« On a passé des années à dénigrer les croisières et à nous expliquer que l’on a des paquebots qui ont des écoulements de fumées extrêmement particuliers, puisque la fumée d’un navire de croisière se partage en deux en sortant : une partie va dans l’école maternelle et l’autre partie va dans la maison de retraite ! ».
En ouvrant la séance de travail du French Riviera Cruise Club, il y a quelques jours à Nice, le Président de la CCI Nice Côte d’Azur, Bernard Kleynhoff, espérait bien envoyer un message qui soit entendu par tous : commerçants, élus, partenaires, et au-delà par les touristes étrangers et armateurs. Cette réunion des professionnels du tourisme de la Côte d'Azur et des acteurs du monde de la croisière faisait suite au grand salon annuel de l'industrie à Miami, le Seatrade Cruise Shipping Convention.
« Contrairement à ce qu’on pense, qu’ils soient Américains, Anglais ou Chinois, ils lisent la presse. Tant qu’on continuera à dénigrer les croisières, on ne peut pas leur dire de se trouver des bateaux pneumatiques pour venir à la rame et dépenser leur argent. Si on veut avoir des croisiéristes, il faut effectivement que l’on ait des conditions économiques intéressantes mais il faut surtout qu’on leur donne envie de venir. Et pour qu’ils viennent générer des retombées économiques sur notre territoire, c’est mieux de leur dire qu’on les aime plutôt que de leur dire qu’ils sentent mauvais ! ». Le message est clair.

Bernard Kleynhoff envoi un message clair aux croisiéristes (© : MER ET MARINE - KEVIN IZORCE)

Suite au Seatrade de Miami, le FRCC se réunissait à Nice (© : MER ET MARINE - KEVIN IZORCE)

Michel Chevillon, Bernard Kleynhoff et Franck Dosne veulent se donner les moyens de continuer à séduire les croisiéristes (© : MER ET MARINE - KEVIN IZORCE)
Une fréquentation en baisse
Il faut dire que, au-dela des polémiques locales qu'ont également connu en leur temps de nombreux ports partout en France, la saison des croisières qui commence est loin de s’annoncer comme la plus faste pour les ports du French Riviera Cruise Club (FRCC). Avec +33% de passagers en escale à Cannes et +28% sur Antibes par rapport à l'année précédente, les prévisions sont pourtant très encourageantes. En revanche, la fréquentation des ports de Nice et Villefranche s’effondre avec respectivement -25% et -36%. Le cinquième port du FRCC, Golfe-Juan, est quant à lui déserté puisqu’aucune escale n’y est prévue, ce qui n'est pas inhabituel (la commercialisation des escales n'ayant pas été un succès, Vallauris/Golfe-Juan se visite lors d'excursions au départ des autres ports). Au total, le nombre de passagers débarquant sur la Côte d'Azur française devrait être de 553.580 cette année, en chute de 6% entre 2014 et 2015. Une baisse consécutive à celle de l'année 2013, qui avait dejà vu ce chiffre passer en-dessous de la barre des 600.000 passagers.
« Ces prévisions contrastées ne sont pas dues simplement à des problèmes d’infrastructures, même si nous savons que nous présentons un déficit sur ce plan là, mais aussi à des jeux de programmations et déprogrammations des compagnies qui ne restent pas systématiquement dans les mêmes ports » confie Franck Dosne, le Directeur des ports de la CCI Nice Côte d’Azur (Cannes, Golfe-Juan, Nice et Villefranche-Darse). « Elles s’inscrivent également dans un contexte de forte concurrence entre les destinations dans le monde qui est visible à travers les chiffres de la fréquentation de la Méditerranée par les croisiéristes ». Entre 2013 et 2014, le marché de la croisière en Méditerranée a perdu 6,5%, soit un million de passagers en moins, et des ports comme Barcelone (-9%), Le Pirée (-19%), Civitavecchia (-15,7%) ou Dubrovnik (-21,3%) ont chuté malgré une industrie mondiale croissante.

Franck Dosne, le Directeur des ports de la CCI Nice Côte d'Azur (© : MER ET MARINE - KEVIN IZORCE)
Une stratégie commerciale agressive
« On sait que sur la Côte d’Azur nous n’avons pas les infrastructures que certains demandent mais il n’y a pas que ça. Je pense que derrière ces chiffres là, il faut partir du principe que nous sommes quand même fébriles par rapport à l’intensité de la concurrence, que nous devons réinventer des propositions de valeur pour maintenir l’attractivité de nos destinations, nous devons répondre systématiquement aux besoins des clients » martèle Franck Dosne. « On a remis dans le FRCC des objectifs qui sont clairs : le maintien de nos parts de marché, le maintien de l’attractivité pour des clients de plus en plus exigeants et qui ont une offre concurrentielle qui est extrêmement développée, et on essaye justement de développer une agilité et des capacités pour répondre à d’autres éléments. On essaye de viser les navires luxe, premium, de maximiser les retombées économiques. On travaille, suite à cette érosion de fréquentation de nos côtes, sur des produits un peu nouveaux, que ce soit des escales dans nos destinations Côte d’Azur et pas uniquement portuaires, nous travaillons aussi sur les prix… ».
Le tarif de la redevance 2015 a par exemple été baissé de 20% afin de réduire le coût des escales pour les armateurs.
« Nous travaillons avec les compagnies sur des partenariats les fidélisant jusqu'à cinq ans. Cela les engage et nous donne un peu de visibilité. Et pour les compagnies, on tend ainsi vers davantage de rentabilité lors des escales dans nos ports ».
Ainsi, Anne-Sophie Peyran, responsable marketing à la direction des ports et qui anime le FRCC, n’hésite pas à parler « d’une politique de mesures tarifaires agressives en partenariat avec le pilotage et des sociétés proposant un service de tenders » à l'image de la SNRTM qui met ses bateaux à disposition lors d'escales le nécessitant. « Nous travaillons aussi avec les pilotes pour essayer de multiplier les points d’accueil des croisières sur rade car notre offre à quai est malheureusement limitée ». Le port de Nice, par exemple, ne peut accueillir de paquebot supérieur à 210 mètres de long.
Les ports de la Côte d’Azur présentent la particularité d’avoir des escales programmées d’avril à novembre mais avec des pics en avant saison, principalement en mai, et après la saison en septembre/octobre.

Le port de Nice lors des escales des paquebots Pacific Princess et Arethusa (© : MER ET MARINE - KEVIN IZORCE)
Le Pacific Princess en escale à Nice (© : MER ET MARINE - KEVIN IZORCE)

Le port de Nice lors des escales des paquebots Pacific Princess et Arethusa (© : MER ET MARINE - KEVIN IZORCE)

Escale du Sovereign à Villefranche-sur-mer (© : MER ET MARINE - KEVIN IZORCE)
Au-delà de cet effort tarifaire, le FRCC met en place une palette d’animations commerciales et thématiques dans le but de démarcher et fidéliser les compagnies : formations des hôtesses d’accueil, signalétique dédiée, applications mobiles permettant de déambuler dans la ville sans être connecté, création de trophées (récompensant la fidélité, l’éco-responsabilité d’un armateur)…
« Sur des journées d’escales exceptionnelles, comme ce sera prochainement le cas avec le tout nouvel Anthem of the Seas à Villefranche, nous proposons aussi des opérations choc avec des animations sur le port et via les commerçants. Nous voulons aussi sensibiliser les populations de chacune des communes. Rendez-vous compte, avec l’escale d’un tel paquebot, c’est l’équivalent de la population de toute la ville qui débarque en quelques heures. Evidemment cela peut créer des nuisances, la circulation de bus par exemple, mais tout le monde doit être conscient que ce sont aussi des retombées économiques importantes pour le territoire. La croisière, c'est 40 millions d'euros de retombées pour notre région » rappelle Anne-Sophie Peyran.
« Nous éditons des plans pédestres, remis lors du débarquement. Mais ils sont aussi disponibles sur le web. L’idée est d’anticiper, que les passagers aient l’ensemble des informations avant d’arriver chez nous. Nous savons que 76% des croisiéristes font des recherches sur internet à propos des escales avant leur départ. C’est pour cela que nous avons aussi créer un kit croisière composé de 35 fiches présentant toutes les activités réalisables durant leur journée. Disponible en quatre langues, ce kit est également en ligne ».
« Mais l’idée est aussi d‘aider les compagnies à vendre leurs excursions, qui sont une importante source de rentabilité pour elles. Nous sommes en train de renouveler l’offre pour trouver des produits à valeur ajoutée en chiffre d’affaire pour les compagnies et ainsi maximiser le potentiel de découverte pour les croisiéristes ». Lors des escales dans la région, 65% des passagers d'un paquebot visitent par leurs propres moyens ou ne débarquent pas tandis que 35% choisissent une excursions proposée par la compagnie.

Anne-Sophie Peyran anime le French Riviera Cruise Club (© : MER ET MARINE - KEVIN IZORCE)
« Nous accordons également une importance toute particulière aux équipages des paquebots. C’est une cible à part entière et nous avons la chance d’avoir des ports de centre-ville, ce qui fait que les membres d’équipage descendent et consomment, en particulier des produits du quotidien. Nous avons donc dressé une liste d’informations dédiée et des plans. Il ne faut pas oublier que ce sont aussi des prescripteurs. A bord, ils discutent et renseignent les passagers sur les visites, les bons plans. Ils deviennent nos ambassadeurs sur le bateau ».
Un dernier axe de développement est envisagé via le marché asiatique, en pleine émergence. Le FRCC démarche aujourd’hui les 500 agents de voyages spécialisés sur ce marché.

La baie de Villefranche (© : MARC PARIS)

La baie de Villefranche lors d'une escale du Celebrity Reflection (© : MER ET MARINE - KEVIN IZORCE)
Le port d'Antibes (© : MARC PARIS)
Le Liberty of the Seas en rade de Cannes (© : MARC PARIS)
Le nom et l'image de la Côte d'Azur ne suffisent plus
La Côte d’Azur, mondialement connue sous le nom de French Riviera, séduit depuis des dizaines d’années grâce à son soleil, son charme indéniable et la beauté de ses paysages. Une beauté qui, finalement, pourrait être son propre ennemi : « Il faut avouer que nous nous sommes un peu endormis sur nos lauriers pendant longtemps. Le seul nom de Cannes ou Nice faisait venir les touristes. Quand on voit le développement des croisières sur Marseille aujourd’hui, c’est vrai qu’on ne l’a pas vu venir » confie un chef d’entreprise présent lors de la réunion.
Un avis que tempère le Directeur des ports, Franck Dosne, qui assume : « Il est important pour nous, en Côte d’Azur, que Marseille soit fort puisque les bateaux font aussi souvent escale dans nos ports derrière ». Et Anne-Sophie Peyran d'ajouter: « Nos ports ne sont pas forcément des têtes de lignes mais on va essayer de capter encore davantage la clientèle qui va sur Marseille ou Savone, en particulier via l’aéroport de Nice Côte d’Azur. Les passagers peuvent passer plusieurs jours chez nous dans le cadre de pré-croisières ». Ce qui est déjà le cas pour nombre de Français qui embarquent à Savone ou Gênes et sont pris en charge par les compagnies dès Nice.
Marseille, avec plus de 1,3 millions de passagers en 2014, est à la cinquième place des ports d’escales méditerranéens, en particulier grâce à son positionnement comme tête de ligne pour plusieurs compagnies.
« Malgré tout, la Côte d’Azur est une destination qui fait vendre l’itinéraire. Même si certaines compagnies peuvent avoir le sentiment de nous connaitre, à nous de faire redécouvrir notre région, de nous réinventer. 50% des croisiéristes qui arrivent sur la Côte d’Azur ne sont jamais venus et 86% de ceux qui sont interrogés en fin de journée expriment l’intention de revenir », souligne Anne-Sophie Peyran.
Parmi les fidèles, le Norwegian Epic fait escale une fois par semaine à Cannes, tout comme le Ponant ou le Club Med 2 à Nice. Côté nouveautés, l’Aida Aura vient à plusieurs reprises à quai, une première à Nice. Le MSC Divina effectuera de multiples escales à Cannes. L’Arethusa, de Grand Circle Cruise Line, est en tête de ligne à Nice tandis que le Star Flyer l’est à Cannes durant la majeure partie de la saison. Enfin, deux évènements au mois de mai à Nice : le baptême du nouveau paquebot de Windstar Cruises, le Star Breeze (anciennement Seabourn Spirit), et l’escale simultanée de trois paquebots sur une même journée.

Le Star Breeze (ex-Seabourn Spirit), actuellement en travaux à Gênes, sera baptisé à Nice le 6 mai (© : MER ET MARINE - KEVIN IZORCE)


L'Arethusa est en tete de ligne à Nice cette saison (© : MER ET MARINE - KEVIN IZORCE)
Michel Chevillon, Vice-Président de la CCI et membre du club croisière, appuie sans réserve les actions du French Riviera Cruise Club : « Aujourd’hui, nous en sommes au stade ou le FRCC doit avoir une nouvelle ambition. Grâce à ses 230 membres (NDLR : seulement une vingtaine en 2007 à sa création), la Côte d’Azur est une marque mondiale et pour nous différencier de la concurrence, il ne faut surtout pas essayer de faire la meme chose qu’eux. Nous n’allons pas défigurer cette magnifique région en mettant des digues de plusieurs centaines de mètres pour accueillir des gros paquebots ».
Un tacle à Monaco et sa digue flottante qui lui permet entre autres d’accueillir cette année près de 300.000 passagers ?
« Non pas du tout, nous ne considérons pas Monaco comme un concurrent. Nous travaillons plutôt comme des partenaires. Ce qui fait notre spécificité, c’est notre territoire, notre géographie, notre culture, notre climat, notre gastronomie et ça il ne faut surtout pas qu’on y touche en mettant du béton partout comme on l’a trop fait dans cette région ».

Les paquebots Oceana et Hamburg en escale à Monaco (© : MER ET MARINE - KEVIN IZORCE)

Le Nieuw Amsterdam à Monaco (© : MER ET MARINE - KEVIN IZORCE)
Cet hôtelier de profession connaît bien la région et son tourisme : « Nous ne pouvons plus considérer que nous sommes là, que nous allons dire aux croisiéristes que nous savons ce qui est bon pour eux. Nous passons d’un marketing de l’offre à un marketing de la demande. Ça veut dire qu’on va écouter les croisiéristes et aller dans le sens de ce qu’ils veulent voir quand ils viennent ici. C’est fondamental ».
Créé en 2007 par la CCI, le Comité Régional du Tourisme et les offices du tourisme de Cannes, Nice et Villefranche, le French Riviera Cruise Club fédère les acteurs du tourisme local, sensibilise les élus, défend la croisière auprès des décideurs et joue en particulier un rôle de guichet unique auprès des armateurs qui trouvent là un seul interlocuteur en vue de préparer leurs escales.
Le port de Nice (© : MER ET MARINE - KEVIN IZORCE)

Nice et sa promenade des Anglais (© : MER ET MARINE - KEVIN IZORCE)