses resteront en l’état et tout le monde n’aura plus qu’à prier pour qu’un concurrent, à commencer par l’Italien Fincantieri, officiellement en embuscade, n’emporte pas la mise.
La CGT contre, la CFDT et la CFE-CGC d’accord sous conditions
Dans ce contexte, qu’en pensent les syndicats, sachant que la CGT et Force Ouvrière sont ultra-majoritaires chez les ouvriers, qui seraient les plus touchés, alors que la CFDT et la CFE-CGC sont en tête chez les cadres, les personnels administratifs, les techniciens et les agents de maîtrise (ATAM) ? La position de la CGT est simple. Elle parle de « chantage à la commande », ne veut rien entendre et refuse toute négociation. La CFDT, de son côté, a décidé d’accepter la négociation, comme elle l’avait déjà fait il y a quelques mois. « Ce qui est aujourd’hui en jeu, plus que notre statut, c’est la sauvegarde de nos emplois. Ce qu’il faut éviter c’est refuser toute concession sur nos acquis qui conduirait à ne finalement plus rien avoir dans les deux ans ». Mais la CFDT pose des conditions : « Ce n’est pas un chantage, c’est un marché. Nous sommes prêts à faire des efforts pour sauvegarder nos emplois mais il faut des contreparties et des retombées sur les salaires dès que la situation se sera améliorée, car on ne peut pas accepter que nos statuts et notre pouvoir d’achat s’érodent sur le long terme ». Le syndicat veut, notamment, que les efforts soient contenus sur une durée précise, à l’instar de ce qui a été mis en œuvre chez certains concurrents de STX France, comme Fincantieri et l’Allemand Meyer Werft. Même son de cloche à la CFE-CGC, où l’on souhaite également des bornes temporelles pour l’éventuel accord, des contreparties et des clauses de revoyure pour que les salariés touchent les dividendes de leurs efforts « dès le retour à une meilleure fortune ». Pour la CFE-CGC, comme la CFDT, il s’agit d’obtenir toutes les garanties permettant d’éviter que des concessions ponctuelles deviennent un sacrifice durable. Et les deux syndicats d’estimer sans doute que la période est aujourd’hui plus favorable à la négociation qu’elle ne l’était il y a quelques mois, la direction ayant besoin de la signature des représentants du personnel.
Force Ouvrière dans le rôle d’arbitre
Mais, actuellement, ni la CGT, ni la CFDT, ni la CFE-CGC n’ont à elles seules le pouvoir de décision. C’est Force Ouvrière, sortie grande gagnante des dernières élections professionnelles, qui se trouve aujourd’hui en position d’arbitre. Un rôle qui souligne son importance mais fait également peser sur les épaules de ses dirigeants une lourde responsabilité. Si FO s’allie à la CGT, les deux syndicats auront la majorité absolue et pourront empêcher la mise en œuvre de tout accord. A l’inverse, si le syndicat consent à négocier, la CGT, isolée et minoritaire, ne pourra s’opposer à la signature d’un compromis, pour peu évidemment que les trois autres syndicats s’entendent avec la direction sur les efforts et les contreparties. Force Ouvrière, qui était il y a quelques mois farouchement opposée au projet de la direction, demeure inflexible sur certains points mais ne ferme pas pour autant la porte: « Nous allons retourner à la table des négociations par rapport à la dénonciation des accords d’entreprise par la direction. Des choses paraissent négociables, d’autres non. Nous refusons notamment le travail gratuit, ces 20 minutes de travail en plus par jour que la direction a proposé sans compensation salariale ». Pour FO, certaines propositions vont dans le bon sens, comme la simplification des logiciels de comptabilité ou encore l’harmonisation des primes. A l’instar de la CFDT, le syndicat plaide également pour le « travailler mieux », en clair réaliser des gains de productivité en améliorant certains aspects de la vie quotidienne dans le chantier. FO, qui rappelle également que « la compétitivité passe aussi par la motivation du personnel », refuse en tout cas de « signer un chèque en blanc à la direction », c'est-à-dire s’engager à conclure un accord qui n’a pas encore été négocié. A la veille de donner leur réponse, ses responsables doivent rencontrer la direction aujourd’hui pour clarifier la situation et poser leurs conditions. Une partie qui s’annonce serrée mais dont l’issue sera sans doute cruciale.