L’accord conclu le 12 avril entre l’Etat et Fincantieri pour la reprise des chantiers STX France peut être désormais considéré comme caduc. En déplacement hier à Saint-Nazaire dans le cadre de la livraison du paquebot MSC Meraviglia, Emmanuel Macron a annoncé qu’il souhaite une renégociation avec les Italiens.
Pour mémoire, Fincantieri va acquérir les 66.7% que le groupe sud-coréen STX Offshore & Shipbuilding détient depuis 2008 dans les chantiers nazairiens, l’Etat français possédant le reste du capital (33.3%). Face à l’inquiétude de voir le constructeur italien prendre le contrôle de son concurrent historique, le précédent gouvernement avait imposé à Fincantieri qu’il renonce à la majorité et cède des parts à d’autres acteurs. DCNS doit, ainsi, acquérir 12% des anciens Chantiers de l’Atlantique. Fincantieri, de son côté, a accepté de baisser sa participation à 48% mais il a fait venir au tour de table une autre structure italienne (comme le lui proposait l’ancien gouvernement français). Après avoir refusé plusieurs solutions présentées par les Italiens, Paris a accepté Fondazione CR, une fondation basée elle aussi à Trieste et qui prendrait suivant l’accord du 12 avril 6% du capital. Une solution qui, bien que répondant au cadre fixé par les prédécesseurs d’Emmanuel Macron et Bruno Lemaire, ne convient pas à de nombreux acteurs sur le terrain. Quoique présentée comme indépendante de Fincantieri, la fondation italienne est en effet perçue comme un simple artifice, permettant aux Italiens de bel et bien détenir la majorité des chantiers français. D’autant que Fincantieri pourra selon l’accord acquérir au bout de 8 ans les parts de Fondazione CR.

(© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
« Je souhaite que les équilibres de principe trouvés en avril puissent être revus »
La question a été abordée par Emmanuel Macron à la fin de son discours : « En lien avec nos amis italiens et j’ai parlé hier au président du Conseil Paolo Gentiloni et en lien avec les principaux clients des chantiers de l’Atlantique, je souhaite que les équilibres de principe trouvés en avril 2017 puissent être revus. J’ai entendu les préoccupations exprimées parmi (…) les salariés de l’entreprise, leurs représentants, les sous-traitants, les élus et même les clients. C’est pourquoi je souhaite que cette nouvelle structure actionnariale permette d’abord de consolider le plan de charge industriel. En aucun cas l’actionnariat futur ne doit fragiliser la capacité à acquérir de nouveaux contrats et à avoir de nouveaux clients. Je veux ensuite que cette structure puisse garantir la pérennité des emplois. En aucun cas il ne doit y avoir, en raison d’un actionnariat futur, des choix qui puissent privilégier un site contre un autre et fragiliser les emplois à Saint-Nazaire. Je souhaite que ce nouvel actionnariat puisse garantir l’excellence du savoir-faire exceptionnel de Saint-Nazaire, et je veux donc que ce nouvel actionnariat puisse garantir, dans le long terme, que le savoir-faire, que (les) connaissances et (les) capacités soient préservés et maintenus ici. Je veux enfin que l’indépendance et la souveraineté stratégique de notre pays soient, par ce nouvel actionnariat, garantis ».
Le président veut ainsi répondre à la crainte de voir l’avance technologique que possède Saint-Nazaire récupérée au profit de chantiers étrangers, éviter qu’en cas de retournement du marché de la croisière, tout ou partie de navires devant être réalisés dans l’estuaire de la Loire partent vers des sites de Fincantiei au cas où ceux-ci n’auraient plus assez de charge. Il s’agit aussi de préserver l’indispensable réseau local de sous-traitance et maintenir en France, quoiqu’il arrive, la capacité de concevoir et réaliser de manière autonome des bateaux et structures maritimes complexes et de grand gabarit. C’est en particulier le cas des grands bâtiments militaires, sachant que Saint-Nazaire est le seul chantier de l’Hexagone à disposer d’une cale suffisamment grande pour réaliser des porte-avions, bâtiments de projection et ravitailleurs pour la Marine nationale et l’export.
Faire descendre la participation italienne sous les 50%
Concrètement, la répartition des parts de STX O&S, telle que prévue dans l’accord du 12 avril, sera revue. Emmanuel Macron n’a pas donné de détail mais il est évident qu’il s’agit, cette fois, de faire bel et bien descendre les Italiens sous la barre des 50%. Pour autant, le président ne veut pas débarquer Fincantieri. Il a été très clair sur le fait que la France est disposée à voir le constructeur italien entrer au capital de Saint-Nazaire. « Je me réjouis et me félicite d’un rapprochement industriel entre STX France et Fincantieri qui matérialise la force de l’Europe, l’excellence de la relation entre nos deux pays et je veux donc que ce partenariat puisse se poursuivre et se consolider ».
Transformer un rachat en coopération
Toutefois, l’Elysée parait clairement vouloir transformer ce qui devait être un simple rachat en une coopération bilatérale, qui pourrait d’ailleurs, à l’avenir, s’entendre au secteur militaire, des discussions entre DCNS et Fincantieri ayant également lieu pour renforcer leurs liens, y compris éventuellement par le biais de participations croisées. Ce projet, connu sous le nom de Magellan, a pour le moment été ajourné, du fait notamment des incertitudes autour du chantier de Saint-Nazaire. Mais celui-ci, une fois les difficultés surmontées et un accord final conclu, pourrait constituer la première pierre d’un complexe naval franco-italien bien plus large.
Sortir la fondation et faire entrer les armateurs
La priorité est donc de dénouer intelligemment ce dossier, c’est-à-dire permettre à Fincantieri de devenir l’actionnaire industriel de référence de Saint-Nazaire, tout disposant de suffisamment de moyens de contrôle et d’action pour, finalement, sécuriser l’entreprise. Cela passe par les garanties déjà négociées avec les Italiens, et ceux-ci ont en la matière fait d’importantes concessions, mais aussi la composition du capital, qui constituera l’ultime garantie permettant à la France de veiller au respect de ses intérêts stratégiques. On peut aisément imaginer que Paris demande notamment à ce que Fondazione CR soit sortie du jeu et que Fincantieri conserve une position minoritaire. Les parts de la fondation pourraient être logiquement cédées aux deux principaux clients de Saint-Nazaire, RCCL et MSC, qui ne l’oublions pas ont proposé à l’Etat une solution de reprise alternative. Pour permettre aux armateurs de disposer chacun d’un siège au Conseil d’administration (dans lequel Fincantieri aurait alors trois voix, l’Etat deux, DCNS une et le directeur une), il faudrait toutefois aller plus loin que les seuls 6% de la fondation, ce qui impliquerait de récupérer quelques pourcents sur les autres actionnaires, hors Etat français qui gardera ses 33.3%, seuil minimal pour disposer d’une minorité de blocage.
Un compromis acceptable
Les Italiens vont-ils accepter cette ultime évolution de la position française ? C’est assez probable, car le compromis tel que présenté parait acceptable pour tous, y compris Fincantieri. Bien qu’il perdrait le contrôle effectif du chantier, le groupe réaliserait néanmoins une excellente opération sur le plan financier (le montant du rachat des parts de STX est de seulement 79.5 millions d’euros, et descendra donc avec la participation finale que détiendra Fincantieri) mais aussi stratégique puisqu’il prendra la main sur les aspects commerciaux, en clair la vente des navires, et consoliderait son activité avec un rival historique, dont il serait l’acteur industriel de référence et avec lequel il pourrait développer des coopérations bénéfiques au sein du groupe et au-delà. Même si l’on peut éventuellement s’attendre à une tentative de résistance de la part de Fincantieri, la France est politiquement en position de force en Europe et Emmanuel Marcon, auréolé de ses premiers pas réussis sur la scène internationale et de légitimité que lui donne sa récente élection, tend très habilement la main à l’Italie.
Faute d’accord, ce sera la préemption
Un geste clair d’ouverture en faveur du renforcement de la coopération européenne, avec néanmoins une fermeté, une « exigence » comme il l’appelle, qui constitue désormais la marque de fabrique du nouveau président français. En clair, s’il est résolu à trouver un terrain d’entente avec Fincantieri, il y a fort à parier que si le groupe italien refuse, le nouveau locataire de l’Elysée n’hésitera pas à faire préempter par l’Etat les parts de STX O&S, pour les redistribuer ensuite aux partenaires de son choix. Une solution d’autant plus facile à appliquer en cas de refus italien que d’autres solutions de reprise existent. Il y a non seulement le « plan B » des armateurs, mais aussi d’autres options. Certains grands sous-traitants sont ainsi toujours prêts à rejoindre un tour de table, tout comme la Région des Pays de la Loire, alors que l’entrée au capital des salariés est aussi possible (et notamment proposée dans la solution de RCCL et MSC).
Deux mois pour agir
En termes de calendrier, les négociations devront être menées dans un délai maximal de deux mois. C’est la période durant laquelle la France peut faire jouer son droit de préemption sur les parts de STX. Le « compte à rebours », que l’on pensait avoir débuté le 19 mai lorsque Fincantieri a annoncé avoir signé la convention d’achat des parts de STX avec le tribunal de Séoul, en charge de la cession des actifs du groupe sud-coréen, acculé par les dettes, ne vient en réalité que de commencer. En effet, les Coréens ont attendu avant de notifier au gouvernement français la proposition de vente de Fincantieri, ce qui n’a été à priori fait que le 30 mai. L’Etat a donc jusqu’à la fin juillet pour renoncer ou user de son droit de préemption.
Dans cette perspective, a annoncé Emmanuel Macron, le ministre de l’Econonie, Bruno Lemaire, qui l’accompagnait hier à Saint-Nazaire, « aura dans les prochaines semaines avec l’ensemble des parties prenantes de ce dossier à négocier les équilibres pour préserver à la fois tout le sens d’un partenariat stratégique entre la France et l’Italie dont je me réjouis, mais pour préserver notre souveraineté industrielle, le savoir-faire de nos chantiers et pour préserver l’emploi et les intérêts de l’économie régionale ».