Les négociations en vue de l’élaboration d’un plan visant à améliorer la compétitivité des chantiers de Saint-Nazaire vont pouvoir être lancées. Hier, la CFDT et la CFE-CGC ont donné leur accord en ce sens, la CGT y restant fermement opposée. Force Ouvrière, qui avait rencontré la veille la direction pour préciser sa position et obtenir des éclaircissements, a habilement joué la partie. Le syndicat a certes refusé de s’engager par écrit à signer un accord dont le contenu n’est pas encore connu, mais il a indiqué qu’il se rendrait bien à la table des négociations. Une ouverture suffisante pour permettre à la direction de solliciter à nouveau le Conseil d’administration de STX France afin d’obtenir l’autorisation de relancer les négociations avec MSC Cruises sur une base financière plus intéressante pour l’armateur italo-suisse. En jeu, il y a deux grands paquebots de 2000 cabines, livrables entre 2017 et 2019, avec une option pour deux unités supplémentaires.
Un plan global pour assurer la pérennité de l’entreprise
Afin de décrocher ce contrat majeur, STX France doit réduire ses prix et, pour demeurer bénéficiaire, diminuer dans le même temps ses coûts de production. Un différentiel qui doit non seulement servir à faire des offres plus attractives, mais également à donner des marges de manœuvre financières à l’entreprise, les gains escomptés devant par exemple servir à soutenir les investissements nécessaires à la politique de diversification, notamment dans l’éolien offshore. Le maintient de la trésorerie et une situation économique saine, qui passe par la rentabilité des projets, sont par ailleurs fondamentaux pour réussir à décrocher les financements nécessaires à la prise de grosses commandes. En somme, c’est l’avenir du chantier qui est en jeu. Car la situation, comme le rappelle la CFDT, demeure « critique » puisqu’une fois passé le paquebot géant Oasis 3, livrable en 2016, « nous n’avons plus rien en carnet et notre trésorerie s’épuise à maintenir un outil de travail, matériel et humain, sans suffisamment de commandes ».
FO dans le rôle d'arbitre
Concrètement, l’objectif est de réaliser annuellement 5 millions d’euros d’économies, à priori sur six ans, soit un gain global de 30 millions d’euros (la direction préfère parler d’une économie de 5% sur le coût du travail). Pour y parvenir, différentes mesures devront être mises en place, au travers desquelles les salariés seront appelés à faire des efforts. Pour que cet accord de compétitivité soit entériné, il faut légalement la signature d’un ou plusieurs organisations syndicales représentant plus de 30% des voix aux élections professionnelles. Mais, dans le même temps, une ou plusieurs organisations rassemblant au moins 50% des suffrages peuvent s’opposer à la signature d’un accord ou le dénoncer. Pour STX France, cela signifie que, seules, les signatures de la CFDT et de la CFE-CGC, qui comptabilisent 47.6%, ne sont pas suffisantes. L’adhésion de la CGT étant exclue, c’est Force Ouvrière qui se retrouve en position d’arbitre, étant en mesure de faire pencher la balance d’un côté comme de l’autre. « Force Ouvrière n’a jamais refusé d’aller à la table des négociations et, par le passé, nous avons démontré que nous savions signer des accords quand cela était nécessaire et dans l’intérêt des salariés. Cela dépend du contexte, de ce qui est proposé et de l’avis de nos syndiqués. Dans le cas présent, nous ne fermons pas toutes les portes mais nous ne les ouvrons pas non plus en grand. Il y a des choses à renégocier mais nous serons très attentifs », explique-t-on chez FO. Le syndicat, qui regrette le « retard » de certains investissements, pourtant sources de productivité, comme le très grand portique et le nouveau logiciel de conception et de gestion numérique des projets, refuse catégoriquement le « travail gratuit », en l’occurrence la proposition de la direction de faire travailler les salariés 20 minutes de plus chaque jour, sans compensation. De manière générale, FO estime que les gains peuvent être obtenus autrement que sur la masse salariale, par exemple sur l’organisation du travail.
La CFDT et la CFE-CGC prennent leurs responsabilités
Face à la situation dans laquelle se retrouve le chantier, avec un carnet de commandes nécessitant de nouveaux bateaux, un environnement concurrentiel extrêmement fort et le risque de voir son principal client, MSC, partir à l’étranger, la CFDT et la CFE-CGC ont joué la carte du réalisme et pris leurs responsabilités. Les deux syndicats acceptent de négocier dans la perspective d’aboutir aux économies visées. Mais ils posent des conditions et réclament des contreparties pour les salariés. « Des efforts, nous pouvons en faire y compris sur le temps de travail, mais il s'agira d'un "investissement", pas d'un "cadeau". Il ne peut être question de "gratuité" Et en tout état de cause, cela ne pourra se faire qu'à tous les échelons de l'entreprise. Les efforts devront être partagés. Des résultats de ces efforts, les salariés voudront en voir rapidement la couleur, sur leur rémunération en premier chef. Voir son pouvoir d'achat et son statut social se dégrader d'année en année n'est pas acceptable très longtemps », souligne la CFDT. La CFE-CGC, qui demande également des compensations sitôt l’entreprise revenue à « meilleure fortune », rappelle de son côté que la direction a dénoncé certains accords et usages, ce qui impose une renégociation mais surtout, en cas d’échec, le risque de voir appliquée la convention collective, bien moins favorable. « L’enjeu pour l’avenir de la construction navale nazairienne, et ses emplois est tel que la CFE-CGC ne pouvait refuser une négociation qui de plus, nous place dans une meilleure position pour négocier une amélioration par rapport â la convention collective qui s’appliquerait en cas d’échec ». Les deux syndicats veulent, par ailleurs, que les mesures soient temporellement encadrés, afin comme nous l’expliquions hier que les efforts provisoires ne deviennent pas des sacrifices durables.
La CGT se met hors jeu
Reste le cas de la CGT. Celle-ci campe fermement sur ses positions. Dénonçant un « chantage aux commandes et à l’emploi », elle a envoyé une fin de non recevoir à la demande de la direction de s’engager à négocier en vue d’un accord sur la compétitivité. « A les écouter, la baisse du coût du travail serait le seul moyen de sortir de la crise, c’est un mensonge ! Penser qu’accroître la compétitivité par la baisse du statut social des salariés permettra de s’en sortir est une illusion », martèle le syndicat, sans pour autant proposer de solution au problème posé, qu’il ne fait de toute façon pas siens. Le seul souci, pour la CGT, est qu’elle est en train de s’isoler et même de se marginaliser, malgré son statut de premier syndicat du chantier. Car la suite des évènements va se dérouler sans elle. La négociation, car négociation il y aura, se passera entre la direction et les trois autres organisations. On notera d’ailleurs que celles-ci, malgré leurs différences et oppositions sur certains sujets, ont une belle occasion de jouer collectif sur ce dossier en se répartissant habilement les rôles pour négocier au mieux dans l’intérêt des salariés, sachant que la direction cherche un accord le plus large possible. Une possible stratégie qui, si elle est doublée de part et d’autre d’un peu de bon sens, devrait permettre de limiter la casse tout en aboutissant aux objectifs fixés. Ces négociations cruciales, qui vont conditionner l’avenir de l’entreprise, la CGT n’y participera pas et, en cela, elle commet probablement une erreur tactique. Car elle risque, purement et simplement, de faire la démonstration d’une certaine impuissance, tout en laissant à la manœuvre sa rivale FO, dont les adhésions se développent à ses dépends…