Aller au contenu principal

Alors que les Chantiers de l’Atlantique viennent de mettre sur cale leur premier paquebot équipé d’une propulsion fonctionnant au gaz naturel liquéfié, leur réseau local de sous-traitants est lui-aussi mobilisé dans cette nouvelle aventure. Celle-ci constitue d’ailleurs un enjeu stratégique majeur pour le constructeur nazairien et ses coréalisateurs, qui entrent enfin de plein pied dans la transition énergétique des navires.

Créée en 1987 et travaillant historiquement dans la navale, la société familiale Sofreba, spécialisée notamment dans la tuyauterie et la métallerie/serrurerie, est l’une des entreprises engagées aux côtés des chantiers pour relever le défi du GNL. Un challenge qui, au-delà de l’ingénierie, vise à développer un savoir-faire local dans des équipements complexes liés à la propulsion gaz, en plein essor dans le secteur maritime.  

 

229027 msc europa
© DR

Mise sur cale lundi 29 juin du MSC Europa (© MSC CRUISES)

229100 msc world class europa
© MSC CRUISES

Vue du futur MSC Europa (© CHANTIERS DE L'ATLANTIQUE)

 

500 tronçons et 3 km de tuyauterie par navire

Le constructeur nazairien a, ainsi, confié à Sofreba la production de toute la tuyauterie gaz du MSC Europa, dont l’assemblage vient donc de débuter, de ses trois sisterships de la classe World et du cinquième paquebot de la classe Meraviglia, qui sera le premier de cette série fonctionnant au GNL. Des navires qui feront partie des plus gros paquebots du monde, en particulier les World (333 mètres, 205.700 GT de jauge et 2632 cabines) et seront livrés entre 2022 et 2027. « Pour chacun, cela représente environ 500 tronçons à produire pour 3 kilomètres de tuyauterie en inox, ce qui constitue tout le réseau entre les cuves GNL et les moteurs. Ce sont des équipements dernier-cri en matière de soudage et qui intègrent des innovations brevetées par les Chantiers », détaillent Cyrille Batard et Florian Thuaud, patron et directeur technique de Sofreba qui font à Mer et Marine la visite du nouvel atelier de l’entreprise dévolu à cette activité.

 

229069 sofreba
© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU

Le nouvel atelier inox de Sofreba (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)

229071 sofreba
© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU

Florian Thuaud et Cyrille Batard (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)

 

Un atelier blanc flambant neuf spécialement dédié à cette activité

Installée face au site Airbus de Gron, près de Saint-Nazaire, cette nef flambante neuve de 800 m² a été mise en service en février dernier. Un investissement de 2.4 millions d’euros pour le bâtiment et 360.000 euros rien que dans le petit outillage. On y trouve un pont roulant de 5 tonnes et des potences surplombant différents postes de travail dotés d’équipements d’assemblage et de soudage spécifiques. « Pour répondre aux standards de cette activité, notamment les exigences très élevées en matière de soudage et de propreté, nous avons investi dans ce nouvel atelier blanc. Le système qualité est très poussé, avec des contrôles à chaque étape. Nous avons un dossier qualité pour chaque tronçon fabriqué et certifié par BV Marine et Offshore, qui est présent sur place. Le processus documentaire est lourd mais pour de tels équipements, on doit dormir sur ses deux oreilles. Tout est par conséquent validé et vérifié plusieurs fois ». Et cela commence dès l’arrivée de la matière première sur le site. Les tubes et accessoires sont ainsi contrôlés, référencés et étiquetés individuellement lorsqu’ils rejoignent l’entrepôt de stockage situé en arrière de l’atelier. Un vaste hangar de 1600 m2 qui accueillait autrefois l’ancienne unité de cabines préfabriquées des chantiers,  déménagée en 2015 sur le nouveau site de Brais, à quelques kilomètres de là.

 

229068 sofreba
© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU

Le hangar de stockage où tous les tubes et accessoires sont référencés (© MER ET MARINE - V. GROIZELEAU)

 

Une expertise qui date des méthaniers et un partenariat étroit avec les Chantiers

Si Sofreba est un spécialiste de la tuyauterie, la production des équipements destinés aux paquebots GNL n’est pas une mince affaire. « Nous nous appuyons sur notre expérience et notre expertise, y compris dans le gaz puisque nous avons notamment travaillé sur les méthaniers construits à Saint-Nazaire dans les années 2000 (navires qui étaient équipés d’une propulsion fonctionnant au gaz, ndlr). Mais là nous avons des équipements vraiment complexes qui nécessitent une attention, des procédures et savoir-faire très particuliers, des exigences auxquelles l’entreprise peut répondre grâce aux compétences de nos compagnons et soudeurs, dont certains qui ont aujourd’hui la cinquantaine et ont justement travaillé sur les méthaniers », souligne Cyrille Batard. « C’est vraiment l’occasion pour nous de remettre en avant ces compétences et de les transmettre aux jeunes », ajoute Florian Thuaud. Pour obtenir le résultat escompté par le client, l’entreprise travaille en étroite collaboration avec son donneur d’ordres. « Il y a un vrai partenariat avec les chantiers qui sont très impliqués et nous ont intégré très tôt dans processus. Nous travaillons en bonne intelligence avec les bureaux d’études pour partager les compétences et définir les modes opératoires, de la conception à la fabrication et l’installation. Même les équipes de l’armateur sont venues ici pour valider le raccordement de la tuyauterie sur les panneaux réalisés et armés aux chantiers ».

 

229064 sofreba
© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU

Tuyaux gaz à double enveloppe dans le nouvel atelier (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)

229063 sofreba
© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU

Tuyaux gaz à double enveloppe dans le nouvel atelier (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)

 

Une double enveloppe de tuyaux en inox

La particularité de ces tuyaux en inox est qu’ils disposent d’une double enveloppe afin d’assurer la protection et l’isolation de la conduite interne où circule le GNL. Ce dernier, qui sera à bord du MSC Europa stocké dans deux cuves de 2200 m3 chacune alimentant cinq moteurs dual-fuel Wärtsilä, est pour mémoire employé sous forme liquide après cryogénisation (à -161°C) ce qui lui permet d’occuper un volume 600 fois inférieur à son état gazeux. La tuyauterie doit donc être spécialement adaptée pour la circulation de ce fluide extrêmement froid. Et il faut, dans un réseau complexe fait de géométrie et de trigonométrie, avec ses ramifications et formes variées, s’assurer du centrage de la tuyauterie interne par rapport à l’enveloppe extérieure. Cela, malgré la contraction et la dilatation du métal en fonction de la température (sachant que le gaz passe selon les tuyauteries sous forme liquide ou gazeuse). Pour y parvenir, les ingénieurs des Chantiers de l’Atlantique ont développé un système breveté, basé sur l’intégration d’ingénieuses bagues de maintien entre les deux enveloppes.

Un dispositif essentiel car l’inox travaille beaucoup avec la température, ce qui impose aussi d’importantes contraintes lors du soudage des tuyaux à cause de la chaleur. « La séquence de soudage est une étape critique car il faut maintenir le dimensionnement final de la pièce, ce qui demande un gros savoir-faire », note Florian Thuaud. Pour vérifier que les tuyaux sont conformes, les équipes procèdent à diverses vérifications, dont des contrôles non destructifs. L’atelier dispose également d’un banc d’épreuve. « On monte à une pression de 15 bar pour vérifier qu’il n’y a pas de fuite. Cela en présence d’un technicien du BV qui valide les tests ». On notera que tout le long du circuit gaz du navire des capteurs permettront de contrôler la pression et la température.

 

229067 sofreba
© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU

Tuyaux gaz dans le nouvel atelier inox de Sofreba (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)

 

Les tuyaux sont ensuite nettoyés grâce à des bouchons de mousse, afin de s’assurer qu’il n’y a pas d’impureté à l’intérieur, puis passent au colisage pour être empaquetés en vue de leur transport au chantier, les protections n’étant enlevées qu’une fois l’installation réalisée et le navire mis en service. Un certain nombre de tuyaux disposent même, avant leur départ de Sofreba, des supports métalliques qui permettront de les fixer directement à bord, l’une des méthodes permettant de gagner du temps dans l’armement des coques de navires. Tous les tuyaux « visibles » à bord sont par ailleurs peints en jaune, de manière à distinguer le circuit gaz.  

 

Diaporama

 

229075 sofreba
© SOFREBA

Tuyauterie installée sur les panneaux de coque aux chantiers (© SOFREBA)

 

Pour l’heure, tout se passe conformément aux prévisions, mais la pression est là. « Il faut être prudent et nous sommes très vigilants. C’est une belle aventure qui motive tout le monde dans l’entreprise, car ce sont de beaux produits et travailler sur des bateaux plus vertueux pour l’environnement cela fait plaisir. Il y a donc de la fierté, mais aussi de gros enjeux, car ce sont les premiers paquebots GNL construits à Saint-Nazaire. Il ne faut donc pas se planter ! » confie Cyrille Batard.

Une société qui a fait du chemin depuis sa création en 1987

A la tête de l’entreprise fondée par son père et qu’il a redressée il y a quelques années avec ses frères, le patron de Sofreba et son équipe ont de belles ambitions pour la suite. La société, qui a débuté son activité dans l’installation de tuyauterie de chambres froides en sous-traitance d’installateurs de systèmes frigorifiques, employait en 1993 cinq personnes pour un chiffre d’affaires de 80.000 euros. Aujourd’hui, elle compte 250 employés (dont 150 CDI) pour un chiffre d’affaires de 24 millions d’euros. Implantée à Saint-Nazaire, à Montoir-de-Bretagne et à Brest, Sofreba a travaillé sur tous les paquebots réalisés dans l’estuaire de la Loire depuis 30 ans, sur les méthaniers comme on l’a vu, mais aussi sur des bâtiments militaires produits par Naval Group ou encore CMN en Bretagne et Normandie. Ses métiers se sont aussi élargis, avec en plus de la tuyauterie et de la métallerie/serrurerie l’hydraulique, la dépollution, la peinture et la résine, le tout étant désormais organisé autour d’un groupe s’appuyant sur six entités.

De la navale à l’énergie et l’environnement

« Nous sommes nés avec les chantiers et la navale demeure notre cœur de métier même si au fil des années nous nous sommes développés sur d’autres marchés, comme l’agroalimentaire, l’énergie avec des dépôts pétroliers et gaziers par exemple, dans l’offshore sur des plateformes… Tout cela nous a permis de diversifier l’activité mais aussi d’engranger des savoir-faire, de capitaliser et de monter en compétences, en particulier dans des secteurs extrêmement exigeants comme l’offshore et le nucléaire ». Sofreba a aussi participé ces dernières années à des productions très intéressantes dans le domaine de l’environnement, avec par exemple la réalisation d’un « polludrome » pour étudier les hydrocarbures en mer, ou encore dans la même idée une station arctique conçue spécifiquement pour étudier le devenir des hydrocarbures déversés en milieu polaire et l’impact de deux techniques de lutte contre la pollution. Des bouées en aluminium issues d’un projet mené avec le Centre de Documentation de Recherche et d'Expérimentation sur les pollutions accidentelles des eaux (CEDRE) de Brest.

Sofreba a aussi développé un système breveté de récupération d’hydrocarbures en mer, qui a été vendu à une dizaine d’exemplaires, notamment à Bourbon, la dernière paire ayant été exportée en Turquie.

 

Diaporama

 

229076 sofreba station arctique
© SOFREBA

Les bouées de la station polaire dans la glace arctique (© SOFREBA)

 

Missing Paragraphe.

 

Un projet de village d’entreprises à Montoir

Les développements dans le GNL et l’acquisition du terrain de l’ancien atelier de fabrication de cabines des chantiers, qui s’étale sur 13.000 m², a aussi été l’occasion pour Sofreba d’imaginer une réorganisation du groupe. « Nous avons plusieurs sites autour de Saint-Nazaire et notre idée est de faire ici un village d’entreprises pour optimiser notre activité, en n’ayant par exemple plus de tronçons qui se baladent d’un site à l’autre sur la route. C’est aussi l’occasion de développer des synergies entre nos entités et de disposer d’un outil moderne et plus performant sur le plan environnemental avec par exemple une meilleure isolation, des panneaux solaires, un éclairage LED… » L’atelier inox et les bureaux intégrés dans le même bâtiment constituent la première phase de ce projet. Pour la suite, derrière le grand hangar de stockage, Sofreba souhaite aménager une nef de maintenance hydraulique et une grande cabine de peinture pouvant accueillir de gros équipements avec un pont roulant pour charges lourdes. Les bâtiments seront desservis par une voie lourde depuis la route. Le projet représente un investissement total, pour l’ensemble du site, estimé à 5 millions d’euros, et même 6 avec les équipements.

© Un article de la rédaction de Mer et Marine. Reproduction interdite sans consentement du ou des auteurs.

 

229093 sofreba
© SOFREBA

Le projet Village entreprise avec le premier bâtiment accueillant le nouvel atelier puis le hangar de stockage et les nouvelles nefs hydraulique et peinture prévue à l'arrières du terrain (© SOFREBA)

 

Aller plus loin

Rubriques
Construction navale
Dossiers
Chantiers de l'Atlantique