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Alors que de nouveaux contrats sont espérés dans les mois qui viennent, le plus grand chantier naval civil français confirme son spectaculaire redressement non seulement par l’ampleur inédite de son carnet de commandes, mais aussi par ses résultats. En 2018, les Chantiers de l’Atlantique ont enregistré un chiffre d’affaires de plus de 1.6 milliard d’euros, soit trois fois plus qu’en 2014 et plus du double des années 2011 et 2012. Sur la décennie écoulée, la meilleure année avait été 2008 avec un peu plus de 1.2 milliard d’euros, les deux exercices les plus bas remontant à 2010 et 2013 avec 500 millions d’euros et guère plus en 2014.

Cette embellie est bien entendu liée à la reprise des commandes de paquebots, avec depuis 2012 la signature de quatre navires de la classe Oasis (deux déjà livrés) pour Royal Caribbean International, cinq Meraviglia et Meraviglia + pour MSC (deux livrés) ainsi que deux World Class pour le même armateur et quatre Edge (un livré) pour Celebrity Cruises, filiale comme Royal Caribbean du groupe RCCL. Des commandes assorties d’options puisque Saint-nazaire doit réaliser un Oasis, un Edge et deux World Class supplémentaires. L’ensemble permet de garnir le chantier jusqu’en 2026. D’autant que s’y ajoutent les quatre nouveaux bâtiments logistiques de la Marine nationale, livrables en 2023, 2025, 2027 et 2029.

 

Diaporama

 

 

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© MER ET MARINE

Le plan de charge des Chantiers de l'Atlantique (© MER ET MARINE / ELWIS CREATION)

 

Consolider le plan de charge 

Pour l’entreprise, l’enjeu est maintenant de consolider son plan de charge sur les 10 prochaines années. Pour cela, le chantier doit notamment prendre au moins un paquebot prototype afin d’apporter de la charge dans ses bureaux d’études, puis le ou les décliner en série(s). Compte tenu du carnet de commandes actuel, le premier d’une nouvelle classe de navires pourrait ainsi logiquement voir le jour en 2025. Les Chantiers de l’Atlantique misent également sur d’autres secteurs du maritime pour continuer de tourner à plein régime et se diversifier. Avec, pour commencer, les énergies marines renouvelables et en particulier des sous-stations électriques. Trois transformateurs ont déjà été livrés : le P33 (218 MW) installé en 2014 sur le champ Westermost Raught, au Royaume-Uni, ainsi que le Q34 (309 MW) et le P34 (385 MW), livrés en 2018 et respectivement destinés aux parcs Rentel (Belgique) et Arkona (Allemagne). Si Saint-Nazaire a réussi le tour de force de se lancer sur ce segment de marché d’abord à l’international, il lui faut maintenant décrocher les commandes liées au développement des premiers parcs éoliens français pour confirmer sa percée. De bonnes nouvelles sont espérées rapidement si le Conseil d'Etat, ce qui est attendu, met un terme définitif aux recours déposés contre les premiers champs hexagonaux, dont la construction pourra alors débuter. 

 

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© E.ON

La sous-station électrique P34 livrée en 2018 pour le champ allemand Arkona (© E.ON)

 

Les bateaux gris

Alors qu’un éventuel rebond de l’industrie offshore peut aussi présenter des opportunités en études et éventuellement en construction, le militaire demeure une autre source de diversification. Certes, l’entreprise, alliée sur ce projet à Socarenam, Thales et EDR, a perdu la compétition pour les 12 nouveaux bâtiments de guerre des mines belgo-néerlandais, arrachés par Naval Group. Et ce dernier, entré au capital des Chantiers de l’Atlantique l’été dernier, a obtenu que Saint-Nazaire cesse toute activité commerciale sur la construction neuve de bateaux gris. Mais il reste des possibilités de coopération entre les deux entreprises françaises, comme ce fut le cas avec les deux porte-hélicoptères (ex-BPC) du type Mistral initialement commandés par la Russie et finalement livrés en 2016 à l’Egypte.

 

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© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU

Les ex-BPC russes à Saint-Nazaire en 2015 (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)

 

Il y a notamment le projet de futur(s) porte-avions français, qui s’il est acté verra débuter au plus tôt la réalisation du successeur du Charles de Gaulle peu après 2025, sinon au début des années 2030. En attendant, quatre bâtiments logistiques (appelés BRF) verront donc le jour dans l’estuaire de la Loire d’ici la fin de la prochaine décennie. Un projet mené en coopération avec Naval Group et le constructeur italien Fincantieri, qui attend toujours de pouvoir prendre le contrôle de Saint-Nazaire. L’aboutissement de ce projet est aujourd’hui conditionné par un feu vert de la Commission européenne, dont la décision est attendue dans les mois qui viennent.

 

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© CHANTIERS DE L'ATLANTIQUE

Vue des futurs BRF de la Marine nationale (© CHANTIERS DE L'ATLANTIQUE)

 

Le passage ou non dans le giron italien aura des conséquences, positives ou négatives, qu’il est aujourd’hui impossible de mesurer. Quoiqu’il en soit, la meilleure garantie pour le chantier réside dans sa capacité à garder la confiance de ses clients, ce qui se traduit par le niveau de son carnet de commandes, dont la profondeur est aujourd’hui historiquement élevée avec une visibilité sur 10 ans. De quoi voir venir, investir pour le futur et conduire les changements nécessaires dans un monde technologiquement en pleine évolution. Sans oublier la diversification, vitale en cas de retournement du marché de la croisière.

 

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© MER ET MARINE - FRANCIS JACQUOT

La frégate Courbet en arrêt technique à Toulon (© MER ET MARINE - FRANCIS JACQUOT)

 

Fort développement de l'activité Services

En dehors des navires neufs, Saint-Nazaire compte sur le développement d’autres activités pour consolider son plan de charge et ses résultats. C’est non seulement le cas des bureaux d’études, appelés à travailler sur des projets extérieurs à ceux produits au chantier, mais aussi des services. Réparation, maintenance, refontes, modifications d’équipements… Cette activité est en forte croissance puisque son chiffre d’affaires est passé de 50 à 95 millions d’euros entre 2015 et 2018. Les Chantiers de l’Atlantique ont notamment remporté des marchés de maintien en condition opérationnelle (MCO) pour des bâtiments de la flotte française en service (frégates La Fayette et Floréal, bâtiment d’essais et de mesure Monge en solo ainsi que les porte-hélicoptères Mistral avec Naval Group) et les futurs BRF. Mais ils travaillent aussi de plus en plus avec le civil et, en dehors de leurs clients traditionnels, comme MSC et RCCL, ont gagné la confiance d’autres armateurs, tels Brittany Ferries, CMA CGM, La Méridionale, Corsica Linea ou encore la Maritime Nantaise. Saint-Nazaire profite notamment du durcissement de la règlementation internationale sur les émissions polluantes pour décrocher des contrats portant sur l’intégration de scrubbers et filtres à particules, en attendant des projets plus lourds de conversion de navires à une propulsion fonctionnant au gaz naturel liquéfié.

Améliorer la profitabilité

L’activité Services contribue à l’amélioration des résultats financiers. Car ce qui est finalement le plus important, ce n’est pas l’ampleur du carnet de commandes, mais de savoir si les chantiers gagnent ou non de l’argent. Or, la valeur des contrats engrangés masque souvent le fait que les Chantiers de l’Atlantique sont une entreprise très peu rentable. Ce qui explique aussi qu’au moment de la revente des parts du groupe sud-coréen STYX Offshore and Shipbuilding, les candidats à la reprise ne sont pas bousculés au portillon. Ainsi, de 2007 à 2016, le constructeur fut à peine à l’équilibre, et même dans le rouge sur deux exercices (2009 et 2010). La situation s’est améliorée depuis deux ans mais le résultat net de 2018, le plus important depuis une décennie, n’a atteint que 25 millions d’euros, sur un chiffre d’affaires de plus de 1.6 milliard. C’est très peu et cela signifie que les marges de manœuvre sont extrêmement étroites. D’autant que la quasi-intégralité de l'argent gagné est réinvestie dans la modernisation de l’outil industriel, indispensable pour maintenir la compétitivité face à la concurrence. L’un des enjeux majeurs de l’entreprise est donc d’améliorer sa profitabilité afin de poursuivre sa modernisation et investir dans la R&D. Mais aussi, ce qui est crucieal, continuer par des fonds propres renforcés à pouvoir emprunter à des taux intéressants les  sommes colossales permettant d'avancer les coûts de développement et de construction des navires. Sans oublier évidemment un retour pour les salariés.

Dans cette perspective, les Chantiers de l’Atlantique ont lancé en 2016 le plan quinquennal Smart Yard 2020 visant à maintenir la compétitivité en améliorant par exemple les process industriels et l’organisation, en jouant plus sur les effets de série, tout en mettant en place différentes innovations ou encore en travaillant sur la sécurité afin de réduire au maximum les accidents de travail. L’ensemble doit conduire à une réduction des coûts, déjà bien engagée, de 10% d’ici 2020.

L’entreprise espère ainsi tendre dans moins de cinq ans vers un résultat net annuel approchant les 50 millions d’euros, sachant que le chiffre d’affaires doit atteindre 2 milliards d’euros à partir de 2022.

Des centaines d'embauches en perspective

Pour assurer cette croissance, la question des ressources humaines est enfin primordiale. Le constructeur, qui a repassé la barre des 3000 salariés (3090 à ce jour) et comptent aujourd’hui environ 5000 sous-traitants sur site, a recruté entre 2013 et 2018 quelques 1200 personnes en CDI (près de 500 nouveaux techniciens, administratifs et agents de maîtrise, plus de 400 cadres et près de 300 ouvriers), soit une fois retranchés les départs, notamment en retraite, la création de près de 600 emplois. Et compte tenu de la hausse du plan de charge, avec désormais au moins deux navires à livrer chaque année, les besoins sont toujours importants. Charpentiers métaux, soudeurs, électriciens, tuyauteurs, conducteurs de travaux, techniciens de bureaux d’études, ingénieurs… Les Chantiers de l’Atlantique prévoient de recruter au moins 150 personnes par an. Avec le double enjeu de trouver des personnels qualifiés sur des métiers très techniques où les candidats deviennent rares, et de gérer l’intégration de nouvelles compétences liées aux évolutions technologiques, comme la digitalisation des systèmes. A cet effet, l’entreprise, de manière autonome ou en collaboration avec les autres acteurs de la navale, confrontés à la même situation, multiplie les initiatives avec les organismes liés à l’emploi, la formation et l’enseignement. Et puisque le marché actuel de l’emploi ne suffit plus à couvrir les besoins en recrutement, elle a même décidé de rouvrir sa propre école, qui proposera un parcours qualifiant de formation sur les métiers de charpentier métaux, soudeur et tuyauteur. Ce nouveau centre débutera son activité cet automne.

 

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