Extension du site et même, si besoin, allongement du bassin C, sous-traitance de grands blocs et coréalisation éventuelle de nouveaux navires supplémentaires à livrer d’ici 2020… Pour faire face à la saturation de son outil industriel et anticiper de nouveaux projets, le chantier STX France de Saint-Nazaire est à la recherche de partenaires capables de compléter ses moyens de production. En parallèle, il espère pouvoir lancer dès cette année son projet d’extension de ses emprises pour accroître ses propres capacités.

(© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Sous-traiter des blocs pour les navires de MSC ou RCCL
D’abord, il s’agit de trouver un ou plusieurs constructeurs pour réaliser de grands blocs, qui seraient ensuite transférés à Saint-Nazaire, probablement sous forme de sections, afin de compléter ceux fabriqués par STX France. Une pratique qui a déjà eu cours au début des années 2000, une demi-douzaine de blocs du Queen Mary 2 ayant, à l’époque, été réalisés en Pologne. Cette sous-traitance découle de la décision d’accélérer et d’amplifier le programme Vista (Meraviglia) de MSC Cruises. Ce dernier va voir, après la livraison des deux premières unités (E34 et F34 de 167.600 GT et 2246 cabines) en mai 2017 et début 2019, deux unités plus grosses (G34 et H34, 177.100 GT et 2444 cabines) sortir dès octobre 2019 et septembre 2020, au lieu des printemps 2020 et 2022 comme initialement prévu. « Avec l’anticipation des troisième et quatrième navires de la série, nous allons vraisemblablement avoir besoin de sous-traiter des blocs de tôlerie dans un ou plusieurs autres chantiers en Europe car, entre 2017 et 2019, nous allons pendant quelques mois dépasser notre capacité de production », explique Laurent Castaing, directeur général de STX France.

Le futur MSC Meraviglia (© STX FRANCE)
Une dizaine de blocs pourrait ainsi voir le jour hors de France, sachant que la coque d’un Meraviglia est constituée de 50 blocs de 800 à 1300 tonnes (environ 60 pour un Meraviglia Plus) et qu’un Oasis de Royal Caribbean International, comme l’Harmony of the Seas (A34, 227.700 GT, 2700 cabines) en compte 90. Les structures sous-traitées ne seront d’ailleurs pas forcément destinées aux paquebots de MSC. Ils pourront aussi servir à la construction des navires du groupe RCCL qui, en plus du sistership de l’Harmony of the Seas, le B34 (dont une première section comprenant une vingtaine de blocs a été réalisée en avance de phase), a passé commande pour une autre de ses filiales, Celebrity Cruises, de trois unités haut de gamme de 117.000 GT et 1450 cabines (la dernière devant être confirmée), livrables en octobre 2018 (J34), début 2020 (K34) et fin 2021 (L34).

L'Harmony of the Seas dans le bassin C (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Un partenaire pour réaliser des navires supplémentaires
En plus de cette simple sous-traitance, STX France réfléchit à une collaboration plus étroite avec un autre constructeur européen. Cette fois, il s’agit d’anticiper d’éventuelles commandes pour des navires livrables d’ici 2020, c’est-à-dire avant que Saint-Nazaire ait passé le pic de charge qu’il connait actuellement. Car ce n’est pas parce que le chantier français n’est plus en capacité sur cette période de réaliser des paquebots complets qu’il ne va pas tenter de décrocher de nouvelles commandes. Sur les bords de Loire, on pense notamment aux petits navires de luxe ou d’expédition. « Nous avons des pistes commerciales pour des bateaux de moins de 50.000 UMS et, si nous devions en construire rapidement, nous le ferions en coopération avec un partenaire européen. Nous prospectons en ce sens », détaille Laurent Castaing. En Europe du nord, vers la Pologne, en Espagne ? Le patron de STX France précise que, pour le moment, « le partenaire idéal n’a pas encore été trouvé ». Au-delà de la croisière, cette hypothèse de la coréalisation pourrait aussi s’appliquer à d’autres types de navires. On pense bien entendu à Brittany Ferries, obligée de suspendre fin 2014 Pegasis mais qui continue de plancher sur différents projets pour renouveler sa flotte dans les prochaines années. « Nous travaillons avec Brittany Ferries pour l’intégration de srubbers sur ses navires et nous souhaitons continuer à travailler avec eux sur leurs projets de futurs ferries. S’ils voulaient commander rapidement en vue d’une livraison avant 2020, nous nous positionnerions évidemment mais on ne pourrait pas le faire à Saint-Nazaire ».

(© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
De la simple sous-traitance pour la fabrication des coques sous l’étroite supervision des ingénieurs de STX France au projet livré clés en main par un chantier partenaire, les options d’une collaboration éventuelle avec un autre constructeur pourraient prendre différentes formes. «Tout dépendrait des compétences du chantier et de la stratégie que nous déciderions d’adopter », note Laurent Castaing, qui précise que cette voie n’en est encore qu’au stade de la réflexion, au cas où. Plus urgente, la recherche de chantiers pour sous-traiter des blocs pendant le pic de charge des années 2017-2020 peut, en tous cas, être l’occasion de trouver un partenaire et nouer une alliance avec, pourquoi pas, une vision à long terme, « les deux démarches sont différentes mais elles peuvent se rejoindre ».

(© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
De nouvelles commandes espérées cette année
Dans le domaine de la croisière, en particulier, la demande est actuellement forte. Même si une cinquantaine de navires - ce qui est un record - ont déjà été commandés par les armateurs pour des mises en service d’ici 2022, le bouclage de nouveaux projets est attendu dans les mois qui viennent. « Notre équipe commerciale est active et nous espérons une nouvelle commande cette année. Les choses peuvent aller très vite car tout le monde a conscience que la place dans les chantiers européens est comptée et qu’il est temps de prendre les slots disponibles, surtout pour des projets devant voir le jour d’ici 2020. C’est pourquoi, actuellement, les négociations peuvent se conclure en quelques semaines », souligne Laurent Castaing, qui ajoute toutefois que, si la saturation des capacités européennes met les chantiers dans une situation « plus simple » qu’il y a quelques années pour négocier, « il ne faut pas se faire d’illusion, nos clients n’accepteront pas des commandes à n’importe quel prix ». Au-delà de 2020, les discussions commerciales sont également intenses car les armateurs voient bien qu’avec un marché de la croisière en plein essor, les cales des chantiers vont également vite se remplir. Pour sécuriser la poursuite de leurs plans de développement à moyen terme, ils sont donc tentés, voire contraints, d’accélérer les décisions concernant des commandes plus lointaines, « même s’il ne s’agit que de réserver des espaces pour affiner ensuite les projets ».

Une partie de la nouvelle usine Anemos (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Les EMR ont également le vent en poupe
Dans le domaine des énergies marines renouvelables, l’une des grandes activités de diversification de STX France, de bonnes nouvelles sont également attendues. Après la commande d’une sous-station électrique de 380 MW (P34) l’an dernier, en vue d’une livraison début 2018, le chantier négocie toujours la transformation de la lettre d’intention annoncée au même moment pour un autre projet de champ éolien offshore en Europe du nord. Et Saint-Nazaire espère bien emporter d’autres appels d’offres, à l’export bien-sûr, mais aussi en France où les commandes concernant les premiers champs éoliens situés devant les côtes hexagonales vont bientôt tomber : « Le marché est très dynamique et il y a de bonnes nouvelles dans les tuyaux puisque nous arrivons à des discussions finales avec les clients et que nous comptons bien conclure ». Alors que le chantier a répondu l’an dernier à de nombreux projets, d’une valeur cumulée de l’ordre du milliard d’euros, son objectif est de décrocher rapidement entre 50 et 100 millions d’euros de commandes pour compléter celle de la sous-station P34 (100 millions). Ainsi, STX France atteindrait un chiffre d’affaires annuel pour cette activité situé entre 150 et 200 millions d’euros.

Sous-station électrique (© STX FRANCE)
Si les commandes sont au rendez-vous, l’entreprise a déjà prévu d’étendre Anemos, son usine dédiée aux EMR inaugurée en 2015. Mais ce ne sera pas suffisant puisque les plus grosses structures doivent passer par les formes de construction et aires de pré-montage du chantier, qui commence comme on l’a vu à être sérieusement à l’étroit.
Augmenter les capacités avec l’extension de l’aire de pré-montage
D’où le nécessaire développement des capacités industrielles. La mise en service du nouveau portique et la réorganisation du processus de construction, avec des blocs moins nombreux mais plus gros et dont le taux d’armement est nettement plus élevé, a déjà permis de réduire significativement les délais d’assemblage. Après avoir investi 100 millions d’euros dans sa modernisation entre 2010 et 2015 (outils de production et outils informatiques de conception et de gestion de projets notamment), le chantier nazairien va doubler la mise au cours des cinq prochaines années avec le programme Smart Yard 2020 (voir notre article détaillé). En parallèle, il compte développer ses capacités grâce à l’extension de l’aire de pré-montage, qui borde les formes de construction A et B, dont la longueur cumulée atteint 900 mètres. L’idée est de prolonger l’aire de 130 mètres en récupérant le terrain où se trouve l’ancien restaurant d’entreprise, séparé du chantier par le boulevard des apprentis.

Le bd des Apprentis et l'ancien restaurant d'entreprise devant le portique (© STX FRANCE)
« C’est l’investissement dont nous avons le plus besoin car ce gain d’espace nous faciliterait grandement la vie. Nous avons demandé au port, qui est propriétaire du terrain concerné, et à la communauté d’agglomération de Saint-Nazaire, qui a autorité sur le dévoiement du boulevard, d’accélérer le dossier car, si nous ne pouvons pas utiliser ces surfaces, nous serons obligés de sous-traiter plus de blocs », précise Laurent Castaing, qui espère une décision de lancement du projet cette année, afin de disposer de cette nouvelle emprise à partir de 2018. Compte tenu de l’importance de cette extension, STX France a proposé à la CARENE de participer au financement du dévoiement du boulevard des Apprentis, dont le coût est estimé entre 15 et 20 millions d’euros. Le chantier prévoit également d’investir 15 millions d’euros pour l’aménagement du site, comprenant en particulier le renforcement des surfaces et l’extension des rails du portique.

(© NSNP - ANDRE BOCQUEL)
Le bassin C peut en cas de besoin être allongé
Enfin, STX France dispose dans sa manche d’un atout majeur, au cas où il décrocherait la commande de navires ou structures de dimensions exceptionnelles. Le bassin C, long de 450 mètres et large de 90 mètres, qui sert à l’armement des paquebots et a été réhabilité en tant que cale sèche l’an dernier, peut en effet être agrandi. Comme les gigantesques formes de construction A et B, contiguës, ce bassin, où se trouve actuellement l'Harmony of the Seas, est entré en service au début des années 70 afin de pouvoir réaliser et armer des superpétroliers de 500.000 tonnes. A l’époque, il était même question de bateaux titanesques d’un million de tonnes. Les projets d’origine prévoyaient, à cet effet, que le bassin C soit deux fois plus long, avec un linéaire d’environ 900 mètres. Mais la guerre du Kippour en 1973 et le premier choc pétrolier qui en a découlé ont mis brutalement fin aux projets de tankers géants. De ce fait, la deuxième partie du bassin C n’a jamais été creusée. Pour autant, depuis quarante ans, les développements successifs des chantiers nazairiens ont toujours pris en compte la possibilité d’utiliser un jour cette capacité. Les nouveaux ateliers ont par conséquent été construits pour la plupart hors de l’emprise d’une possible extension du bassin.

Le bout du bassin C (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Or, aujourd’hui, la question d’agrandir le bassin C commence de nouveau à titiller la direction de STX France. Car le chantier, comme on l’a vu, manque de place. En effet, si les capacités de production de coques ont été significativement augmentées par la réduction des délais d’assemblage, la phase d’armement demeure longue et ne peut être réduite dans les mêmes proportions. En clair, il pourrait dans les prochaines années manquer des quais pour achever les bateaux. Surtout que la course au gigantisme dans la croisière se poursuit. Pour l’heure, des unités comme le futur MSC Meraviglia (315 mètres de long - 333 pour les Meraviglia Plus - pour 43 mètres de large) peuvent encore passer en forme Joubert, longue de 350 mètres pour 50 mètres de large et qui donne accès au bassin de Penhoët et à son quai d’armement.

La forme Joubert avec le Norwegian Epic (329 mètres, 155.800 GT) en 2010 (© KEVIN IZORCE)
Mais on atteint là les limites de l’infrastructure, déjà dépassée par les géants de la classe Oasis. Cela, alors qu’il ne fait guère de doute que le gabarit moyen des paquebots va encore croître, des projets pour des navires de 400 mètres de long, 60 mètres de large et 300.000 GT commençant même à être évoqués dans l’industrie de la croisière. Saint-Nazaire serait aujourd’hui capable de réaliser dans les formes A et B de tels mastodontes puisqu’il l’a déjà fait dans les années 70 avec les quatre supertankers de la classe Batillus, longs de 414 mètres, larges de 63 mètres et affichant un port en lourd de 550.000 tonnes.

Livré en 1976, le Batillus, ici dans le bassin C (© JACQUES GIRARD - WIKIPEDIA)
Mais les capacités actuelles du chantier interdiraient, durant la phase d’armement, tout autre achèvement à flot d’un navire de très grande taille. De plus, en dehors de la croisière, il faudra sans doute compter, à l’avenir, avec la réalisation d’énormes structures offshores - y compris dans le domaine des EMR - très larges et qui demanderont beaucoup d’espace. C’est pourquoi, même si aucune décision n’est prise et qu’un tel projet réclamerait de lourds investissements, l’idée d’allonger le bassin C refait surface. « Le propre d’une industrie est de savoir anticiper et ce dossier peut se rouvrir s’il y a besoin d’une forme capable d’accueillir des objets de dimensions exceptionnelles, que ce soit des navires ou des structures offshore ».