C’est dans son gigantesque amphithéâtre en plein air que s’est déroulée hier, à Saint-Nazaire, la cérémonie de livraison de l’Harmony of the Seas. Commandé en décembre 2012 par l’armateur américain RCCL pour sa filiale Royal Caribbean International, ce géant de 362 mètres de long, 66 mètres de large et 227.700 GT de jauge est le plus gros paquebot du monde. Il surclasse légèrement les deux premiers navires de cette série, l’Oasis of the Seas et l’Allure of the Seas, sortis des chantiers finlandais de Turku en 2009 et 2010. Mais, surtout, le « A34 », comme on l’appelle chez STX France, dépasse de très loin tous les navires de croisière ayant précédemment vu le jour dans l’estuaire de la Loire. Les deux derniers records ont été pulvérisés en termes de jauge : celui du Queen Mary 2 (G32, livré en décembre 2003), avec ses 148.500 GT pour une longueur de 345 mètres et une largeur de 41 mètres (livré en décembre 2003) et celui du Norwegian Epic (C33, juin 2010), un bateau de 155.800 GT long de 329 mètres pour 40.6 mètres de large. Quant aux paquebots de MSC, les plus grands sont à ce jour les dernières unités de la classe Fantasia, avec 333 mètres de long, 37.9 mètres de large et 139.400 GT.
C’est la troisième fois, en presque trente ans, que Saint-Nazaire sort le plus imposant navire de croisière de son temps. Avant le Queen Mary 2, il y avait eu en décembre 1987 le Sovereing of the Seas (A29), commandé au printemps 1985 par Royal Caribbean, déjà. Et c’est précisément avec ce navire de 268 mètres, 73.000 GT et 1140 cabines, présenté à l’époque comme le géant des géants, que les anciens Chantiers de l’Atlantique avaient survécu en faisant des paquebots une grande spécialité.

Hier, lors de la cérémonie de livraison (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Un géant qui couronne la renaissance des chantiers
Trois décennies plus tard, l’histoire s’est répétée, l’Harmony of the Seas constituant une commande salvatrice pour un chantier qui, en 2012, était en grande difficulté. Grâce à ce contrat de 1 milliard d’euros, doublé en 2014 avec la confirmation de la construction d’un sistership (B34), livrable en 2018, STX France s’est redressé et, surfant sur la bonne santé du marché de la croisière, mais aussi des efforts de compétitivité et du soutien du gouvernement, les commandes se sont ensuite enchainées. « Ce pari a été gagné grâce aux efforts immenses consentis dans toute l’entreprise, dont le plan de compétitivité fait partie, ainsi qu’à l’investissement de tous nos coréalisateurs », rappelle Laurent Castaing. Le directeur général de STX France a aussi, une fois de plus, souligné hier le rôle crucial qu’a joué l’Etat via les mesures d’aides aux entreprises et le soutien de Bercy dans l’élaboration des montages financiers.
Ce « travail d’équipe » a donné naissance à la réalisation la plus complexe jamais entreprise sur les bords de Loire. Un tour de force technique et humain venant couronner la relance des chantiers nazairiens, qui ont désormais, devant eux, une visibilité sans précédent avec des projets d’étalant jusqu’en 2026 (12 paquebots dont 8 pour MSC Cruises). Parmi eux, il y a le B34, cadet de l’Harmony of the Seas, dont les dirigeants de RCI se refusent toujours à dire s’il sera exploité sur le marché chinois, mais aussi trois unités de 117.000 GT et 1450 cabines destinés à Celebrity Cruises, filiale haut de gamme de RCCL. Ces navires (les deux premiers en commande ferme et le troisième en commande annulable) sont livrables fin 2018, début 2020 et fin 2021. L’ensemble de ces quatre paquebots représente un investissement de 3 milliards d’euros.

Laurent Castaing avec le commandant du navire, Gus Andersson (© : BERNARD BIGER - STX FRANCE)
Discussions en cours pour d’autres navires
Et si Royal Caribbean n’a pas annoncé hier de nouvelle commande, les discussions en cours en vue de futurs projets sont désormais officielles : « RCCL devra compléter sa flotte dans les années qui viennent et notre action commerciale se poursuit auprès d’eux, d’autant qu’ils sont satisfaits du travail accompli sur l’Harmony », explique Laurent Castaing, qui espère compléter rapidement le carnet de commandes de STX France grâce à son client américain. Ce dernier ne cache d’ailleurs pas son envie de développer sa collaboration avec le constructeur français « Le succès de ce projet nous met en confiance pour en faire encore plus à Saint-Nazaire », a déclaré hier Richard Fain, président de RCCL, lors de la cérémonie de livraison de l’Harmony of the Seas. « Ce navire n’est pas seulement le plus merveilleux, le plus grand et le plus respectueux de l’environnement au monde, c’est aussi le plus cher », a souligné le grand patron du groupe américain, numéro 2 mondial de la croisière, particulièrement élogieux envers les chantiers nazairiens pour cette réalisation hors normes : « Nous sommes heureux d’être en France car il y a une french touch, non seulement dans l’esthétisme, mais aussi dans l’extraordinaire travail d’ingénierie et les technologies développées pour réaliser un tel navire ». Richard Fain a également salué les financements français, « imaginatifs et innovants », avec « l’implication de la Coface et des banques concernées ». Ces fameux montages financiers sans lesquels une commande de ce type n’est pas possible et qui sont, grâce au travail réalisé depuis 2012 par Bercy et les pools bancaires, plus performants et donc intéressants pour les armateurs.

Les chantiers de Saint-Nazaire (© : NSNP - ANDRE BOCQUEL)
Les prochains seront-ils encore plus gros ?
Alors que Saint-Nazaire a encore de la place pour sortir deux paquebots géants en 2021 et 2023, certains parlent d’unités supplémentaires pour la classe Oasis. Une hypothèse qui serait surprenante car on voit mal la compagnie américaine, toujours très en pointe sur les produits innovants, rempiler avec un design dévoilé en 2006 et opérationnel depuis 2009. Les nouveaux projets portent plus vraisemblablement sur une évolution significative du design ou sur une toute nouvelle plateforme. Quant à la taille, aucune indication pour le moment. Seule certitude : Royal Caribbean a l’habitude des très grands navires et STX France peut faire encore plus grand que l’Harmony of the Seas. Ses cales de construction et son bassin d’armement (de 450 mètres de long pour 90 mètres de large chacun) ont en effet été dimensionnés pour les pétroliers géants réalisés dans les années 70. Les quatre supertankers de la classe Batillus, longs de 414 mètres, larges de 63 mètres et affichant un port en lourd de 550.000 tonnes, restent d’ailleurs, à ce jour, les plus grands bateaux réalisés ici. Saint-Nazaire est donc en mesure de produire des paquebots dépassant les 400 mètres et les 300.000 GT de jauge. La limite sera celle des armateurs en fonction du concept qu’ils souhaitent développer et des contraintes d’exploitation des bateaux, notamment en termes d’infrastructures portuaires : « Nous pouvons construire des paquebots encore plus gros que l’Harmony of the Seas mais si on le fait, il faut que ce soit pour apporter des choses en plus par rapport aux autres navires. Ce fut le cas pour Royal Caribbean avec les Oasis, dont la taille a par exemple permis d’aménager des espaces centraux en plein air », rappelle Laurent Castaing.
En attendant d’en savoir plus sur les futurs projets de RCCL, qui devra aussi pourvoir au renouvellement des navires de ses autres filiales, comme Azamara Club Cruises, et qui n’est pas le seul armateur pouvant être intéressé par les slots encore disponibles à Saint-Nazaire, l’Harmony of the Seas constitue une fabuleuse vitrine pour les chantiers français.

(© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
La plus belle des vitrines pour les chantiers français
Certes, ce navire est sur le papier le troisième de sa classe mais, en réalité, c’est à bien des égards un prototype. Alors que les Finlandais n’ont pas été – et on peut les comprendre – très coopératifs pour livrer les plans des deux premiers navires de la série, les ingénieurs de STX France ont refait une grande partie des études du bateau. Et, surtout, ils l’ont techniquement largement amélioré avec en particulier une carène et un système de propulsion et de production d’énergie optimisés. La consommation a, au final, été significativement réduite et l’impact environnemental du paquebot est inférieur de 20% à celui de ses aînés. « Les résultats vont au-delà de nos espérances et, avec ce navire, que nous livrons avec deux semaines d’avance par rapport à la date contractuelle, nous avons montré notre capacité à maîtriser les projets les plus complexes. C’est un atout face à la concurrence », se réjouit le directeur général de STX France, qui rappelle au passage que le A34 a fait travailler 3000 personnes pendant trois ans.

(© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Livré mais pas totalement achevé
Et on s’active d’ailleurs encore à bord car, si l’Harmony of the Seas est livré en avance, ce qui est exceptionnel pour un projet d’une telle ampleur, il n’accueillera ses premiers passagers que le 19 mai. C’est la raison pour laquelle le navire pouvait, hier, donner l’impression de ne pas être terminé. Comme c’est le cas habituellement à une semaine de la mise en service, le travail de finition et d’aménagement des espaces publics bat son plein. Plusieurs centaines de collaborateurs de STX France et surtout de ses sous-traitants, aidés par l’équipage, sont sur le pont pour achever cette ville flottante comprenant 66.000 m² d’espaces publics. Avec 2747 cabines et suites, une vingtaine de restaurants, autant de bars et salons, l’Aquathéâtre mais aussi une grande salle de spectacle intérieure, une patinoire, un casino, une vaste rue commerçante interne (la Royal Promenade), un parc paysager en plein air avec plus de 12.000 espèces végétales, un grand Spa, d’immenses ponts piscines… Il faut veiller au moindre détail, de la mise en place des œuvres d’art à celle des couverts dans chaque restaurant, du bon éclairage des lampes à l’installation de milliers de chaises et fauteuils. Sans oublier les dernières interventions techniques sur les réseaux, les ultimes coups de pinceau et reprises de moquettes… Cette dernière ligne droite représente un travail titanesque pour faire en sorte que l’ensemble soit impeccable lorsqu’arriveront les premiers passagers.

(© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)

La Royal Promenade (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)

Central Park (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Départ prévu dimanche pour Southampton
Ceux-ci embarqueront à Southampton, port britannique vers lequel le paquebot géant doit normalement partir dimanche 15 mai (l’appareillage est prévu à 13 heures). Après une première inauguration avec les agents de voyage anglo-saxons (20 au 22 mai), l’Harmony of the Seas embarquera ses premiers clients le 22 mai à Southampton. Le navire réalisera deux mini-croisières de trois et quatre jours avant de réaliser sa traversée inaugurale (29 mai au 5 juin) vers Barcelone, où une seconde inauguration est prévue. Puis le navire débutera le 7 juin sa saison estivale au départ de la cité catalane avec des croisières d’une semaine vers Palma de Majorque, Marseille, La Spezia, Civitavecchia (port d’embarquement secondaire) et Naples. En octobre, il partira pour les Etats-Unis où il sera exploité à l’année, en Floride, sur des itinéraires vers les Caraïbes.
L’Harmony of the Seas pourra accueillir 5497 passagers (6360 maximum) servis par 2300 membres d’équipage.

L'Harmony lors de ses essais en mer (© : BERNARD BIGER - STX FRANCE)