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Son seul nom fait rêver celui qui se sait confortablement installé à terre et effraie cet autre qui s’est mis en tête de le franchir. L’oreille qui capte ce nom ouvre un imaginaire que peu de lieux au monde ont le pouvoir de créer.

Les pays et les peuples ont chacun leurs propres lieux mythiques mais certains ont une telle force spirituelle, presque mystique, qu’ils franchissent aisément les frontières terrestres et culturelles en s’imposant aux yeux du monde entier comme des mythes.

Le Cap Horn est de ceux-là. Son vent puissant balaye les pages des récits de voyages et son iode parfume les romans d’aventure depuis plus de 400 ans.

401 années précisément, depuis que le marchand venu des Pays-Bas Jacob Le Maire et le navigateur Willem Schouten doublent cette falaise haute de 425 mètres et la baptisent en l’honneur de la ville hollandaise de Hoorn. Avec le temps, ce rocher baigné d’un climat parmi les plus colériques au monde se fait appeler par la langue espagnole « Cabo de Hornos » et reste aujourd’hui une possession chilienne.

Le Cap Horn est la terre la plus proche du continent Antarctique, distant d'environ 950 km. Si l’île Horn n’est habitée que par un seul gardien militaire et sa famille, elle est une commune de Cabo de Hornos qui dépend de la ville chilienne de Puerto Williams. Cette ville d’un peu moins de 3000 habitants est concentrée autour de sa base militaire et est réellement la plus au Sud du monde, contrairement à ce que la cité argentine d’Ushuaia laisse souvent prétendre pour des raisons touristiques compréhensibles et considérant qu'une ville doit regrouper au moins 20.000 habitants pour recevoir cette appellation. 

 

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Pour autant, la véritable communauté la plus australe est située à Puerto Toro, un « village » chilien d’à peine une quinzaine d’âmes revendiqué plusieurs fois par l’Argentine en particulier lors du « conflit du Beagle ». Cette dispute territoriale opposait en 1978 les gouvernements chilien et argentin à propos de trois îles alentours (Lennox, Nueva et Picton) sur fond de revendication ultérieure éventuelle sur la péninsule Antarctique. Le conflit fût arbitré avant le début d’une guerre réelle mais les tensions sont parfois encore palpables et les habitants de Puerto Toro sont encore aujourd’hui les garants de la présence chilienne sur ces terres. Des abris enterrés de cette époque sont encore visibles aux abords du petit débarcadère, au milieu de la végétation. Pour affirmer cette souveraineté territoriale, Puerto Toro dispose de tous les services permettant de représenter l’Etat. Ainsi, sur une quinzaine d’habitants, on y croise généralement deux policiers, un professeur pour deux ou trois élèves, un officier de marine… Cette communauté dispose d’une école et d’un gymnase. Elle est desservie par un ferry la reliant à Puerto Williams une fois par mois. Plus en hauteur, un ancien petit cimetière Yaghan, un ancien peuplement indigène local, surplombe le canal Beagle.

Durant la saison de la pêche à l'araignée de mer notamment, plusieurs pêcheurs s'amarrent au petit port et créent ainsi un peu plus d'activité.

 

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Le redouté Cap Horn

Depuis le début du voyage, la question revient sans cesse dans la bouche des passagers du Stella Australis. Inquiets ou excités, ils sont surtout impatients de connaître la réponse : « allons-nous pouvoir débarquer au Cap Horn ? ». Interrogeant ici un guide, là un serveur voire le commandant, personne ne possède vraiment le moindre élément pouvant faire pencher la balance du côté du oui comme du non. La répartie est toujours la même : « nous ne le saurons que quelques minutes avant l’éventuel débarquement ».

Celui-ci ne peut avoir lieu que tôt le matin, juste au lever du soleil. Plus l’air se rechauffe et plus les vagues sont susceptibles de se former. La consigne est donc claire : tout le monde sur le pont au lever du jour, en tenue et tous prêts à débarquer. Et si Neptune est avec nous un temps, rien ne dit qu’il ne changera pas d’avis une heure après. Il faut donc s’attendre à revenir rapidement aux zodiacs si l’équipage l’ordonne.

 

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© MER ET MARINE - KI

Le Cap Horn (© MER ET MARINE - KEVIN IZORCE)

 

Ce débarcadère, chacun peut l’apercevoir depuis le bord. En réalité, le mot est un peu inapproprié, s’agissant plutôt d’une petite plage de galets, calée dans une petite crique bordée de falaises. Le point le plus protégé de l’île. Pourtant, la centaine de marches qui permet d’aborder l’île est inlassablement soumise aux intempéries et l’état dans lequel l’équipage chilien va les trouver n’est jamais certain.

Quelques jours avant de débarquer, les puissantes vagues ont projeté de lourds rochers contre les installations misent en place pour permettre l’accostage. L’équipage se presse donc d’arranger l’ensemble au plus vite pour assurer une arrivée des passagers dans des conditions de sécurité optimales. La plage de galets est sans dessus dessous et des cadavres de balustrades, de marches métalliques, parsèment les alentours. Le métal a été froissé, vrillé, par la force des rouleaux.

Enfin, les passagers sont autorisés à débarquer. Le soulagement pour tous, le Cap Horn étant pour beaucoup l’apothéose de ce voyage, un « rêve de gamin » comme certains le clament. Pour eux, là est le bout du monde !

 

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© MER ET MARINE - KI

Débarquement au Cap Horn (© MER ET MARINE - KEVIN IZORCE)

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© MER ET MARINE - KI

Débarquement au Cap Horn (© MER ET MARINE - KEVIN IZORCE)

 

Les zodiacs organisent un ballet constant entre le bord et l’île de 6 km de long sur 2 km de large. Après quelques minutes de transfert, ils abordent lentement la plage, aidés par les marins et guides. Certains, comme les barmen, maintiennent les embarcations grâce à une épaisse combinaison de plongée. Il faut dire qu’ils ont de l’eau jusqu’à la taille pour assurer la stabilité des bateaux. Leur courage vaut bien quelques applaudissements de passagers surpris de retrouver là les compagnons de leurs soirées open bar.

Peu à peu les navettes déposent des grappes de passagers qui s’apprêtent à gravir les quelques 120 marches qui les séparent du « plateau ». Mais avant cela, ils font connaissance avec le gardien de l’île, en tenue d’apparat, venu accueillir ses visiteurs d’un jour. Alors que l’ascension commence, certains remarquent avec envie les rails qui dévalent la falaise. Il s’agit d’une monte charge permettant à l’armée de ravitailler le gardien du phare, accessible une partie de l’année seulement. Alors pas de privilège pour les courageux passagers qui continuent de monter une à une les marches. Dans une niche, au milieu de la végétation, une vierge à l’enfant est là pour les y aider et rappelle comme la foi est importante au Chili. L’île possède même sa propre chapelle.

 

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Les derniers passagers ayant débarqué, le gardien du phare le plus austral du monde peut rejoindre ses invités qui s’éparpillent aux quatre coins de son île. Une corvée, pourrait-on penser, pour un soldat appartenant à l’Armada chilienne que de recevoir des touristes. Mais aussi une présence salutaire, via les passagers mais aussi l’équipage du Stella Australis qui passe régulièrement.

Sa femme et ses deux enfants, un fille et un garçon, ont déjà commencé à raconter leur histoire à ces Français curieux de savoir comment se passe le quotidien lorsque l’ont vit isolé du monde durant une année. Ils en profitent pour vendre quelques cartes postales et apposer le tampon du Cap Horn sur les passeports de ceux qui en font la demande (une idée rependue mais déconseillée car certains pays comme la Russie refusent l’entrée des porteurs d’un passeport dans lequel est apposé un tampon non officiel, folklorique ou « touristique »).

Chaque année, le gardien est relevé et un nouveau militaire, un marin lui aussi accompagné de sa famille, prend sa place pour une mission d’un an. Devant l’étonnement des passagers, notre hôte confie que ce sont ses enfants qui l’ont poussé à être volontaire pour cette mission. Marin, il a vécu éloigné de sa famille durant les 10 années précédentes et cette opportunité d’être ensemble 24/24h leur a semblé un bon moyen de rattraper le temps perdu.

Isolés, ils le sont assurément. Mais pour autant, pas déconnectés puisqu’ils reçoivent la télévision par satellite ainsi qu'Internet. Dans un large sourire, il s’amuse à répéter que si son couple survit à cette épreuve et que sa femme le supporte durant une année 24h/24 ensemble, c’est que lui et son épouse sont liés pour la vie. Ce à quoi, un des passagers rétorque en plaisantant : « ou c’est qu’elle n’a pas pu s’enfuir ! ».

 

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Il est réapprovisionné par l’armée et a pour mission de veiller sur l’un des endroits les plus dangereux du monde pour les navires et bateaux qui croisent notamment en direction de l’Antarctique via le passage de Drake. Il est ainsi gardien de phare mais aussi gardien de l’île Horn.

Accessoirement, même si le militaire ne peut le confirmer, sa présence sert un autre but : assurer la permanence de l’armée chilienne sur une terre plusieurs fois revendiquée par le voisin argentin. Il ne faut pas oublier que lors du conflit du Beagle en 1978, le Cap Horn fût totalement miné (la marine chilienne avouait 3300 mines uniquement sur cette île) et ce jusqu’à ces dernières années. Alors en déplacement sur l’île en 2008, la présidente Michelle Bachelet s’était engagée à déminer totalement l’île et à préserver sa biodiversité. Après trois saisons à chercher et neutraliser les engins explosifs, c’est aujourd’hui le cas, l’île est désormais sûre et ses visiteurs peuvent s’y promener sans aucun risque.

 

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Il est désormais temps d’arpenter les nombreuses marches qui mènent jusqu’au célèbre monument. Un mémorial d’acier de 7 mètres de haut, constamment battu par les vents, représentant un albatros géant. Inauguré en 1992 à l’initiative de la section chilienne de la Confrérie des Capitaines du Cap Horn, les « Cap Horniers », il rend hommage aux 10.000 marins et 800 bateaux du monde entier qui périrent près du Cap Horn.

Un poème, signé Sara Vial, leur est dédié et gravé sur l’une des deux plaques de marbre qui présentent le monument :

« Je suis l’albatros qui t’attend au bout du monde. Je suis l’âme oubliée des marins morts qui traversèrent le Cap Horn depuis toutes les mers de la terre. Mais ils ne sont pas morts sur les vagues furieuses, ils volent aujourd’hui sur mes ailes, vers l’éternité, dans la dernière crevasse des vents antarctiques ».

 

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© MER ET MARINE - KI

Monument du Cap Horn (© MER ET MARINE - KEVIN IZORCE)

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En 1937, plusieurs capitaines français fondent à Saint-Malo l’Association Internationale des Cap Horniers, dont l’insigne représente lui aussi un albatros. Les superstitions imputent à cet oiseau au bec courbé l’incarnation des esprits de marins qui périrent dans les flots.

La réputation du Cap Horn n’est pas usurpée et le vent souffle de manière quasi permanente d’ouest en est dans ces lieux, où tout s’y est plus ou moins adapté. Le monument fût plié en deux ces dernières années par des rafales ayant atteint les 320 km/h. Les 5 plaques d’acier qui composent chaque partie du mémorial furent brisées et couchées par des vents d’une violence inouïe. Depuis 2016, le monument a retrouvé son état normal.

 

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Ce vent, justement, n’en fini pas de s’engouffrer dans les parkas et il est temps de rejoindre un abri. A quelques centaines de mètres, se dresse l’un des seuls bâtiments de l’île, le phare évidemment. A quelques mètres, la petite chapelle de bois « Stella Maris » est dédiée à la vie religieuse de la famille qui a le temps de se consacrer à sa spiritualité. Chaque gardien est libre d'y rajouter sa touche personnelle. Un portrait de Jean Paul II est accroché sur l’un des murs. C’est entre autres lui qui a œuvré pour l’apaisement des relations entre le Chili et l’Argentine en 1984.

 

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© MER ET MARINE - KEVIN IZORCE

Chapelle Stella Maris (© MER ET MARINE - KEVIN IZORCE)

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Malgré tout, le gardien de l’île a des journées bien remplies et doit envoyer toutes les trois heures un bulletin météorologique. Ainsi, il se couche régulièrement à 3h du matin pour se lever à 6h et accueillir d’éventuels touristes. Seuls les plus petits paquebots peuvent débarquer au Cap Horn, la plupart se contentant de passer au large soit pour remonter vers Valparaiso (s’ils ne passent pas par le canal Beagle), soit pour rejoindre l’Antarctique et affronter le redoutable Drake avant d'y parvenir.

Une fois les touristes partis, en général peu après 8h ou 9h, il abandonne l’uniforme pour se consacrer à l’entretien du phare. De loin, on pourrait penser qu’il est constitué de briques rouges. Mais il s’agit en réalité d’une couverture isolante n’en ayant que l’aspect.

A l’intérieur, une partie de l’édifice est consacrée à la vie privée de la famille et l’autre partie est recouverte de drapeaux et fanions laissés là par des touristes, ou des marins étrangers, ayant eu la chance de venir jusqu’au bout du monde eux-aussi. Le gardien est régulièrement obligé de les retirer à force d’accumulation. Même ici et comme partout dans le monde, impossible de passer à côté de deux drapeaux fièrement brandis par certains Français, le Gwenn Ha Du breton et la tête de maure corse.

 

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Phare du Cap Horn (© MER ET MARINE - KEVIN IZORCE)

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Phare du Cap Horn (© MER ET MARINE - KEVIN IZORCE)

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Brusquement, le vent redouble de violence et repousse les petits corps humains qui tentent d’avancer dans un sens opposé. Les guides et accompagnateurs demandent expressément aux passagers de revenir sur la plage où les zodiacs ont repris leur navette pour rejoindre le Stella Australis.

Une fois chacun à bord, l’équipage vérifie que le tableau de présence est bel et bien vide. En effet, lors de chaque excursion, chaque passager doit laisser son numéro de gilet de sauvetage sur un tableau de bois. Ainsi, le navire peut repartir lorsque tous les passagers sont embarqués.

 

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Le Stella Australis devant le Cap Horn (© MER ET MARINE - KEVIN IZORCE)

 

Le Stella Australis quitte le 56°S/67°W, les coordonnées géographiques de la pointe du Cap Horn gravées sur les gourdes métalliques que les passagers ont trouvé dans leur cabine en arrivant. Si les conditions météorologiques le permettent, le navire s’engage alors dans une remontée par l’ouest du cap, assurant ainsi un spectacle extraordinaire et un réel franchissement du Horn. De la mer, le pic rocheux est encore plus impressionnant, alors que sous nos pieds les eaux du Pacifique et de l’Atlantique se mêlent en formant des moutons sur la crête des vagues.

Le pic verdoyant est juste en face, le commandant actionne la corne de brume... Quelques instants magiques où plus personne ne parle à bord et chacun vit son moment. Intérieurement. Son passage du Cap Horn.

 

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Passage du Cap Horn (© MER ET MARINE - KEVIN IZORCE)

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Passage du Cap Horn (© MER ET MARINE - KEVIN IZORCE)

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Passage du Cap Horn (© MER ET MARINE - KEVIN IZORCE)

 

Le Cap Horn est redoutable et redouté. Depuis sa découverte jusqu’à nos jours, les moyens de le franchir ont bien entendu évolué et naviguer sur ses eaux dans le confort d’un navire comme le Stella Australis est un luxe que les premiers marins qui ont connu ses colères n’auraient pu imaginer. Pour autant, les quelques heures qui suivent l’expédition sur l’île Horn peuvent être plus mouvementées et on se prend à imaginer aussi bien les cap-horniers d’antan sur leurs bateaux de bois que les skippers aux bateaux de course effilés qui attendent avec autant de peur que d’excitation ce passage mythique.

 

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La Baie Wulaia

Alors que nous remontons du Cap Horn, les îlots et rochers se multiplient autour du navire. Les caprices de l’océan s’apaisent ainsi au fur et à mesure que nous serpentons à travers cette côte dessinée par les vents.

L’arrivée près de la baie Wulaia s’effectue finalement sous un beau soleil que personne n’aurait osé prédire quelques minutes plus tôt. C’est là la magie du temps en Patagonie, qui offre l'opportunité de contempler en un seul voyage une multitude de lumières et de saisons différentes.

 

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Navigation vers la baie Wulaia (© MER ET MARINE - KEVIN IZORCE)

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La baie Wulaia (© MER ET MARINE - KEVIN IZORCE)

 

Ici, à l’ouest de l’île Navarino, juste sous le canal Beagle, une baie abrite un petit paradis terrestre. Une baie étonnante de silence et de beauté. Un silence si pesant qu’il est en presque gênant. Un lieu qui pourrait sembler vierge mais c’est pourtant là que l’une des rares constructions humaines de la région est visible : une ancienne ferme transformée par la compagnie Cruceros Australis en musée de l’histoire des peuples locaux.

Car ce silence, tout aussi agréable qu’oppressant, est imprégné de l’histoire de ce lieu. C’est ici en 1829 que le capitaine Fitz Roy rencontre les premiers indiens Yamanas et décide d’en ramener quatre en Angleterre : « J’avais déjà pris la décision d’amener en Angleterre les quatre fuégiens que nous avions à bord, confiant que les bénéfices qui en résulteraient par l’apprentissage de nos coutumes et de notre langue seraient une compensation à l’arrachement provisoire à leur sol natal. Cette décision, cependant, n’avait pas été prise au moment de les prendre à bord. Je ne pensais alors qu’à les garder avec nous durant notre séjour près des côtes fuégiennes. Mais par la suite, en voyant qu’ils se sentaient bien avec nous et qu’ils jouissaient d’une bonne santé, j’ai commencé à penser aux avantages qui pourraient résulter pour eux-mêmes et leurs compatriotes, et à nous aussi, de les emmener en Angleterre pour les y éduquer le mieux possible avant de les rendre à leur patrie. Cette dernière résolution impliquait pour moi une grande responsabilité, mais j’avais pleinement conscience de ce que je faisais ».

A leur retour d’Angleterre (ils y passèrent 2 ans), aux côtés de Charles Darwin et toujours de Fitz Roy, ils réintègrent leur communauté. L’un d’eux, surnommé Jemmy Button car échangé avec sa famille contre des boutons, revient à Wulaia et perdra rapidement ses connaissances acquises sur le continent européen en dehors de quelques rudiments de langue anglaise.

La baie Wulaia est surtout le théâtre d’un massacre perpétré en 1859. Des missionnaires de la South American Mission Society, à bord du navire Allen Gardiner, passent du temps près de Wulaia dans le but de reprendre le travail d'évangélisation qui avait été effectué lors des précédents voyages. Un quiproquo ou la frustration de ne pas avoir reçu les cadeaux promis entraine Jemmy Button et sa famille dans une folie qui conduit au massacre d’un groupe de missionnaires abattus sur la plage de galets. Enterrés près de la rivière, dans la forêt, leurs sépultures sont aujourd’hui introuvables.

 

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Promenade dans la baie Wulaia (© MER ET MARINE - KEVIN IZORCE)

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L’excursion dans la baie Wulaia permet deux promenades distinctes. La première, une balade le long de la plage de galets, à la découverte de la faune locale. De nombreux oiseaux sont également visibles.

La seconde promenade est plutôt adaptée à ceux qui n’ont pas peur de grimper dans la colline. Elle permet d’accéder à un promontoire d’où la vue panoramique sur toute la baie est absolument sublime. Un chemin s’échappe au travers de la forêt de hêtres et de coihues, ces arbustes aux feuilles persistantes. Tout autour semble évoluer comme à son état premier. Les baies ne sont pas ramassées. Personne pour mettre sur le côté du chemin les branches cassées.

Et là, un peu à l’écart du petit chemin, la forêt parait avoir subit les assauts d’un cyclone, une tempête localisée, créant une clairière de chaos. Les arbres sont brisés, les troncs et les branchages enchevêtrés les uns sur les autres. Il s’agit d’un barrage de castors.

En effet, la Patagonie est infestée de ces animaux devenus nuisibles. Et pour cause, volontairement importés depuis le grand nord canadien en 1946, ils étaient alors 24 spécimens. Le but était d’utiliser cette région superbe mais non « rentable » car non industrialisée pour développer le commerce de la fourrure. L’exemple canadien avait effectivement créé des vocations de l’autre côté du globe, en Terre de Feu.

Problème : personne n’avait alors imaginé que le castor, pour avoir une belle peau utilisable pour le commerce, avait besoin d’avoir peur, lui permettant de sécréter une huile. Or, dans une région où l’homme l’a implanté sans l’aide de la nature, nul prédateur pour le faire fuir.

Résultat, des forêts saccagées, des rivières obstruées et un impact catastrophique sur l’écosystème de la région. Le tout pour des castors au poil dru, rèche et inutilisable. Ainsi, fin 2016, 10 chasseurs trappeurs ont reçu pour mission de piéger et tuer un total de 100.000 castors pour réguler la population. Une mission qui devrait durer plusieurs années.

 

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Castor dans la baie Wulaia (© MER ET MARINE - KEVIN IZORCE)

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Dans l’ancienne ferme, un tonneau permet à qui veut jouer le jeu de déposer une carte postale et de fouiller parmi celles déjà présentes à l’intérieur si un voisin ou quelqu’un de la ville d’à côté n’aurait pas du courrier. Nombreux sont les passagers qui jouent les facteurs et ramènent une carte ou deux du bout du monde jusqu'à leur destinataire dans chaque pays de la planète.

La nuit tombant peu à peu, les esprits de la baie Wulaia prennent une toute autre présence et ce lieu si silencieux semble pourtant habité. Il faut alors reprendre les zodiacs avant cette dernière nuit à bord. Dans cette baie si particulière, les dauphins aiment s’amuser avec les bateaux pneumatiques et ne se privent pas de sauter à leur passage.

Les moteurs vrombissent et mettent le cap en direction du dernier port de la croisière : Ushuaia.

 

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La baie Wulaia (© MER ET MARINE - KEVIN IZORCE)

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Dauphin dans la baie Wulaia (© MER ET MARINE - KEVIN IZORCE)

 

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Ushuaia, point d'arrivée de la croisière

Alors que le Stella Australis file en direction d’Ushuaia, il emprunte le canal Murray. Un canal reliant le canal Beagle interdit aux navires étrangers. L’armée chilienne contrôle ce passage et seuls les navires battant pavillon chilien y sont autorisés.

Si la ville d’Ushuaia peut se révéler décevante pour qui revient d’une croisière où régnait quiétude et pureté, l’arrivée à la tombée de la nuit devant la cité au pied des montagnes ne peut laisser indifférent. Ushuaia marque l’entrée en Argentine et les autorités montent à bord pour contrôler l’identité de chacun.

Avec près de 60.000 habitants, il est évident que le choc est là lorsque les plus aventureux tentent une sortie nocturne dans les ruelles peuplées de bars et restaurants. Le contraste, saisissant, n’est pas à l’avantage de la ville qui vante avant tout son charme de station de ski et est le point de départ de dizaines de bateaux de tourisme pour aller voir les manchots sur les îles les plus proches.

 

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© MER ET MARINE - KI

Arrivée sur Ushuaia (© MER ET MARINE - KEVIN IZORCE)

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Le nom de la ville est d’origine Yamana (Yagan), une fois encore, et la ville est réellement fondée en 1884, trois siècles et demi après le passage de Magellan découvrant la Terre de Feu. Comme à Punta Arenas, la première ville accueillait des prisonniers, mis à l’écart dans cette terre lointaine. La cité se développa autour.

 

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Aujourd’hui, la Ushuaia vit presqu’exclusivement du tourisme lié à la présence des montagnes mais aussi de la mer. Si la ville en elle-même n’est pas le meilleur exemple de ce que l’architecture peut offrir, l’écrin dans lequel elle est située est parfaitement mis en valeur, en particulier lors du lever de soleil qui plonge la ville et ses alentours dans un bain de lumière dorée.

 

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Port d'Ushuaia (© MER ET MARINE - KEVIN IZORCE)

 

Le Stella Australis

Cette arrivée sur Ushuaia marque la fin de la croisière mais pas celle du voyage, qui continue sur Buenos Aires, la capitale argentine. Un retour à la chaleur latine qui promet de belles découvertes.

Alors avant de quitter notre navire, il est temps de parcourir une dernière fois les coursives du Stella Australis.

- La passerelle

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- Les intérieurs

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- Les ponts extérieurs

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Une croisière vers la Patagonie à découvrir ici en six volets :

1. la découverte de Valparaiso et Santiago du Chili 

2. le glacier Brookes, la baie Ainsworth et la cordillère Darwin

3. le sanctuaire marin de l'île Carlos III et le Cap Froward

4. quand les glaciers forment une avenue

5. le Cap Horn, la baie Wulaia et Ushuaia

6. Buenos Aires, Tigre et le Rio de la Plata

 

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Croisières