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Le paquebot géant Costa Smeralda devrait finalement accuser deux mois de retard, le début de sa première croisière étant désormais renvoyé au 21 décembre. C’est ce qu’a annoncé ce mardi 29 octobre la compagnie italienne Costa Croisières. Celle-ci indique que le chantier finlandais Meyer Turku n’est pas en mesure de respecter les délais et nécessite un nouveau report pour achever le navire. Un mastodonte de 337 mètres de long pour 42 mètres de large affichant une jauge de 182.700 GT et capable d’accueillir jusqu’à 6518 passagers. Et un bateau qui, en plus de sa taille particulièrement importante se distingue comme étant le second au monde doté d’une propulsion fonctionnant au gaz naturel liquéfié (GNL).

Alors que le Costa Smeralda devait initialement être livré le 17 octobre, l’armateur et le constructeur avaient reconnu mi-septembre que le calendrier ne serait pas tenu. Toutes les croisières et festivités prévues entre le 20 octobre et le 30 novembre avaient été annulées, la compagnie devant gérer le contrecoup auprès des agents de voyages et de la clientèle ayant déjà réservé des vacances sur son nouveau navire amiral (soit 7000 dossiers impactés sur la période d’annulations, pour le double au moins de passagers). « Malheureusement, les mesures prises par le chantier naval pour livrer le navire à la mi-novembre n’ont pas eu les résultats escomptés. Costa Smeralda est un projet totalement nouveau et innovant qui implique à la fois une technologie de pointe et la conception de chaque aspect individuel de l'expérience à bord. Avec son nouveau système de propulsion GNL et de nombreux salons sophistiqués avec équipement de scène et audio / vidéo, la complexité et la sophistication du navire sont très élevées. Outre ses caractéristiques de conception uniques, son tonnage brut de plus de 180.000 tonneaux est également impressionnant et le Costa Smeralda est beaucoup plus grand que les navires récemment construits par le chantier naval de Turku. Afin de rendre tout cela possible, le chantier a besoin d’un nouveau délai », explique la compagnie.

Celle-ci affirme que la propulsion GNL « n'est pas la raison du retard ». Pour autant, alors que le navire devait initialement réaliser une unique campagne d’essais en mer, prévue fin septembre et devant être concentrée sur une semaine, ses premiers tests au large des côtes finlandaises (finalement intervenus ce mois-ci) n’ont apparemment pas impliqué la chaîne gaz. Des essais en mer avec fonctionnement de la propulsion GNL sont prévus mi-novembre, explique-t-on chez Costa.

Turku et sa maison-mère, le groupe allemand Meyer Werft, ont déjà une solide expérience dans ce domaine. Avant le Costa Smeralda, le chantier finlandais a déjà produit deux grands ferries propulsés au gaz, le Viking Grace livré en 2012, puis le Megastar de Tallink en 2017. Quant à Meyer Werft, il a construit le premier paquebot GNL au monde, l’AIDAnova, sur la base duquel le Costa Smeralda est construit (au sein d’une commande globale de 9 paquebots signée par le groupe américain Carnival pour ses filiales AIDA, Costa, P&O et CCL). Malgré la réputation du chantier allemand de Papenburg, l’AIDAnova avait cependant été livré avec un bon mois de retard, en décembre 2018. Le retour d’expérience acquis avec ce prototype n’a donc pas empêché le groupe Meyer de continuer à essuyer les plâtres de cette série de géants, cette fois à Turku, avec un retard encore plus important. Un report de livraison de deux mois pour un grand paquebot construit en Europe est une première depuis très longtemps et un très mauvais coup pour le constructeur. Si la propulsion GNL et ses implications sur l’ensemble du navire n’est pas en cause, du moins pas totalement (sachant que Carnival s’est récemment félicité de l’excellent fonctionnement de la propulsion gaz sur l’AIDAnova), les raisons sont alors à chercher ailleurs.

Costa les donne sans doute en expliquant que Turku n’a pas réalisé de paquebot de cette taille depuis un bon moment. Depuis près d’une décennie en fait, les dernières unités de très grand gabarit produites en Finlande ayant été les Oasis of the Seas et Allure of the Seas (361 mètres, 225.000 GT) sortis en 2009 et 2010. Entretemps, Turku, au demeurant confronté dès les années 2000 à un vrai problème de renouvellement de sa main d’œuvre qualifiée (la moyenne d’âge des ouvriers du chantier était de plus de 50 ans en 2009) dans un pays où la navale n’attirait plus la jeunesse, a vécu faute de commandes une période très difficile, réduisant sensiblement ses effectifs internes et taillant dans les coréalisateurs (de nombreux sous-traitants venant des pays Baltes). Un temps menacé, le plus grand chantier finlandais fut repris en 2014 par Meyer Werft et, de là, a retrouvé le chemin de la croissance. Fin 2018, le nombre de salariés repassait la barre des 2200, soit 430 de plus en deux ans. Après avoir tourné au ralenti dans les années qui suivirent la livraison de l’Allure of the Seas, Turku s’est contenté de livrer entre 2014 et 2017 des paquebots de taille moyenne (295 mètres, 99.800 GT, 1260 cabines) pour la compagnie allemande TUI Cruises. Avant de repasser directement à des navires géants extrêmement complexes et dont la cadence de production est élevée : deux unités pour Costa à achever en 2019 et 2021, ainsi que deux similaires pour CCL en 2020 et 2022. Sans oublier le projet au moins aussi ambitieux de la compagnie américaine Royal Caribbean International avec quatre navires GNL de 200.000 GT (projet Icon) que Turku doit livrer à partir de 2022. C’est sans doute cette transition entre une période de basses eaux et un plan de charge plein à craquer qui pose problème. Des projets de cette ampleur nécessitent en effet une organisation sans faille, ainsi que des ressources humaines considérables tant en interne que dans la sous-traitance. Turku paye sans doute, aujourd’hui, ses années de vache maigre et l’obligation de recouvrer au plus vite des compétences à grande échelle. Tout l’enjeu est maintenant pour lui d’absorber le retard du Costa Smeralda et, au-delà du coût financier important que cela va engendrer, d’empêcher à tout prix des répercussions sur les autres navires en construction ou commandés. Il y a là un enjeu majeur pour le constructeur, qui s’il a survécu à la grande disette du début des années 2010, va devoir cette fois tout mettre en œuvre pour éviter de boire le bouillon.

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Costa Croisières Meyer Turku (ex-STX FINLAND)