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Concevoir une pilotine de moins de 12 mètres offrant les mêmes capacités qu’une unité plus grande. C’est le but qu’a poursuivi le chantier Sibiril Technologies de Carantec, qui a livré son premier exemplaire du type ST-P 120 la semaine dernière à la station de Cherbourg. Pour la première fois, le constructeur breton, qui a changé de propriétaire en 2011 et travaille habituellement sur les plans de ses clients, a développé son propre modèle de vedette, en collaboration avec l’architecte naval Pierre Delion. « Ce projet a été lancé il y a deux ans avec la nouvelle équipe issue de la reprise du chantier. Nous sommes partis d’une feuille blanche avec l’idée de concevoir un bateau permettant aux pilotes de réduire leurs coûts, tant à l’achat qu’en exploitation. L’objectif principal est de disposer d’un bateau de moins de 12 mètres et 20 UMS de jauge, seuil à partir duquel les contraintes administratives sont plus fortes et nécessitent notamment des matériels et certifications supplémentaires. C’est pourquoi de nombreuses stations se sont équipées de petites pilotines. Mais ces bateaux légers ont des capacités limitées lorsque la météo se dégrade et ne peuvent dès lors être utilisés en permanence. Nous avons donc fait en sorte de concevoir une pilotine plus lourde avec une carène spécialement dessinée pour affronter des mers formées, de manière à ce qu’elle offre une plage d’utilisation plus large avec les qualités marines nécessaires à ses missions », explique Tristan Pouliquen, directeur opérationnel du chantier.

 

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© SIBIRIL TECHNOLOGIES

La CH 4 et l'équipe du chantier de Carantec (© SIBIRIL TECHNOLOGIES)

 

Première pilotine en composite dotée d’une propulsion IPS

Alors que le chantier finistérien a mis à profit son expérience sur les pilotines, avec à son actif une cinquantaine d’unités déjà construites, Pierre Delion a optimisé le dessin de la carène. La répartition et le centrage des poids a fait l’objet d’un travail très fin, tout comme les aménagements et la circulation à bord. L’autre grande nouveauté de cette pilotine est qu’elle a été conçue dès l’origine pour être équipée de deux pods Volvo IPS, qui améliorent la manoeuvrabilité tout en réduisant la consommation. « La pilotine que nous venons de livrer à Cherbourg est le premier navire à usage commercial en matériaux composites (polyester, ndlr) doté d’IPS construit en France. Ce type de propulsion était jusqu’ici très présent dans la plaisance et il commence à se développer sur les bateaux de travail. Grâce à l’IPS, la pilotine consomme moins de carburant et cela a évidemment un impact très positif sur les coûts d’exploitation », souligne Tristan Pouliquen, qui précise cependant que le modèle ST-P 120 peut également, si le client le souhaite, être doté d’une propulsion classique, avec ligne d’arbres ou encore d’hydrojets.  

Mais il est clair que l’IPS semble promis à un bel avenir. Surtout que ses avantages ne se limitent pas à la consommation. Côté confort, l’utilisation de cette technologie permet également de réduire significativement les bruits et vibrations. « Grâce aux pods, il n’y a plus de ligne d’arbres, l’IPS repose sur deux hélices contrarotatives et offre un rendement très performant. Nous avons en plus travaillé sur la réduction du bruit généré par les équipements en machine. A l’arrivée, la timonerie est très silencieuse, le son enregistré pendant les essais ayant été inférieur à 70 décibels à la vitesse 20 nœuds, ce qui a d’ailleurs frappé les pilotes de Cherbourg ».

 

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© SIBIRIL TECHNOLOGIES

La timonerie de la CH 4 (© SIBIRIL TECHNOLOGIES)

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© SIBIRIL TECHNOLOGIES

Le compartiment machine de la CH 4 (© SIBIRIL TECHNOLOGIES)

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© SIBIRIL TECHNOLOGIES

La CH 4 (© SIBIRIL TECHNOLOGIES)

 

Essais réussis dans des conditions assez rudes

Longue de 11.97 mètres pour une largeur de 3.73 mètres et un tirant d’eau de 0.95 mètres, la nouvelle pilotine cherbourgeoise, homologuée pour transporter six personnes, présente une jauge de 13.7 UMS et un déplacement à pleine charge de 11.8 tonnes. Dotée de deux réservoirs à carburant de 650 litres chacun, elle est équipée de deux moteurs Volvo D6 330 couplés à deux pods IPS 1, avec une puissance cumulée de 660 cv permettant d’atteindre à mi-charge la vitesse de 31.5 nœuds. Pour Sibiril Technologies, l’heure de vérité a sonné le 21 mai, au lendemain de la mise à flot de la pilotine. C’est en effet mercredi et jeudi derniers que la CH 4 a réalisé ses essais en mer. « Le bateau s’est admirablement bien comporté. Il est très stable, ne tape pas et ne se montre pas volage. Sa carène est vraiment réussie. Surtout que nous avons pu le tester dans des conditions sportives, avec 30/35 nœuds de vent et des creux de 2 mètres courts et très abrupts, en clair une mer très casse bateau, que nous avons pu prendre de face à la vitesse de 20 nœuds et par l’arrière et le travers à 26 nœuds », se félicite Tristan Pouliquen.

 

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© SIBIRIL TECHNOLOGIES

La CH 4 lors de ses essais (© SIBIRIL TECHNOLOGIES)

 

Les pilotes cherbourgeois « vraiment très contents »

Après deux jours d’essais, la CH 4 a été officiellement livrée à la station de pilotage de Cherbourg, où elle a été convoyée le 23 mai. Et depuis son arrivée à pointe du Cotentin, la vedette ne chôme pas : grands porte-conteneurs et supertankers servis au large pour le pilotage hauturier ; cargos, caboteurs et ferries assistés pour les manœuvres portuaires… En quelques jours, la nouvelle pilotine cherbourgeoise s’est déjà constituée un joli palmarès. Ses nouveaux propriétaires l’utilisent en permanence pour se faire la main sur ce nouvel outil, qui leur donne manifestement entière satisfaction : « Nous sommes vraiment très contents de cette pilotine. Pendant les essais, nous l’avons poussée dans ses limites et elle n’a pas été mise en défaut. Pierre Delion a dessiné une très belle carène et nous nous sommes vite rendu compte qu’elle passait très bien la mer. C’est un bateau robuste avec un échantillonnage très structuré. C’est très important pour nous car à Cherbourg, nous n’avons pas toujours des conditions météorologiques très clémentes, l’environnement est assez rude, il y a beaucoup de courant, avec des mers courtes et dures. Bref, il nous faut du solide ! », explique Jean-Charles Le Mignant, président de la station.

 

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© PIERRE DELION

Les CH 2 et CH 3 aux côtés de la nouvelle CH 4 à Cherbourg (© PIERRE DELION)

 

Manœuvres portuaires et transferts de pilotes hauturiers

Par rapport aux grands ports de commerce, Cherbourg est une petite station, avec seulement trois pilotes et cinq marins. L’acquisition d’un nouveau bateau est donc exceptionnelle et cela fait d’ailleurs plus de 15 ans que ce n’était pas arrivé. « C’est un investissement très lourd pour une petite station comme la nôtre. Nos moyens financiers sont limités et il ne faut donc pas se tromper ! Se lancer sur un prototype a donc représenté un véritable défi. Nous avons beaucoup travaillé en amont avec le chantier, dont nous connaissons le sérieux puisque nous y avons fait construire toutes nos pilotines. Avec son nouveau modèle, Sibiril a bien cerné le besoin des pilotes et apporté la bonne réponse ». La station normande présente la particularité d’avoir une activité duale : les manœuvres portuaires, qui représentent 1000 à 1500 mouvements par an, mais aussi l’acheminement, au large, de pilotes hauturiers, les « Deep sea pilots », qui embarquent sur les grands navires de commerce, notamment asiatiques, desservant les ports d’Europe du nord. Cette activité, soit annuellement 500 transferts, impose de rejoindre les bateaux à environ 7 milles au-delà des jetées, ce qui représente une sortie d’environ 1h30. Pour cela, des moyens capables d’affronter le gros temps sont nécessaires.

 

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© SIBIRIL TECHNOLOGIES

La CH 4 lors de ses essais (© SIBIRIL TECHNOLOGIES)

 

« Cette carène devrait intéresser d’autres stations »

Ce qui a séduit les Cherbourgeois, qui disposaient jusque là de deux vedettes de 14.5 mètres, les CH 2 et CH 3 (mises en service en 1987 et 1997), c’est la possibilité de disposer d’un bateau plus compact avec des capacités d’emploi comparables. « Nous cherchions un modèle plus petit et moins lourd que nos 14 mètres 50. Comme ailleurs, nous sommes en effet confrontés au coût de l’énergie, qui nous incite à aller vers des bateaux moins lourds. Pour autant, nous n’avons pas voulu une vedette légère, que nous n’aurions pu utiliser que par beau temps. Il nous fallait un outil avec des frais d’exploitation réduits mais suffisamment performant pour être utilisé au maximum et, finalement, faire la même chose que nos grosses unités. C’est le cas avec la CH 4, dont la coque et la machine sont optimisées et qui est en plus bien agencée et proportionnée », explique Jean-Charles Le Mignant, qui apprécie par ailleurs la présence sur le nouveau bateau de deux plateformes dotées d’enfléchures, qui améliorent la sécurité des pilotes durant les phases de transfert.

Manifestement ravi de son nouveau bateau, le président de la station cherbourgeoise est persuadé que le design développé par Sibiril Technologies va faire des émules. « Je pense que notre pilotine devrait avoir des petites sœurs car sa carène et ses performances vont forcément intéresser d’autres stations ».

De la pilotine à l’intercepteur...

Des perspectives qui sont clairement celles du chantier breton, où l’on espère bien voir se concrétiser rapidement d’autres projets liés au développement de sa nouvelle gamme. Un design novateur, déclinable en versions plus grandes (14 et 16 mètres) avec lequel Sibiril Technologies pourrait aussi pénétrer d’autres domaines d’activité que le pilotage. La rapidité, la robustesse et la tenue à la mer de la ST-P 120 pourraient par exemple répondre aux besoins de services étatiques (marines, garde-côtes, douanes, gendarmerie maritime..) ou encore de sociétés privées de sécurité, avec un marché en plein développement sur le segment des vedettes, patrouilleurs et autres intercepteurs

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Pilotage et pilotes maritimes Sibiril Technologies