Conclusion possible de la commande des nouveaux paquebots de MSC Cruises et mise en œuvre, ou rejet, des nouveaux accords d’entreprise assortis de mesures permettant d’améliorer la compétitivité : cette semaine s’annonce comme décisive pour l’avenir des chantiers de Saint-Nazaire. Mercredi, se tient le Conseil d’administration de STX France. Le projet Vista, portant sur la commande de deux grands paquebots de 150.000 GT et 2000 cabines pour MSC Cruises sera au cœur des discussions. Pour emporter la commande, qui serait assortie d’une option pour deux navires supplémentaires (pour une valeur totale potentielle estimée à 2.4 milliards d’euros), l’offre faite à l’armateur italo-suisse doit être réduite de plusieurs dizaines de millions d’euros. Jusqu’ici, le Conseil d’administration de l’entreprise, détenue à 66.6% par le groupe sud-coréen STX Offshore & Shipbuilding et à 33.34% par l’Etat français, s’est opposé à ce rabais. Car, en l’état actuel des choses, signer le contrat à un tel prix revendrait à construire les bateaux à perte. Une option exclue puisque la rentabilité de STX France, très faible comme nous le verrons plus loin, ne le permet pas.
Le nouveau « pacte social pour la compétitivité »
Pour réduire le prix de l’offre faite à MSC, mais aussi redonner une bouffée d’oxygène financière à l’entreprise, la direction tente depuis l’an dernier de mettre en œuvre un plan visant à améliorer la compétitivité. Une première tentative, parasitée par la campagne des élections professionnelles, qui se sont déroulées en octobre dernier, s’est soldée par un échec. Face à cette situation, la direction a dénoncé en fin d’année les usages et accords d’entreprise, ouvrant de facto une négociation obligatoire sur la réécriture desdits accords et usages, en y incluant des mesures destinées à réduire les coûts. A l’issue des discussions avec les syndicats, le « pacte social pour la compétitivité », présenté jeudi dernier en comité d’entreprise, comprend trois grands axes d’économies. S’il n’est plus question de faire travailler les salariés 20 minutes de plus par jour, la CGT et Force Ouvrière s’étant catégoriquement opposées au travail gratuit, la direction a proposé le gel temporaire de la moitié des jours ARTP (Accord sur la réduction du temps de présence), l’équivalent pour STX France des RTT, soit 7 jours par an. Au bout de trois ans, si les bénéfices de l’entreprise ne sont pas suffisants, le gel serait renouvelé sur trois années supplémentaires, sachant que les 21 jours des 3 premières années seraient dès lors récupérés par les salariés. Le second pilier du plan de compétitivité porte sur l’indemnité temporaire dégressive de rémunération (ITDR). Ce mécanisme permet aux personnels ayant travaillé un certain temps sur des horaires spécifiques (comme les 3/8 ou 2/8) et qui reviennent à des horaires classiques, donc moins bien payés, ne pas souffrir d’une chute brutale de salaire. Une situation qui, en fait, correspond aux creux dans le plan de charge que peut connaitre l’entreprise. La baisse de rémunération est alors progressive et lissée au fil des mois. Jusqu’ici, il fallait par exemple travailler 4 mois dans un horaire pour bénéficier d’une ITDR de 12 mois. Dans le nouvel accord, les conditions sont bien moins avantageuses puisqu’il est nécessaire de travailler 12 mois dans un horaire pour bénéficier de 6 mois d’ITDR.
Enfin, la troisième grande mesure porte sur l’annualisation du temps de travail. Concrètement, les heures supplémentaires ne seraient plus calculées sur des dépassements mensuels mais à l’année, pendant laquelle chaque salarié doit travailler 1607 heures. L’amplitude horaires est, quant à elle, fixée entre 28 à 42 heures de travail par semaine.
Enfin, à ces trois grandes mesures, s’ajoutent la suppression de certaines primes, comme la gratification pour la médaille du travail, qui correspond à un demi-mois de salaire (pour les 20, 30 et 40 ans d’ancienneté dans l’entreprise), et la forfaitisation des autres pour réaliser des économies de gestion.
Au final, le gel des jours ARTP, qui constitue une économie de trésorerie temporaire importante, doit représenter une économie annuelle, sur la période de l’accord, de 3% de la masse salariale. Quant à la réduction de certains avantages sociaux, elle est estimée à 2% de la masse salariale. L’ensemble représente un gain de 5% par an sur 3 ans, soit en tout quelques 21 millions d’euros.

Le MSC Preziosa, livré en mars 2013 (© STX FRANCE - BERNARD BIGER)
Le sort de l’accord entre les mains de FO
A l’issue des négociations, la CFDT et la CFE CGC ont décidé de signer le nouveau pacte social, ce qui a été fait vendredi dernier. « C’est au prix d’efforts limités et partagés par tous que nous avons obtenu le maintien du revenu de tous ainsi que des libertés supplémentaires. Cet accord, qui sauve la plupart de nos acquis sociaux, ouvre la voie à des commandes couvrant notre charge pour des années », expliquent les deux organisations syndicales. Celles-ci rappellent également que la mise en œuvre du pacte permet de relancer la politique salariale chez STX France, où les salaires ont été gelés en 2013. Dans ce cadre, des négociations sont prévues dès le 6 février, sachant que la direction a prévu de réaffecter 20% des économies réalisées aux augmentations de salaires. De même, elle a accepté le souhait de la CFDT et de la CFE CGC, qui est aussi celui de Force Ouvrière et qui est plutôt vu d’un bon œil par la CGT, de plancher sur le « travailler mieux », c'est-à-dire améliorer autant que possible l’organisation ou les méthodes de travail pour rendre la vie des salariés plus aisée et, au passage, réaliser des économies. Celles-ci pourront être versées via l’intéressement à la politique salariale, qui avec les seuls 20% de redistribution demeurerait très faible. Mais les gains liés au « travailler mieux » ne seront pas mesurables avant 2015.

Du côté de la CGT, on rejette en bloc le nouvel accord, arguant qu’il n’est pas question de remettre en cause les acquis sociaux. Au sein du syndicat, on met en avant le « ras le bol des salariés », qui ont déjà consenti des sacrifices et voient leur pouvoir d’achat diminuer au fil des années. Force Ouvrière, qui partage ce point de vue, n’a pas signé le pacte mais, contrairement à la CGT, n’est finalement pas entrée vendredi dans l’opposition. Une telle décision aurait pour conséquence de rendre l’accord caduc, la CGT et FO ayant recueilli, aux dernières élections professionnelles, un peu plus de 50% des voix. De quoi, en cas d’alliance des deux syndicats, faire barrage au pacte, qui ne peut être mis en œuvre avec le seul soutien de la CFDT et de la CFE CGC (sauf en si FO ne signe pas mais ne dénonce pas non plus l’accord).
Alors que les syndicats ont légalement 8 jours pour dénoncer l’accord, FO a lancé ce que l’on peut considérer comme un ultimatum. Elle donne jusqu’au 6 février à la direction pour lui donner satisfaction sur trois points, faute de quoi elle affirme qu’elle dénoncera l’accord. Ces revendications portent sur une limitation à 3 ans seulement, au lieu de 6, le gel des jours ARTP, ainsi qu’un retour à l’accord de 1999 sur l’ITDR, soit 6 mois dans un régime horaire pour bénéficier d’une dégressivité du salaire sur une période de 12 mois. Enfin, le syndicat réclame l’abandon de l’annualisation du temps de travail, dont il estime qu’il engendrera des conséquences « insupportables » pour le pouvoir d’achat des salariés.
Il reste désormais à voir si la direction peut répondre à tout ou partie de ces revendications, avec en toile de fond le Conseil d’administration de mercredi et l’impérieuse nécessité de remporter la commande des nouveaux paquebots de MSC.

Trois paquebots en construction à Saint-Nazaire en 2008 (© MSC CRUISES)
Situation délicate pour les salariés en cas d’échec
Pour FO, la situation est en tous cas très inconfortable. Certes, le syndicat, qui est sorti grand gagnant des élections d’octobre dernier, s’est placé en position d’arbitre dans ces négociations et, s’il parvient à arracher de nouvelles concessions, en sortira encore renforcé. A l’inverse, si aucun terrain d’entente n’est trouvé et que la commande de MSC tombe à l’eau, il risque fort de s’en voir attribuer la responsabilité. De plus, si la direction refuse d’aller plus loin et que l’accord est dénoncé, il faudra expliquer aux salariés, et notamment aux ouvriers, pourquoi, dès le 1er avril, certaines primes ne seront plus versées. Le pacte social pour la compétitivité inclut, en effet, la réécriture de l’ensemble des accords et usages dénoncés fin 2013, pas seulement des mesures destinées à réaliser des économies. Pour faire simple, il a été élaboré de manière à reprendre l’essentiel des acquis sociaux en vigueur, moins les efforts demandés aux salariés. La négociation imposée par la loi pour réécrire les accords d’entreprise lorsque ceux-ci sont dénoncés s’est donc déroulée. Cela signifie, en clair, que si le pacte est dénoncé, les usages, constitués d’avantages propres à l’entreprise, peuvent disparaitre et, à défaut de nouveaux accords d’entreprise validés par la majorité des syndicats, c’est la convention collective qui s’appliquera. Les usages, qui courent jusqu’au 30 mars, seront les premiers à tomber, avec la suppression des primes permanentes qui y sont attachées. Puis, si rien ne bouge, STX France en reviendra au 1er février 2015 à la convention collective de la métallurgie, bien moins avantageuse. A titre d’exemple, la majoration du travail le dimanche et les jours fériés serait réduite de moitié (de 100% à 50%), l’annualisation du temps de travail serait imposée avec une modulation des horaires bien plus forte (de 0 à 48 heures par semaine) et les d’autres acquis seraient réduits. On imagine à peine le séisme que cela pourrait provoquer au niveau des personnels.
Une entreprise à peine rentable
Pour une société telle que STX France, qui construit des paquebots à 500 millions d’euros, voire plus, 5 millions d’économie par an peut faire office de goutte d’eau. En fait, c’est beaucoup pour la navale, qui est en réalité l’une des industries les moins rentables. La bataille qui se joue actuellement autour du pacte social pour la compétitivité a d’ailleurs permis d’en savoir plus sur les résultats financiers de STX France. C’est ainsi que l’on a appris que le chantier est à peine à l’équilibre. Alors que le chiffre d’affaires généré tourne autour de 600 millions d’euros, le résultat net s’est situé entre 0 et 1 million d’euros ces dernières années. Et avec les économies escomptées, les bénéfices ne devraient s’élever qu’à un peu moins de 4 millions d’euros, un chiffre ridiculement bas mais qui n’a pas été atteint depuis de très longues années. Quant aux actionnaires, ils ne touchent pas de dividendes et ce, apparemment, depuis bien longtemps, y compris lorsqu’Alstom était encore aux manettes. Avec des marges aussi faibles, on comprend mieux la nécessité, pour l’entreprise, de réduire ses coûts via les acquis sociaux car, en fait, elle n’a guère d’autre levier disponible.
La trésorerie à préserver coûte que coûte
La très faible rentabilité de STX France fait que le chantier n’a pas vraiment le droit à l’erreur, sans quoi ses résultats basculent immédiatement dans le rouge. Certes, l’entreprise ne présente pas un gros endettement et dispose d’une bonne trésorerie. Mais celle-ci doit être impérativement préservée pour le financement des nouveaux projets. La construction d’un navire impose en effet l’avance par le chantier de sommes considérables puisque, généralement, l’armateur ne paye que 5% d’acompte à la commande, puis environ le même montant à différentes étapes, notamment la mise sur cale et le lancement. Ce n’est qu’à la livraison, plusieurs années après la signature du contrat, que le gros de la somme, soit autour de 80%, est réglé au constructeur. Entretemps, le chantier doit financer la construction et payer ses sous-traitants, soit une avance de plusieurs centaines de millions d’euros. Cet argent est emprunté aux banques. Seulement voilà, pour que de tels prêts soient acceptés, il faut un minimum de trésorerie, soit plusieurs dizaines de millions d’euros, notamment pour assurer la garantie de restitution d’acompte. Le risque est donc qu’un chantier, s’il est déficitaire, puise trop dans sa trésorerie et finisse par l’épuiser. Dès lors, il ne peut plus emprunter auprès des banques et se voit, ainsi, dans l’incapacité de financer de nouveaux projets. C’est typiquement sur cette pente mortelle que s’est engagé STX Finland. Le constructeur finlandais, qui a ponctionné sa trésorerie pour éponger ses pertes durant plusieurs années, n’est pas parvenu à trouver le financement pour réaliser un projet de deux ferries destinés à Scandlines, dont la lettre d’intention, signée l’été dernier, n’a pu se transformer en commande.

Le paquebot géant Oasis of the Seas (© RCCL)
Prendre des navires, mais pas à perte
On notera que les déboires de STX Finland semblent prendre leurs racines dans la construction des paquebots Oasis of the Seas et Allure of the Seas (227.000 GT, 2700 cabines), livrés en 2009 et 2010 au groupe américain Royal Caribbean Cruises Ltd (RCCL). Un projet faramineux et hautement complexe, d’un coût de 2 milliards d’euros, sur lequel le chantier de Turku a visiblement perdu de l’argent. Et l’histoire semble devoir se répéter pour Saint-Nazaire, qui a débuté en septembre 2013 la construction du troisième géant de ce type. Le « A34 », qui a fait office à sa signature en décembre 2012 de commande salvatrice, s’annonce aujourd’hui comme un projet déficitaire. Le contrat a en effet été signé à un niveau de prix trop bas, alors qu’il s’agit plus d’un prototype que d’un navire de série. Cela du fait qu’il y a des modifications par rapport aux deux premières unités mais aussi, et surtout, parce que les Finlandais, bien qu’appartenant aussi au groupe STX Europe, n’ont semble-t-il pas transmis de plans exploitables à Saint-Nazaire, où les bureaux d’études seraient finalement obligés de tout refaire. Le coût prévisionnel a donc sensiblement augmenté pour aboutir à une situation de perte financière.
La carte stratégique consistant à prendre le risque d’engranger une commande à un prix trop serré pour relancer l’activité a donc déjà été jouée et ne peut être renouvelée avec MSC. Au risque de creuser le déficit et de suivre le fameux « scénario finlandais », qui a vu Turku, après les pertes subies sur les deux premiers Oasis, reprendre une commande à trop bas coût avec les deux paquebots de TUI Cruises (99.500 GT, 1250 cabines), actuellement en cours de réalisation.

Le Mein Schiff 3 de TUI Cruises en construction à Turku (© STX FINLAND)
Parer les risques industriels et financer les investissements
C’est pourquoi STX France doit, absolument, préserver sa trésorerie, qui lui sert non seulement au financement de nouveaux projets, mais également à pouvoir encaisser un éventuel « accident industriel ». Ce fut le cas entre 2007 et 2010 avec le Norwegian Epic (153.000 GT, 2100 cabines), un projet remis à plat par son armateur, NCL, suite à un changement d’actionnaire. Alors que la commande du second navire a été annulée, le premier a fait l’objet, en cours de construction, d’importantes modifications, faisant exploser les prix.
On notera, enfin, que le chantier a besoin de liquidités pour ses investissements. Car, là encore, les négociations autour de l’accord de compétitivité ont permis d’apprendre que STX France s’autofinançait. Qu’il s’agisse du nouveau portique ou de la modernisation des outils numérique de conception et de gestion du cycle de vie des projets, chacun ayant coûté une trentaine de millions d’euros, le chantier n’a reçu aucun coup de pouce financier de ses actionnaires. Concernant l’Etat et les collectivités locales, en dehors des plans de formation, les aides publiques ne touchent guère que l’innovation, et encore dans des proportions bien moindres que ce que l’on connait dans l’aéronautique et l’automobile, où les prototypes sont largement subventionnés. Ce n’est pas le cas de la navale, qui doit vendre d’emblée ses têtes de série.

Le nouveau portique de Saint-Nazaire (© STX FRANCE - BERNARD BIGER)
La sous-traitance aux abois
Il apparait donc désormais comme évident que Saint-Nazaire évolue sur une corde raide et que le chantier, dans un contexte concurrentiel exacerbé en raison de la faiblesse du nombre de commandes de paquebots, doit impérativement réduire ses coûts. Avec des marges de manœuvre très étroites. Pendant un moment, la variable d’ajustement a été obtenue sur les coréalisateurs, dont certains ont il est vrai très bien vécu pendant longtemps avec les bateaux réalisés en bord de Loire. Mais il s’agit d’une époque révolue puisque les prix demandés aux fournisseurs sont de plus en plus serrés. Ainsi, pour le A34 (Oasis 3), on parle chez certains sous-traitants d’une contraction de l’ordre de 20 à 25% ! Tant et si bien que le recours à la main d’œuvre étrangère, moins coûteuse, risque fort d’augmenter significativement, au détriment des entreprises ou du moins de l’emploi français. Sans compter que, dans ces conditions économiques, un certain nombre de sociétés envisagent sérieusement d’abandonner purement et simplement la navale. Avec le risque d’une grave perte locale de savoir-faire sur les paquebots, dont 70% de la valeur est produite par les coréalisateurs. Alors que plusieurs sous-traitants ont déjà fait faillite et que d’autres envisagent de jeter l’éponge, répéter avec MSC une prise de commande à perte, comme c’est le cas avec l’Oasis 3, aurait donc des conséquences désastreuses pour l’emploi local.
Une commande à ne pas rater
Il en serait évidemment de même si ce contrat majeur venait à échapper à STX France. Le projet Vista est en effet structurant puisqu’il doit constituer le socle de l’activité nazairienne entre 2015 et 2020/2021 (si quatre paquebots de ce type sont construits). C’est l’une des très rares commandes que l’entreprise peut actuellement décrocher, avec un prototype et des navires répétitifs, offrant de la charge pour les bureaux d’études et la production, le tout au sein d’un projet qui doit normalement, grâce à l’effet de série, être rentable pour le chantier et ses sous-traitants. C’est donc le contrat à ne pas rater, pour peu que la commande ne soit pas prise à perte. D’où la nécessité d’assurer sa viabilité économique, ce qui est l’objectif de l’accord sur la compétitivité. Une condition qui est également valable pour l’éventuel sistership de l’Oasis 3, qui fait l’objet d’une option que RCCL doit ou non affermir cette année. Or, il parait désormais évident que, compte tenu de la situation sur le A34, le Conseil d’administration de STX France n’autorisera pas le chantier à renouveler l’expérience à un prix aussi bas, sauf si l’équilibre financier est atteint par le biais d’économies.

Le Royal Princess, livré par Fincantieri en 2013 (© PRINCESS CRUISES)
La concurrence prend le large
Si Saint-Nazaire veut se maintenir sur le marché des paquebots, il faudra de toute façon que le chantier améliore sa compétitivité. Ce n’est pas une option, c’est une obligation. Car la réalité, c’est que dans un contexte concurrentiel extrêmement vif, le constructeur français se fait distancer par ses grands rivaux européens sur son cœur de métier. Il n’y a qu’à regarder le carnet de commandes mondial pour s’en rendre compte. Ainsi, sur 21 navires de croisière à livrer d’ici 2017, 12 sortiront des cales de l’Italien Fincantieri et 6 du chantier allemand Meyer Werft. S’y ajoutent deux bateaux pour STX Finland et deux autres pour le Japonais Mitsubishi Heavy Industries. En face, Saint-Nazaire n’a pour le moment que l’Oasis 3 et, contrairement aux Italiens et aux Allemands, qui ont enregistré depuis un an d’importantes commandes dans la croisière, aucune bonne nouvelle n’est intervenue depuis décembre 2012 sur les bords de Loire.

Le Norwegian Getaway, livré par Meyer Werft le mois dernier (© MEYER WERFT)
Surcapacité européenne et contexte économique difficile
Cette situation s’explique essentiellement par des raisons financières. Alors que la navale européenne est en surcapacité et que cela devrait probablement perdurer jusqu’à ce que, malheureusement, un ou plusieurs chantiers disparaissent, les armateurs négocient âprement les prix. Cela, en raison du déséquilibre entre l’offre et la demande, qui permet aux clients des chantiers de jouer au maximum sur la concurrence. S’y ajoute un contexte économique encore difficile pour le tourisme et, même si la croisière est le seul segment de cette industrie à avoir poursuivi sa croissance, la crise en Europe a un impact certain sur le pouvoir d’achat de nombreux passagers. Pour maintenir leur niveau de rentabilité, qui conditionne notamment les investissements colossaux dans la construction de nouveaux paquebots, les compagnies sont donc contraintes de réduire leurs coûts. Avec des économies sur les frais de fonctionnement, mais aussi sur les nouveaux projets, pour lesquels les armateurs demandent des navires toujours plus innovants et moins gourmands en énergie, sans pour autant que les prix augmentent mécaniquement.

Le hall de construction couvert de Papenburg (© MEYER WERFT)
Des efforts de productivité chez les Allemands et les Italiens
Les constructeurs n’ont alors d’autre choix que de baisser leurs tarifs. Car, s’ils ne le font pas, les commandes partent à la concurrence. Cela, alors que la compétition, exclusivement européenne pendant longtemps, voit le grand retour des Asiatiques avec le Japonais MHI, qui réalise actuellement deux paquebots très innovants et très bon marché destinés à la compagnie allemande AIDA Cruises, filiale du groupe américain Carnival Corporation, leader mondial de la croisière. Ebranlés par cette commande, alors qu’AIDA avait fait construire ses précédents navires en Allemagne, Meyer Werft a réagi en mettant en place un nouveau plan destiné à renforcer la productivité sur son chantier de Papenburg. Bien que détenu par l’Etat italien, Fincantieri lui a emboité le pas, les syndicats acceptant que les personnels fassent des efforts pour maintenir ouverts les huit chantiers du groupe. Sans quoi, faute de commande, il faudrait fermer des sites et supprimer des milliers d’emplois.

Le Costa Diadema au chantier Fincantieri de Marghera (© MER ET MARINE - VG)
Le mirage de l’excellence française
En face, il semble qu’à Saint-Nazaire on ait parfois un peu de mal à prendre conscience de ces réalités et de la tempête qui menace. Chez les personnels, on constate souvent un manque de connaissance de l’activité qui fait vivre le chantier et du fait que l’entreprise vend ses produits au-delà des frontières, en se battant face à des concurrents qui n’ont pas forcément les mêmes contraintes, notamment au niveau des charges. De ce point de vue, il est évidemment souhaitable que l’Europe tende vers des régimes harmonisés (pour peu qu’ils soient tirés vers le haut) mais c’est un processus de longue haleine et, en attendant, il faut faire avec la concurrence telle qu’elle est. Et ne pas oublier que les armateurs ont le choix.
A ce titre, il y a aussi ce tropisme bien français qui consiste à penser que l’on fabrique les meilleurs produits du monde. Seulement voilà, comme dans bien d’autres secteurs, l’excellence tricolore, que l’on croit au dessus de la mêlée, n’est qu’un mirage. S’il est vrai que STX France est très réputé pour les aspects techniques, on construit des paquebots aussi beaux, aussi performants et aussi innovants en Allemagne ou en Finlande. Même les Italiens, qui étaient souvent considérés comme moins bons, on fait des progrès significatifs ces dernières années, notamment sur le niveau de finition des navires. Au point d’ailleurs qu’à l’exception de l’Europa 2 d’Hapag-Lloyd (livré par STX France en avril 2013), Fincantieri a décroché toutes les dernières commandes des compagnies de luxe. En somme, si les Nazairiens peuvent être très fiers des bateaux qu’ils construisent, ils doivent aussi comprendre que l’on fait aussi bien ailleurs et que, dans ces conditions, si les prix sont plus bas à l’étranger, c’est là bas que partent les commandes. Ce n’est pas une posture politique ou idéologique, c’est juste une réalité économique, celle là même que tout à chacun applique au supermarché : à qualité égale, le consommateur opte pour le produit le moins cher.

Vue du futur navire propulsé auy GNL de Brittany Ferries (© STX FRANCE)
Les ferries au gaz, l’offshore et les énergies marines
Pour finir, il convient de dire un mot des autres marchés sur lesquels STX France se positionne. En dehors de la croisière, le chantier mise beaucoup sur les ferries propulsés au gaz naturel liquéfié, un nouveau mode de propulsion en plein essor du fait du renforcement de la règlementation sur les émissions polluantes. Après avoir pris un certain retard dans le domaine, Saint-Nazaire a développé un concept innovant et prometteur comprenant notamment l’intégration de la cuve de stockage du GNL dans les fonds du navire. Cette solution verra le jour fin 2016 avec un navire commandé par Brittany Ferries. D’autres armateurs pourraient être convaincus par cette technologie, pour laquelle le marché potentiel parait très important du fait des besoins de renouvellement de la flotte. Pour la France, en dehors de Brittany Ferries, on pense évidemment à la SNCM. Mais la compagnie fait face à de graves difficultés et de nombreux observateurs se demandent si le feu vert donné fin janvier par son conseil d’administration à la commande de nouveaux navires n’est pas un écran de fumée destiné à apaiser les personnels jusqu’aux élections municipales.

Le BPC russe Vladivostok en achèvement (© KEVIN IZORCE)
Alors que dans le secteur militaire, après les deux bâtiments de projection et de commandement livrables en 2014 et 2015 à la Marine russe, les perspectives semblent réduites, STX France cherche à se diversifier dans le secteur de l’offshore pétrolier et celui des énergies marines. Plusieurs contrats ont déjà été remportés, notamment une sous-station électrique destinée à un champ éolien installé dans les eaux britanniques. Alors que d’autres marchés seraient sur le point de tomber, le chantier compte développer un pôle dédié à cette activité près du bassin C, les investissements nécessaire étant estimé, à terme, à une centaine de millions d’euros. La direction espère que cette activité représentera jusqu’à 30% du chiffre d’affaires à l’horizon 2020. C’est beaucoup mais, même si cet objectif est atteint, ce ne sera pas suffisant pour assurer l’activité du chantier et tous ses sous-traitants si les commandes de paquebots ne sont pas au rendez-vous.

Sous-station électrique d'un champ éolien offshore (© STX FRANCE)