C’est une première à Saint-Nazaire et une histoire un brin rocambolesque. La semaine dernière, les 250 employés de la société lituanienne Litana, l’un des sous-traitants des Chantiers de l’Atlantique, se sont subitement volatilisés pendant deux jours. « Ils ont disparu du jour au lendemain en laissant tout sur place. Même la direction est tombée des nues », explique un responsable syndical du chantier.
Selon Ouest France, qui a révélé l’affaire, cette « désertion » massive des personnels de Litana, venant pour l’essentiel d’Europe de l’Est, serait liée à une investigation conduite par l’Office central de lutte contre le travail illégal (OCLTI). Créé en 2005, ce service de la Gendarmerie nationale a notamment pour mission de lutter contre les fraudes aux cotisations et prestations sociales, ou encore l’exploitation au travail. Les heures supplémentaires non payées, souvent dénoncées dans les affaires impliquant de la main d’œuvre étrangère, entrent notamment dans ses prérogatives.
Alors que l’OCLTI s’intéresserait donc aux activités de Litana, la direction de la société a, le 14 novembre, donné l’ordre à ses équipes de quitter immédiatement leur poste, sans prévenir qui que ce soit. Des salariés qui travaillent surtout au pré-montage, dans des métiers tels la chaudronnerie et le soudage.
On ne sait pas bien ce qui s’est passé mais Litana, sous-traitant de rang 1 des Chantiers de l’Atlantique, a manifestement été rappelé à ses obligations par son client. De fait, au bout de 48 heures, la société lituanienne a renvoyé des équipes dans les ateliers, « mais pas forcément les mêmes », assure une source nazairienne. Le travail a repris et n’aura pas de conséquence sur l’avancement des navires en construction.
C’est la seconde fois que Litana fait parler d’elle à Saint-Nazaire, après un premier cas en 2009, où une dizaine de salariés avaient conduit une longue grève pour des salaires impayés. Cependant, la société lituanienne, qui travaille via sa filiale française pour de nombreuses entreprises hexagonales, y compris d’autres chantiers, comme ceux de Naval Group, n’était pas considérée à risque. « C’est une grosse boite, bien connue, qui n’était pas sur le feu, d’autres sont plus surveillées », confie un syndicaliste, qui précise que le bilan de l’audit social dont cette entreprise a fait l’objet était « plutôt positif ».
Malgré tout, cette affaire soulève, de nouveau, la question du contrôle des travailleurs détachés. « Personne ne contrôle le temps de travail. Il suffit de venir ici et voir à quelle heure les gens embauchent et débauchent, et on voit que les journées font 10 heures. Et le problème c’est qu’ils sont toujours payés sur la base des 35 heures », a affirmé à nos confrères de France 3 la CGT. Un problème très complexe, car contrôler les innombrables mouvements de centaines voire de milliers de sous-traitants qui défilent au chantier chaque jour, avec des équipes qui changent régulièrement au fil de l’avancement des navires, est une mission quasi-impossible.
Alors qu’environ 8000 personnes, dont près de 3000 salariés des Chantiers de l’Atlantique, sont quotidiennement sur le site, le nombre de travailleurs détachés varie sans cesse, mais représente une proportion clairement importante des effectifs. Il est néanmoins impossible d’obtenir un chiffre ou un pourcentage clair. Pour autant, depuis la succession d’affaires retentissantes de sous-traitants étrangers qui avait émaillé la vie du chantier nazairien il y a une quinzaine d’années, la situation serait bien meilleure selon un représentant du personnel : « Les contrôles et la surveillance sont clairement plus importants en interne. Les audits sociaux qui ont été mis en place ont permis de faire le ménage et de remettre les choses en ordre. Ce n’est évidemment pas dans l’intérêt de l’entreprise de travailler avec des boites pourries, d’avoir les emmerdes qui vont avec et de risquer de les voir nous laisser en plan ».
Mais évidemment, dans la fourmilière nazairienne, le système ne peut être infaillible et certains réussissent sans doute à passer entre les mailles du filet.