Bruno Le Maire a officialisé cet après-midi la décision de la France de préempter les 66.6% que le groupe sud-coréen STX Offshore & Shipbuilding détient dans les chantiers de Saint-Nazaire depuis 2008. De fait, l’Etat, déjà actionnaire à 33.34% de l’entreprise, va en posséder la totalité. Une situation qui ne sera que « temporaire », « les chantiers n’ont pas vocation à rester sous le contrôle de l’Etat », a insisté le ministre de l’Economie.
« Bâtir un projet industriel européen solide et ambitieux »
Ce dernier a indiqué que la France souhaite poursuivre les négociations avec Fincantieri et aboutir à un accord avec les Italiens. Dans cette perspective, il se rendra à Rome mardi prochain pour relancer les discussions avec le gouvernement italien. « Cette décision de préempter les parts de STX a un seul objectif : défendre les intérêts stratégiques de la France en matière de construction navale. Elle doit nous donner le temps de négocier dans les meilleures conditions possibles l’entrée de Fincantieri dans les chantiers de Saint-Nazaire afin de bâtir un projet industriel européen solide et ambitieux », a dit le ministre.
Poursuite des discussions sur la base de la proposition française
Alors que le précédent gouvernement avait accepté que Fincantieri prenne une majorité du capital de STX France, Emmanuel Macron, sitôt élu, avait pour mémoire annoncé la remise à plat de l’accord conclu le 12 avril. « Nous avons fait une proposition au gouvernement italien pour partager sur une base équitable la responsabilité de ces chantiers navals. Nous avons offert à Fincantieri de prendre 50 % des parts des chantiers de Saint-Nazaire tout en leur laissant le contrôle opérationnel de la société. Cette proposition équitable a été refusée par le gouvernement italien mais reste sur la table. Elle permet de préserver les intérêts stratégiques de la France tout en associant nos amis Italiens à la construction navale française. Nous continuerons de négocier sur cette base ».
Garanties pour l’emploi et la protection du savoir-faire
Bruno Le Maire a rappelé les deux principales craintes ayant poussé Paris à refuser de laisser la majorité du capital à Fincantieri. D’abord le risque que le groupe public italien privilégie les chantiers transalpins si le marché des paquebots, aujourd’hui florissant et qui assure de la charge pour 10 ans, venait ensuite à fléchir : « Nous voulons bâtir un beau projet industriel avec l’Italie mais il y a des enjeux importants, notamment en termes d’emploi. Si demain il y a un retournement de conjoncture, quelles garanties avons-nous pour l’emploi à Saint-Nazaire ? ». Ensuite, la coopération que Fincantieri va conduire avec les chantiers chinois pour les aider à réaliser leurs premiers paquebots : « Nous avons à Saint-Nazaire un savoir-faire exceptionnel et unique. Nous voulons toutes les garanties que ce savoir-faire ne parte pas, un jour, vers une grande puissance économique non européenne ».
L’Etat reprend la main sur le dossier
Pressé par le calendrier, la possibilité pour l’Etat de préempter les parts de STX arrivant à échéance le 29 juillet, le gouvernement a donc décidé de se donner du temps pour poursuivre les négociations et trouver une solution. Mais surtout, cette décision lui permet de prendre directement la main sur un dossier où il était jusqu’ici tributaire de la procédure juridique lancée il y a un an en Corée du sud lorsque STX, acculé par les dettes, a été mis en redressement puis contraint de céder ses actifs.
Même à 50%, Saint-Nazaire reste une aubaine pour Fincantieri
Reste maintenant à savoir si les Italiens vont accepter demain ce qu’ils refusent aujourd’hui. Certes, Fincantieri a clairement intérêt à venir à Saint-Nazaire, même à 50% seulement, car il prendrait le contrôle opérationnel de son concurrent historique, mettrait la main sur son activité commerciale et profiterait de ses infrastructures, les plus grandes d’Europe, pour revenir sur le marché des très grands paquebots. La course au gigantisme dans la croisière a en effet dépassé le gabarit des cales italiennes, aboutissant pour Fincantieri à devoir faire une croix sur les derniers projets de certains de ses clients historiques. De plus, le coût de l’opération est extrêmement réduit, puisque le rachat des 66.6% de STX s’élève à peine à 80 millions d’euros, pour une entreprise dont le carnet de commandes dépasse aujourd’hui les 13 milliards d’euros.
Vers un billard à trois bandes avec le militaire ?
Dans le même temps, le rejet de la dernière proposition française a été très nette à Rome et il sera complexe politiquement, pour les Italiens, de faire machine arrière, si tant est qu'ils le veuillent bien. Pour le justifier, il faut de la nouveauté et celle-ci peut venir du secteur militaire. En clair, approfondir parallèlement aux négociations sur l’entrée de Fincantieri au capital de Saint-Nazaire le projet de renforcement de la coopération franco-italienne dans le domaine naval militaire. Bruno Le Maire a indiqué avoir évoqué le sujet avec Florence Parly, ministre de la Défense, estimant que la situation actuelle « ouvre des perspectives de coopération dans le secteur naval civil et pourquoi pas, un jour, militaire ».
On sait que Naval Group (ex-DCNS), qui doit entrer au capital de STX France aux côtés de l’Etat et dont le président Hervé Guillou est un fervent partisan de la consolidation européenne, discute depuis un moment avec Fincantieri. Il est en particulier question de renforcer la coopération franco-italienne en matière de bâtiments militaires de surface. Avec différentes idées d’intégration plus ou moins poussées et progressives, allant de mutualisations en matière d’achat de gros équipements et de capacités industrielles à des offres communes à l’export (on a notamment parlé du projet des frégates canadiennes), en passant par des participations croisées entre sociétés ou la création d’une joint-venture.
Alors que Fincantieri est en Italie l’équivalent de Naval Group et STX France réunis au sein d’une même entreprise, Saint-Nazaire a aussi une activité militaire. C’est en effet le dernier chantier français capable de construire de grands bâtiments (porte-avions, porte-hélicoptères et ravitailleurs), ce qui favoriserait son intégration dans un dispositif plus vaste à l’activité duale. La France a d’ailleurs déjà proposé à l’Italie une coopération dans le cadre du programme des trois nouveaux bâtiments logistiques de la Marine nationale. Il s’agirait de reprendre le design du ravitailleur italien Vulcano, en cours de construction chez Fincantieri, de l’adapter aux besoins français et pourquoi pas de produire une partie des coques en Italie avec un achèvement à Saint-Nazaire.
Quoiqu’il en soit, Bruno Le Maire espère trouver une solution franco-italienne pour STX France « dans les prochaines semaines », le ministre ayant indiqué que, pour le moment, « il n’y a pas d’autre option » sur la table. Cela étant, si Rome demeure sur ses positions, l’Etat, grâce à la préemption, aura le temps d’organiser un tour de table alternatif avec d’autres investisseurs.