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A quelques semaines de la présidentielle, la France a décidé de mettre la pression sur l’Italien Fincantieri, qui est en passe de boucler à Séoul le rachat de la participation détenue par le groupe coréen STX Offshore & Shipbuilding dans les chantiers de Saint-Nazaire. Paris brandit désormais clairement la menace d’une préemption des 66.67% cédés par STX, comme le lui permet le pacte d’actionnaires conclu avec le groupe coréen en 2008, et de revendre ensuite ces parts aux investisseurs de son choix.

Pour des questions probablement diplomatiques, le gouvernement français ne s’est pas directement exprimé. Le message est passé via Le Monde, auquel les cabinets (à Bercy ou à l’Elysée) se sont selon toute vraisemblance livrés à dessein. L’article publié vendredi en fin de matinée par le grand quotidien français a semblé constituer le premier acte de cette manoeuvre. Le second est intervenu quelques heures plus tard, lorsque le maire de Saint-Nazaire, après un échange avec le secrétaire d’Etat à l’Industrie, s’est exprimé lors d’une conférence de presse convoquée pour l’occasion. « Dans tous les cas de figure Fincantieri ne sera pas majoritaire », a asséné David Samzun.

Les exigences de Paris

Concrètement, la France exige, au nom de la préservation de ce fleuron industriel national et du caractère stratégique qu’il représente (étant le seul chantier capable de réaliser les grands bâtiments de la Marine nationale), que Fincantieri se contente d’une majorité relative. En clair qu’il possède moins de 50% du capital de l’entreprise, dont l’Etat détient 33.33%. Paris veut que le solde des 66.67% rachetés aux Coréens soit cédé à un ou plusieurs autres acteurs, pourquoi pas italien(s), mais dans ce cas à la condition qu’il n’y ait strictement aucun lien avec Fincantieri. Paris a, ainsi, rejeté l’hypothèse que ce partenaire soit une filiale du constructeur ou encore la Caisse des dépôts italienne, qui possède 72% du groupe public italien via Fintecna. Le gouvernement français a, dans le même temps dressé une liste d’exigences en matière d’emploi, de pérennité de l’outil industriel, d’investissements, de préservation des bureaux d’études ou encore de continuité de la stratégie de diversification, en particulier vers les énergies marines. La France souhaite également garder son droit de veto sur les décisions stratégiques et, comme c’est le cas aujourd’hui avec STX, conserver la capacité de préempter en cas d’évolution capitalistique.

Les Italiens n’ont pas l’intention de céder

Ces garanties auraient été pour l’essentiel acceptées par les Italiens.  « Nous avons satisfait à toutes les demandes françaises. On ne lâchera pas », a indiqué dans l’édition d’hier du Journal du Dimanche  une « source proche du constructeur ». Dans le même article, on peut néanmoins lire une information surprenante. Selon l’hebdomadaire, « Fincantieri se serait engagé à préserver le capital humain de STX France pendant cinq ans, à conditions économiques inchangées ». Ce serait réellement un engagement à minima puisque les chantiers nazairiens ont devant eux six ans au minimum de pleine charge. Si tel est le cas, une garantie sur l’emploi de seulement cinq ans ne serait  pas vraiment de nature à rassurer au sein des chantiers nazairiens.

Quoiqu’il en soit, la « bataille » se joue maintenant sur le contrôle effectif de l’entreprise, qui en réalité conditionne tout le reste. De l’autre côté des Alpes, on n’apprécie clairement pas la défiance manifestée par les Français et, le 8 mars, le ministre italien du développement Economique, Carlo Calenda, a jugé « extravagant » le fait que Fincantieri ne puisse acquérir la majorité de STX France. A la vérité, les Italiens ne semblent pas décidés à abandonner la majorité. Après la publication de l’article du Monde, les réactions n’ont pas tardé de l’autre côté des Alpes. Le président de la Caisse des dépôts italienne n’y est pas allé par quatre chemins : « La position des Français est honteuse et inacceptable », a lancé Claudio Costamagna, cité par le quotidien Il Sole 24 Ore.

S’ils comprennent que la France demande des garanties, les Italiens veulent être maîtres de l’entreprise et limiter au maximum les contraintes pour intégrer Saint-Nazaire dans une logique de groupe. D’où le débat sur leur niveau de participation et, plus important, sur les droits de vote au Conseil d’administration.

Le plan B est prêt

Alors que la cession des parts de STX se précise, puisque Fincantieri et le tribunal de Séoul seraient parvenus la semaine dernière à un accord sur le prix final de la vente (qui serait de 82 millions d’euros), les négociations se poursuivent, mais elles sont donc complexes et difficiles. En cela, Paris a sans doute surpris Rome, qui comptait probablement sur une certaine paralysie d’un gouvernement français en bout de course. Finalement, c’est l’inverse qui se produit puisque la position tricolore est maintenant très ferme : Si les conditions capitalistiques et les garanties ne sont pas acceptées, ce sera la préemption. Dans cette perspective, l’Etat a travaillé sur un « plan B », passant par une nationalisation mais uniquement temporaire : « Ce n’est pas de la responsabilité de l’Etat de construire des navires sur un temps long. Par contre c’est de la responsabilité de l’Etat de protéger l’outil industriel. Et donc, si les négociations se déroulaient mal (avec Fincantieri), alors il (faudrait) user du droit de préemption pour avoir le temps de retrouver des actionnaires robustes et un projet industriel», a expliqué vendredi David Samzun. Ce dernier a estimé « normal que l’Etat », si les « points de blocage » dans les actuelles discussions avec les Italiens persistent et rendent cette solution « inacceptable », « travaille sur une autre hypothèse ». Ce plan B consiste toujours à faire entrer au capital les deux principaux clients des chantiers, les armateurs RCCL et MSC Cruises, qui devaient initialement se porter candidat à la reprise des parts de STX avec le constructeur néerlandais Damen. Le « trio », comme on l’appelait, avait pour mémoire les faveurs du gouvernement français mais avait explosé juste avant la remise des offres au tribunal de Séoul, le 27 décembre. En plus des armateurs, le plan B verrait l’entrée dans les chantiers nazairiens de DCNS, une ouverture d’une petite partie du capital aux salariés étant aussi évoquée. En tout état de cause, selon David Samzun, le bloc Etat/DCNS représenterait « 47/48% », soit environ 14% pour DCNS.

Du temps pour évaluer d’autres options

Ce plan B, qui existe depuis un moment mais que le gouvernement se décide à agiter sérieusement devant les Italiens, ne constitue pas forcément le scénario idéal pour Saint-Nazaire et pose quelques questions. Il aurait néanmoins le mérite de faire repasser l’entreprise sous contrôle français et de consolider la collaboration avec les deux clients principaux des chantiers, dont les commandes offrent plus de 8 ans de charge de travail. Les armateurs s’étaient de plus engagés dans le cadre du « trio » à investir dans l’outil industriel et préserver la diversification. Mais ce plan B a aussi, et c’est très important, une dimension politique. Il démontre en effet que, si préemption il doit y avoir, l’Etat ne détiendra que temporairement 100% du capital puisqu’au moins une solution de revente existe déjà. Un message clair envoyé à la fois aux autorités européennes comme à ceux qui plaident pour une nationalisation. Et c’est aussi une manière de juguler l’opposition des hauts fonctionnaires de Bercy, qui craignent par-dessus tout que l’Etat ne puisse se désengager en cas de préemption. Ceci étant acté, on peut ensuite imaginer que le temps laissé par la préemption soit mis à profit pour trouver des solutions alternatives, potentiellement plus intéressantes, l’Etat faisant in fine son choix à la lumière des options existantes ou nouvelles. C’est l’idée que la préemption serve, comme nous le disait un ancien patron des chantiers récemment, à « acheter du temps » pour trouver la meilleure issue.

L’ultime grande décision de François Hollande

Difficile, cela étant, de savoir si la manœuvre entreprise vendredi dernier ne constitue qu’un ultime coup de pression sur Fincantieri afin d’obliger le groupe italien à céder aux exigences françaises, ou si la France s’apprête réellement à user de son droit de préemption. Il apparait en tous cas clair que François Hollande, qui suit le dossier de très près selon David Samzun, souhaite le boucler avant son départ de l’Elysée, ce qui laisse désormais très peu de temps. Le chef de l’Etat, dont on dit qu’il pourrait se rendre prochainement à Saint-Nazaire, a en réalité les mains exceptionnellement libres pour agir. Alors qu’il ne se représente pas et travaille maintenant pour l’histoire, il peut, à la veille de quitter ses fonctions, prendre une décision marquant très fortement la fin de son mandat. Il sait l’opinion publique très critique face au passage d’un certain nombre d’entreprises françaises sous contrôle étranger. Voir une industrie aussi symbolique que les chantiers nazairiens revenir sous bannière nationale serait à n’en pas douter une décision très populaire. Politiquement, le président, si décrié par ses adversaires, pourrait en outre s’en aller en faisant autour de lui l’ « union sacrée » sur ce sujet.

L’hostilité des candidats à la présidentielle

Car Fincantieri, qui a peut-être voulu ces dernières semaines jouer la montre en attendant les échéances électorales françaises, se retrouve maintenant face à un vrai problème : la quasi-totalité des candidats à la présidentielle se sont en effet exprimés contre une prise de contrôle italienne. C’est le cas notamment de Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon, Nicolas Dupont-Aignan ou encore Jacques Cheminade. Même François Fillon, qui n’est pas un adepte des nationalisations, a pris position lors de sa venue à Nantes, le 27 mars : « l’Etat devra nationaliser si aucun accord n’est trouvé qui sécurise l’activité », ajoutant même que « L'Etat ne doit pas s'interdire d'exercer son droit de préemption, le temps de définir une stratégie ». Concernant les autres candidats, Benoît Hamon ne s’est pas exprimé sur le dossier STX mais dans son entourage, Arnaud Montebourg s’était clairement prononcé pour une nationalisation. Pas de position officielle non plus d’Emmanuel Macron. Toutefois, on sait que l’ancien ministre de l’Economie, qui a eu ce dossier en main jusqu’en juillet dernier, avait exprimé à l’époque sa préférence pour le trio Damen/RCCL/MSC plutôt que pour Fincantieri.

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