Les îles reculées des Marquises fascinent. A 1500 kilomètres de Tahiti, tous les mois, le cargo-mixte Aranui 5 de la Compagnie Polynésienne de transport maritime (CPTM) achemine des marchandises et accueille des croisiéristes pour leur faire découvrir l'archipel. L'Aranui 5 a effectué sa croisière inaugurale le 17 décembre dernier, succédant à l'Aranui 3, qui assurait le service depuis 2003. Pour Mer et Marine, Noémie Debot-Ducloyer a fait le voyage. Embarquement...

Les Marquises (© CPTM)
Face au centre-ville de Papeete, à Tahiti, l'Aranui 5 attend ses passagers. Venus de toute l'Europe, d'Australie, des Etats-Unis mais aussi de Polynésie, ils sont accueillis au son des ukulélé et des chants des animateurs du navire. La croisière de 14 jours proposée par la CPTM sur son nouveau fleuron, l'Aranui 5, est l'une des façons les plus originales de découvrir les Marquises, mais aussi Rangiroa et Takapoto (archipel des Tuamotu) et enfin Bora-Bora (archipel de la Société).
Takapoto, dans les Tuamotou (© NOEMIE DEBOT-DUCLOYER)

Bora Bora (© TAHITI TOURISME)

(© TAHITI TOURISME)
Des îles célèbres pour leurs forêts sauvages s'agrippant à d'imposantes montagnes, des plages de sable fin et des lagons de rêve avec leurs eaux translucides peuplées de poissons tropicaux. Mais ce voyage, c'est aussi la découverte des habitants et de la culture locale.
Une aventure familiale débutée en 1959
La CPTM est une société familiale qui a démarré avec le grand père de l'actuel armateur, Philippe Wong, en 1959. A l'époque, l'Aranui était un caboteur qui acheminait des marchandises d'île en île pour les ravitailler. En 1984, les fils du grand-père Wong reprennent l'affaire. A cette époque, la compagnie doit se restructurer car le tonnage de marchandises chute. Afin de rentabiliser le voyage, la compagnie aménage des espaces pour les passagers. C'est ainsi que l'Aranui devient un cargo-mixte. Philippe Wong a succédé à son père, décédé en 2008 et dirige toujours les affaires avec son oncle, Jul-Chom Wong, 80 ans, qui a voulu construire son dernier bateau : l'Aranui 5.
Philippe Wong (en chemise verte) à bord de l'Aranui 5 (© NOEMIE DEBOT-DUCLOYER)

L'Aranui 3 et l'Aranui 5 (© CPTM)
Destination Marquises
A peine le pied posé sur le navire, les croisiéristes sont immergés dans la culture marquisienne. Le jour du départ de Tahiti, ils assistent à un spectacle des Toa Huhina, un groupe de danseurs traditionnels marquisiens. Le « continent » est déjà loin dans les esprits, c'est l'heure de prendre la mer. Chacun prend possession de sa cabine. L'Aranui 5 est plus luxueux que son aîné, l'Aranui 3. Les cabines ont été décorées de façon sobre avec une touche de Polynésie. Le navire compte 33 suites dont la plupart s’ouvrent sur des balcons, 32 cabines de luxe, 40 cabines standard, 4 dortoirs pour 4 personnes et un dortoir pour 8 personnes.

Suite premium sur l'Aranui 5 (© CPTM)
Pour une croisière en pension complète de 14 jours, la suite présidentielle coûte 7000 euros, la suite royale 5980 euros, la suite premium 5500 euros, la suite Junior sans balcon 5200 euros, la chambre deluxe supérieure 4795 euros, la chambre deluxe 4500 euros, la cabine standard 4086 et le lit en dortoir 2413 euros. Tout est compris, les excursions et les animations. Au total, 129 cabines sont disponibles.
La réception de l'Aranui 5 (© NOEMIE DEBOT-DUCLOYER)

(© CPTM)
Après l'exercice d'abandon obligatoire au départ, les passagers peuvent se détendre sur le pont piscine, large sun deck où il est agréable de se reposer sur les chaises longues donnant sur la mer. La piscine de 30 m2 invite au rafraîchissement.
Puis les guides de l'Aranui 5 organisent une réunion dans l'une des deux salles de conférences du bateau. En français, en anglais et en allemand ils présentent les nombreuses excursions, qui durent environ de 4 heures à une journée, sur les îles des archipels polynésiens.

Rangiroa (© NOEMIE DEBOT-DUCLOYER)
La croisière inaugurale de l'Aranui 5 était exceptionnelle car le navire s'est rendu au festival des arts des îles Marquises, qui se déroule tous les deux ans à Hiva Oa. Un moment extraordinaire où, pendant deux jours, les passagers ont pu assister à une rencontre entre toutes les îles de l'archipel autour de la danse, du chant et de la nourriture traditionnelle. Près de 5000 personnes étaient réunies à Hiva Oa à cette occasion.
Le dernier festival des Marquises (© NOEMIE DEBOT-DUCLOYER)
Le Kaikai (repas en marquisien)
Les repas sont les points d'ancrage de cette croisière. Sur chaque île, les passagers s'arrêtent dans un restaurant tenu par un habitant local. Comme à Nuku Hiva où Mamie Yvonne met en route son four marquisien, creusé dans la terre, où le cochon cuit pendant des heures. Les fruits poussent en abondance aux Marquises et il est possible de se régaler tout au long de la journée avec des pamplemousses sucrés, des mangues, des bananes, des citrons, de l'eau de coco …
A chaque petit-déjeuner sur le bateau, les passagers ont le choix entre de nombreux fruits frais. Tous les matins ou presque, ils peuvent également voir les arrivées dans les baies exceptionnelles depuis le Sky Bar du pont 9. Comme à Ua Huka où la manœuvre de l'Aranui 5 est spectaculaire. Le navire jette l'ancre puis tourne sur lui-même dans une baie très étroite. Les marins sur les barges amarrent le navire de chaque côté de la baie avec les imposantes haussières.
Hua Huka (© NOEMIE DEBOT-DUCLOYER)

Hua Huka (© NOEMIE DEBOT-DUCLOYER)
Le soir, le repas est pris à bord. Henere, le chef cuisinier, est Polynésien. Il prépare des plats essentiellement Français avec une touche locale comme la galette des rois à la noix de coco. Parmi les activités proposées, les passagers peuvent faire de la pêche au gros au large des Marquises. La compagnie a d'ailleurs investi dans une nouvelle annexe de 11 mètres spécialement conçue à cet effet, le Mokai Nui 2, réalisée par le chantier ODC Marine. Le poisson ramené est alors cuisiné et servi pour le dîner à la table des passagers qui ont participé à la pêche.

L'annexe de pêche Mokai Nui 2 (© ODC MARINE)
A la nuit tombée, croisiéristes et marins se retrouvent au bar du pont 6 pour danser au son des ukulélé de l'Aranui Band. Fil rouge de la croisière, le groupe composé exclusivement de membres de l'équipage se produit de nombreuses fois pendant le séjour. Les soirées sont festives sur l'Aranui 5 : les marins ne manquent jamais une occasion de mettre l'ambiance et de partager leur culture dans l'un des quatre bars de navire.
Les excursions
Sur les différents ponts, l'équipage, majoritairement originaire des Marquises, se mélange avec les passagers. « On ne veut pas ressembler au paquebot uniforme et impersonnel. Il se créé un véritable échange entre le personnel polynésien et les passagers. Tout le monde se tutoie comme il est d'usage en Polynésie. Je n'avais jamais vu ça sur d'autres navires », commente le commandant Vatea Sitjar qui a également travaillé sur le Club Med 2.
L'Aranui 5 à Fatu Hiva (© NOEMIE DEBOT-DUCLOYER)

La baie des Vierges à Fatu Hiva (© NOEMIE DEBOT-DUCLOYER)
La plupart des îles desservies par l'Aranui 5 n'ont pas de quai. Les passagers sont alors débarqués au moyen de barges à fond plat, et ce par tous les temps. Rien ne fait peur aux marins tatoués qui empoignent jeunes et moins jeunes pour les amener sur la terre ferme. Les manœuvres ne sont pas toujours faciles à exécuter pour les barreurs des barges, qui doivent parfois contrer la houle et parviennent grâce à une expérience ancestrale à dompter les caprices de la mer. Selon Philippe Wong, seuls les Polynésiens sont capables de réaliser de telles manœuvres : « Ils savent comment surfer sur les vagues, comment accoster. A mon avis, peu de marins internationaux prendraient le risque d'aller dans des endroits un peu "limite" avec des passagers. Ils connaissent leurs eaux, c'est un atout ».
Gaby, barreur sur l'Aranui 5 (© NOEMIE DEBOT-DUCLOYER)
Barge débarquant les passagers à Hiva Oa (© NOEMIE DEBOT-DUCLOYER)
Tino, ancien responsable du fret et désormais guide, aime à raconter des anecdotes sur l'Aranui 2 (1990 – 2003) et l'Aranui 3 car il est à bord depuis plus de 30 ans. « A l'époque on débarquait les passagers avec des baleinières, pas des barges. On s'arrêtait à 60 mètres de la plage, après il fallait les transporter à la force des bras. Certains passagers étaient balèzes, il fallait s'y mettre à deux ! », sourit-il.
A l'arrivée des croisiéristes dans les îles, toute l'économie se réactive : la coopérative agricole de Ua Pou récolte ses fruits pour les vendre, les artisans taillent la pierre fleurie ; à Ua Huka, des dizaines de Tiki (divinité marquisienne) sont sculptés et des colliers de graines sont fabriqués par les femmes. Les sculpteurs de Tahuata sont spécialisés dans les bijoux en os sculptés. Certains passagers réservent plusieurs mois à l'avance les plus belles pièces.
L'Aranui 5 à Ua Pou (© NOEMIE DEBOT-DUCLOYER)
Un navire également dédié au transport de fret
Le fret reste une activité importante du navire, d'où son nom de « cargo-mixte ». Les marins débarquent les marchandises avec les barges ou les baleinières. Tous les mois, l'Aranui 5 ravitaille les îles en gasoil, riz, boissons et autres denrées nécessaires à la vie de tous les jours. Il peut aussi livrer une grue pour des travaux, des sacs de ciment ou des bureaux pour les écoliers. En retour, le navire embarque du coprah (l'enveloppe de la noix de coco qui sert à faire de l'huile), des fruits pour revendre à Tahiti, du poisson ou encore des produits artisanaux. Deux grues proéminentes de 35 tonnes de capacité de levage permettent de charger et de décharger la cargaison.
Manutention du fret à Hiva Oa (© NOEMIE DEBOT-DUCLOYER)
Grâce à son activité de fret, l'Aranui 5 peut se rendre dans des baies inaccessibles à la plupart des navires de croisière. « Nous avons une double raison de venir : la première c'est le fret car nous avons une clientèle qui nous attend. La deuxième, ce sont les passagers. Un navire ne peut pas débarquer 200 ou 300 passagers comme l'Aranui 5 s’il n’a pas des gens qui connaissent bien la zone. Il faut avoir fait du repérage avant », commente Philippe Wong. En effet, ce sont des 4x4, conduits par les habitants et rémunérés par la Compagnie Polynésienne de Transport Maritime, qui promènent les croisiéristes à travers les îles.
A bord de l'Aranui 5 (© NOEMIE DEBOT-DUCLOYER)
La vie à bord
Au quotidien, des animations rythment la vie du navire. Tous les jours, sur le pont piscine, les passagers apprennent à danser comme les Marquisiens. Lors de la soirée Polynésienne, au milieu du séjour, ils présentent leur chorégraphie. Pour l'occasion, les croisiéristes apprennent même à tresser leurs costumes végétaux et leurs couronnes de fleurs !
Des conférences sont données tout au long de la croisière. Pour le premier voyage de l'Aranui 5, le président du musée parisien des Arts Premiers, Stéphane Martin, a présenté des documents sur le tatouage marquisien. En effet, ces îles sont le berceau du tatouage, appelé Patu tiki.
L'Aranui 5 invite également à la détente et au bien-être loin de toute civilisation. Le Spa propose des massages et quelques soins corporels. La salle de sport et la salle de danse permettent également d'éliminer les excès des repas copieux marquisiens pris pendant les excursions.
Les grands Tikis de Puamau (© NOEMIE DEBOT-DUCLOYER)
Légendes et croyances marquisiennes
Le Tiki, premier être humain à être divinisé aux Marquises est omniprésent tout au long du voyage. Il est très représenté dans les tatouages des locaux, notamment ceux marins et sur les sculptures. A Puamau sur l'île d'Hiva Oa, les touristes découvrent l'exceptionnel site des plus grands Tikis de Polynésie.
Dans la vallée de Tapivai à Nuku Hiva, on accède à un ancien site sacré abritant d'anciennes divinités sculptées. Cette vallée a d'ailleurs été rendue célèbre par Herman Melville et son roman Taïpi. L’écrivain américain avait débarqué d'un baleinier et s'était retrouvé au milieu du village des Taïpis au début du XIX siècle. A Nuku Hiva toujours, les croisiéristes se rendent au site archéologique de Kamuihei. Plus d'une centaine de pétroglyphes y sont répartis. Ces gravures dans la roche ont été réalisées à l'aide d'outils en pierre. Elles représentent des figures humaines ou animales, des motifs géométriques ou des dessins plus complexes.
La danse marquisiennes rythme les excursions. A chaque arrivée du bateau, les femmes chantent « Mave Mai » qui veut dire « bienvenue » en Marquisien, les hommes exécutent la danse du cochon. A Ua Pou, les croisiéristes assistent à des danses marquisiennes sur un tohua, place publique où les anciens habitants de l'île se rassemblaient pour les festivités, les danses, les banquets et les diverses réunions.
Ua Pou (© NOEMIE DEBOT-DUCLOYER)

Ua Pou (© NOEMIE DEBOT-DUCLOYER)
L'île la plus attendue par les passagers reste celle d'Hiva Oa, dernière demeure de Jacques Brel et Paul Gauguin, qui y sont enterrés. Le peintre a séjourné à la fin de sa vie sur cette île reculée dans sa « Maison du jouir ». Sa réputation sulfureuse le poursuit toujours. Un musée exposant ses peintures lui est consacré : « Je pars pour être tranquille, pour être débarrassé de l'influence de la civilisation. Je ne veux faire que de l'art simple, pour cela j'ai besoin de me retremper dans la nature vierge », écrivait-il au début du XXIème siècle. Quant à Jacques Brel, il est arrivé par la mer sur son voilier de 19 mètres, l'Askoy II. Ce fut son dernier voyage car, déjà atteint d'un cancer du poumon, le chanteur s'éteint à Hiva Oa en 1978.

(© CPTM)
Depuis quelques années, de plus en plus de bateaux de croisière se rendent dans les eaux marquisiennes. Cette concurrence n'inquiète pas Philippe Wong : « Nous nous sommes posés cette question il y a dix ou quinze ans. Ces navires de croisière permettent de promouvoir les Marquises, ça ne peut être que bénéfique pour nous », commente-t-il, rappelant que l’Aranui 5 propose un voyage unique en son genre, permettant de s’immerger pleinement dans la culture locale et de découvrir des sites uniques. L'aventure du cargo-mixte polynésien n'est donc pas prête de s'arrêter.
Noémie Debot-Ducloyer

(© CPTM)