À moins d'un imprévu, le paquebot Costa Concordia, échoué depuis deux ans et demi à cinquante mètres du rivage, quittera demain l'île du Giglio, en Italie, pour le port de Gênes où il sera démantelé. Un moment que les habitants attendent avec impatience.
Depuis l’île du Giglio, Ariel Dumont, envoyée spéciale du groupe Le Télégramme :
Un léger voile de brume marine flotte sur la mer. Les voiliers et les yachts dansent au rythme des vagues. Sur la plage, des vacanciers s'offrent un bain de soleil sous les nuages. À quelques kilomètres de Campese, l'un des trois villages touristiques de l'île du Giglio, l'atmosphère est totalement différente. Sur le port, les équipes des sociétés américaine Titan et italienne Micoperi, chargées du renflouement du Costa Concordia, prennent un capuccino en attendant les navettes qui les emmèneront sur l'épave pour achever les opérations de renflouement. Les journalistes prennent une pause et les habitants de l'île jettent ce qu'ils espèrent être un dernier coup d'oeil au mastodonte ancré à quelques mètres du rivage depuis deux ans et demi. « C'est drôle, je ne le vois presque plus. À force de l'avoir sous mes fenêtres, il est entré dans ma vie car il fait partie du paysage », confie Maria Giovanna. Cette sexagénaire, souriante et bronzée, habite dans un petit immeuble situé au-dessus de l'endroit où s'est échoué le paquebot, la nuit du 13 janvier 2012. Elle se souvient de tout, les cris, l'odeur de la peur qui suintait, dit-elle, dans l'air, les lumières qui clignotaient et les grincements du bateau qui s'affaissait. « Quand le paquebot sera parti, la vie ne sera pas pour autant comme avant le drame. Nous n'oublierons jamais ce que nous avons vu et entendu », confie Maria Giovanna.
Tous sur le port
Demain matin, lorsque les sirènes retentiront, que l'épave commencera à bouger, tirée par deux remorqueurs, les habitants seront tous sur le port et regarderont le Costa Concordia s'en aller. « Nous n'agiterons certainement pas nos mouchoirs pour lui souhaiter une bonne traversée, nous voulons simplement être sûrs qu'il partira pour de vrai », avoue Maurizio, un grand gaillard qui travaille dans un bar situé à Castello sur les hauteurs de l'île. Amoureux de ce morceau de terre coincé entre l'île d'Elbe et la localité touristique très chic de Porto Stefano, au point de s'être fait tatouer la forme du Giglio sur son avant-bras gauche, il attend ce moment depuis deux ans et demi. « C'est long, tout ce temps passé à regarder un truc qui pue la mort », assène Maurizio.
Trente-deux morts
Sur la jetée, un vieux marin au visage buriné par le vent et le sel regarde le paquebot. Pense-t-il aux trente-deux victimes, mortes à une cinquantaine de mètres à peine du rivage ? Ou essaye-t-il d'imaginer la vie sur l'île après le départ du mastodonte ? Sur le carré de plage situé juste en face du paquebot, un petit groupe de touristes prend des photographies, comme cette mère souriante, agenouillée à côté de son fils qui fait un château de sable sous le regard indiscret des journalistes armés de caméras de télévision et d'appareils photos. La normalité à côté du drame. La nuit tombe lentement sur l'île. Sous les feux des projecteurs placés un peu partout sur le paquebot et les tours de contrôle plantées tout autour, le Costa Concordia retrouve un peu de son antique splendeur. Demain, tout sera fini, le rideau tombera, les feux de la rampe s'éteindront et la vie essayera de reprendre son cours sur l'île du Giglio.
Des zones protégées
Au début de l'été, les baleines ont l'habitude d'allaiter leurs petits près des côtes italiennes, d'où la crainte des associations environnementales de voir le Costa Concordia déverser, lors de son voyage, des produits toxiques dans les eaux que ces mammifères marins fréquentent. Ce voyage, long de 280 km et d'une durée de quatre jours environ, verra le géant des mers passer à 25 km de la Corse, près de l'île d'Elbe, et à 10 km de l'île italienne de Capraia. « Le Concordia passera par des zones protégées où évoluent des dauphins, des cachalots, ainsi que des rorquals qui ont pris l'habitude d'emmener leurs petits dans ces eaux poissonneuses au large de Gênes pour les nourrir », explique Giorgia Monti, de Greenpeace. L'association environnementale, ainsi que son homologue la plus importante en Italie, Legambiente, craignent que la coque endommagée du paquebot ne supporte pas le voyage et ne se brise, répandant dans la mer un mélange toxique de métaux lourds, huiles, plastiques et autres produits chimiques. Néanmoins, le plus vraisemblable serait que la coque résiste à la pression mais que des débris se détachent au fur et à mesure, entraînant la fuite de quelque 263.000 mètres cubes de liquide pollué en Méditerranée. Autre scénario possible : le déversement, dans la mer, de la centaine de tonnes de fuel restant dans les réservoirs. En outre, des substances, comme des phtalates ou des alkylphénols, contenus dans les câbles, meubles et appareils électriques du navire, pourraient endommager le système reproducteur des cétacés.
Flottille d’accompagnement
À une vitesse ne dépassant pas deux noeuds à l'heure, dix navires accompagneront le paquebot, afin de collecter les éventuels débris, contrôler la qualité des eaux et prévenir les cétacés de l'approche du Concordia. Un équipement incluant des barrages anti-pétrole et des appareils à infrarouges détectant toute trace d'hydrocarbure à la surface de l'eau, la nuit, sera embarqué. Une fois arrivé à Gênes, le bateau sera vidé de tout liquide, puis découpé en trois parties, avant d'être dépecé, ce qui prendra plus de deux ans. Pendant ce temps, Costa a promis de nettoyer la zone d'échouage du paquebot près du Giglio afin de restituer aux fonds marins leur pureté d'avant le naufrage. Ainsi, les immenses plateformes sur lesquelles le Concordia a reposé seront démantelées, ainsi que les 21 piliers les soutenant et les 16.000 tonnes de sacs de ciment qui consolidaient les fonds seront transplantées.
Le dernier périple
Quatre jours. C'est le temps que doit durer le voyage du Concordia, qui va rejoindre Gênes. Le navire devrait passer à 25 km de la Corse, près de l'île d'Elbe. Une fois arrivé à Gênes, il sera amarré aux docks du chantier où il sera dépecé. Son tirant d’eau sera de 18.5 mètres, contre 8.2 mètres avant l’accident.
Un coût de 1.5 milliard d'euros. Costa Croisières évalue désormais le coût du sauvetage à 1.5 milliard d’euros. Ce montant recouvre le redressement du paquebot, son renflouement, sa stabilisation, son trajet jusqu'à Gênes, puis son démantèlement. Ce dernier a été confié aux sociétés italiennes Saipem et San Giorgio del Porto, les opérations précédentes étant menées par le consortium américano-italien Titan Micoperi.
Un homme à la barre. À la tête d'une équipe de quelque 500 personnes expertes en sauvetage de bateaux, le Sud-Africain Nick Sloane, pour qui le sauvetage du Concordia restera « son plus grand défi » en vingt ans de carrière, supervisera cette dernière étape.
- Un article de la rédaction du Télégramme