C’était le dernier grand armateur à ne pas avoir encore décidé de positionner un paquebot en Chine. Hier, la compagnie américaine Norwegian Cruise Line a annoncé qu’elle se lançait à son tour sur ce marché porteur. A compter de 2017, NCL positionnera à l’année, au départ de Chine, l’un de ses nouveaux géants du type Breakaway Plus. Longs de 326 mètres pour une jauge de 164.600 GT et dotés de 2100 cabines et suites, ces navires ont été commandés à quatre exemplaires au chantier allemand Meyer Werft de Papenburg. La tête de série, le Norwegian Escape, sera livrée dans une dizaine de jours et baptisée en novembre à Miami, alors que son premier sistership a vu sa construction débuter le mois dernier. C’est ce navire, connu jusqu’ici sous le nom de Norwegian Bliss mais allant finalement être rebaptisé, qui rejoindra la Chine.
Un navire conçu dès le départ pour le marché local
A cet effet, différentes modifications vont être opérées par rapport au Norwegian Escape. Les espaces publics seront en particulier adaptés aux spécificités de la clientèle chinoise, très friande de casino, de boutiques et de spectacles. Les restaurants et leurs cartes, avec environ 25 options de restauration sur les Breakaway Plus, seront également customisés. « Avec ce nouveau navire, Norwegian offrira sans aucun doute à ses clients chinois un produit de qualité supérieure et introduira une nouvelle forme d’innovation et d’excellence sur le marché, avec un niveau inégalé de personnalisation pour le consommateur chinois. (Le navire) répondra parfaitement aux attentes des voyageurs chinois d’aujourd’hui pour une expérience haut de gamme », a expliqué le président de NCL au salon CruiseWorld China, où l’annonce a été faite hier. Afin de soutenir le développement de la compagnie en Chine, Frank del Rio a précisé que NCL allait ouvrir des bureaux commerciaux à Pékin, Shanghai et Hong Kong.

Le Costa Serena (© : MER ET MARINE - JEAN-LOUIS VENNE)
Un nouvel El Dorado pour l’industrie de la croisière
Alors que le marché est arrivé à maturité aux Etats-Unis et que l’Europe voit son évolution handicapée par les soubresauts économiques, l’industrie de la croisière considère la Chine comme un relais de croissance majeur. C’est au milieu des années 2000 que les armateurs occidentaux ont commencé à s’intéresser à cette région, seul le groupe asiatique Genting (originaire de Malaisie) via sa filiale Star Cruises opérant alors à l’année en Asie. Filiale du géant américain Carnival, Costa Croisières a été la première, en 2006, à positionner un navire en Chine. En plus des Costa Victoria (75.00 GT, 964 cabines) et Costa Atlantica (85.600 GT, 1057 cabines), la compagnie italienne va plus que doubler sa capacité en ajoutant cette année le Costa Serena (114.500 GT, 1503 cabines) puis l’an prochain le Costa Fortuna (102.500 GT, 1358 cabines). D’autres croisiéristes ont ensuite suivi, comme Royal Caribbean International (groupe RCCL), qui aura l’an prochain jusqu’à cinq navires dans la région : Quantum of the Seas et Ovation of the Seas (167.800 GT, 2090 cabines), Voyager of the Seas et Mariner of the Seas (138.000 GT, 1557 cabines) et Legend of the Seas (70.000 GT, 902 cabines). Princess Cruises est également présente en Chine depuis 2014, année où la compagnie a basé à Shanghai le Sapphire Princess (116.000 GT, 1337 cabines), auquel s’ajoute le Diamond Princess au départ du Japon.

Le SkySea Golden Era, ex-Celebrity Century (© : JEJUNEWS)
Les opérateurs chinois hésitent à se lancer seuls
Quelques opérateurs locaux ont aussi voulu se développer, mais les initiatives sont pour le moment restées assez timides du fait de l’absence d’acteur chinois dans cette industrie très complexe. Parmi les rares compagnies chinoises à s’être lancées, on trouve HNA Cruise, exploitant depuis 2012 le paquebot Henna (ex-Pacific Sun de 47.200 GT et 739 cabines), ainsi que Bohai Ferries, qui a repris l’ancien Costa Voyager (24.500 GT, 460 cabines) en 2014 et devrait récupérer son sistership, l’actuel Celestyal Odyssey, en 2016. Pour compenser leur manque d’expertise dans la croisière et répondre à la volonté des armateurs occidentaux de se développer en Chine, certains tour-opérateurs asiatiques ont préféré nouer des alliances, à l’image du Chinois Ctrip qui a lancé cette année SkySea Cruises avec l’Américain RCCL, ce dernier ayant transféré l’ancien Century (71.500 GT, 907 cabines), doyen de sa filiale Celebrity Cruises. MSC Cruises, de son côté, aborde ce nouveau marché via un partenariat avec CAISSA, qui va affréter pendant deux ans (2016-2018) le MSC Lirica (64.000 GT, 988 cabines), permettant à l’armateur italo-suisse de tester la Chine sans prendre de risque. Il faut enfin ajouter toutes les autres compagnies qui, sans encore opérer à l'année en Asie, y propose un nombre plus ou moins important de départs. Ainsi, en 2014, quelques 52 paquebots ont croisé en Asie.

Le Quantum of the Seas est basé en Chine depuis juin (© : RCI)
Des navires neufs et de plus en plus gros
Alors que le marché s’est développé assez progressivement depuis une décennie, l’année 2015 a clairement marqué un tournant et le début d’une période de croissance beaucoup plus rapide. Royal Caribbean a, ainsi, frappé un grand coup en décidant d’y baser à l’année son dernier fleuron, le Quantum of the Seas. Plus gros paquebot exploité jusqu’ici au départ d’un port chinois, ce mastodonte, mis en service en avril 2014, a rejoint Shanghai en juin dernier. Jamais le marché chinois n’a eu à sa disposition un navire aussi gros et aussi innovant, l’habitude prévalant jusque-là chez les armateurs étant de transférer vers l’Asie des unités assez âgées. Ce positionnement de RCCL, confirmé par l’envoi de son troisième Quantum dans la région fin 2016, est très malin puisqu’il consiste à percer en Chine en offrant le meilleur de ce que l’industrie des vacances en mer propose. La concurrence a donc été obligée de réagir et même d’aller plus loin en faisant directement, et pour la première fois, construire des paquebots spécifiquement dédiés au marché chinois (du moins en ce qui concerne l'aménagement des espaces publics). C’est Princess Cruises, filiale de Carnival, qui a été la première à s’engager dans cette voie en annonçant que la troisième unité du type Royal Princess, mise sur cale en juillet, rejoindrait directement la Chine après sa livraison en 2017. Adapté aux spécificités de la clientèle locale, le Majestic Princess présentera une jauge de 145.000 GT et comptera 1800 cabines. Alors que NCL a décidé de suivre la même stratégie, on rappellera en outre que Star Cruises a elle aussi passé commande de nouveaux bateaux, en l’occurrence deux unités de 150.000 GT et 1682 cabines livrables en fin 2016 et fin 2017.

Le futur Majestic Princess (© : PRINCESS CRUISES)
Une tendance qui devrait s’amplifier
Le marché chinois passe donc de bateaux classiques, voire relativement anciens, à des unités neuves, spécialement adaptées et de capacité de plus en plus forte. Ce qui pourrait d’ailleurs poser problème pour certaines compagnies, qui comptaient sur l’Asie pour évacuer leurs bateaux les plus anciens. Cette tendance des grands paquebots dernier-cri est en tous cas très nette et pourrait bien s’amplifier dans les prochaines années. Ainsi, il ne serait pas étonnant que RCCL finisse par positionner assez rapidement en Chine l’un de ses géants du type Oasis (les plus gros paquebots du monde avec 227.000 GT de jauge et 2700 cabines). Un quatrième navire de ce type doit ainsi entrer en service en 2018, laissant le temps à l’armateur de le customiser pour ce marché.

Paquebot de la classe Oasis of the Seas (© : RCI)
Des taux de croissance énormes
La question est maintenant de savoir si ce nouvel El Dorado peut absorber une hausse rapide de la capacité déployée par les compagnies de croisière. Sur le papier, le marché asiatique, porté par les Chinois et rayonnant également sur le Japon, la Corée du sud, Singapour, Taïwan, la Malaisie ou encore les Philippines, connait une forte croissance. Il pourrait même, au cours de la prochaine décennie, devenir le second du monde après les Etats-Unis. Le ministère chinois des transports table ainsi sur une croissance de 33% par an, avec un objectif de 4.5 millions de passagers chinois d’ici 2020, à comparer aux 6.5 millions en Europe et aux plus de 13 millions aux Etats-Unis, le marché mondial atteignant quelques 23 millions de passagers en 2015. Une étude publiée cette année par le Hong Kong Tourism Board va même encore plus loin, estimant que la Chine peut générer à terme 83 millions de passagers par an à elle seule. De quoi faire saliver les armateurs occidentaux, lancés dans une frénésie de commandes et soumis à une très forte concurrence sur leurs zones d’activités traditionnelles. L’Asie pourrait donc permettre d’absorber une partie significative de la flotte, qui va s'enrichir d'une cinquantaine de navires supplémentaires sous 10 ans, et donner un puissant coup d’accélérateur à l’industrie de la croisière.

Hong Kong (© : COSTA CROISIERES)
1.4 million de passagers asiatiques en 2014, pour moitié Chinois
Reste qu’on est encore très loin des 83 millions de passagers par an ! Après une longue période d’incertitude concernant les chiffres exacts du marché asiatique, l’association internationale des compagnies de croisière (CLIA) a publié cette année une étude montrant qu’il représentait 1.4 million de passagers en 2014 et devrait atteindre près de 2.2 millions de passagers cette année, soit un taux de croissance annuel de 34% depuis 2012. Sur ce total, les Chinois ont représenté l’an dernier près de la moitié des passagers asiatiques (697.000), avec une progression annuelle de 79% entre 2012 et 2014. L’essor des croisières en Chine est donc réel et présente la particularité de séduire une clientèle globalement jeune, plus de 4 passagers sur 10 ayant moins de 40 ans
L’évolution incertaine de l’économie chinoise
Les prévisions aussi impressionnantes qu’optimistes sur la croissance du marché, au-delà parfois de leur crédibilité quand elles proviennent d’organismes locaux, pourraient toutefois se heurter aux réalités économiques et à leur conséquences. Car la Chine voit son économie ralentir et une entrée en récession n’est pas à exclure. Ceci dit, avec 1.3 milliard d’habitants et des classes aisées comme moyennes qui se développent et voyagent de plus en plus, le potentiel demeure très important et les compagnies occidentales l’ont bien compris, tout comme les Chinois.

L'un des chantiers du groupe chinois CSSC (© : DR)
Vers la construction locale de paquebots ?
Au-delà des voyagistes et des ports, les industriels chinois s’intéressent de près à cette activité. Car la phase suivante est, logiquement, la réalisation sur place de paquebots. Des protocoles d’accord en ce sens ont d’ailleurs été signés en octobre 2014 entre le groupe Carnival, le constructeur italien Fincantieri et les chantiers CSSC (China State Shipbuilding Corporation). Il s’agit toutefois d’un challenge considérable pour la navale chinoise. Si celle-ci est en effet apte à réaliser des bateaux peu compliqués, comme des navires marchands, elle n’est clairement pas encore à niveau dès que les plateformes deviennent trop technologiques et complexes. C’est ce que l’on peut constater en particulier sur les projets offshore confiés aux chantiers chinois. L’Europe, qui a le quasi-monopole de la construction de paquebots, a donc encore de belles années devant elle. Cela étant, les capacités des constructeurs européens arrivent aujourd’hui à saturation et, dans le même temps, les Chinois veulent leur part du gâteau. De quoi pousser à la commande des premiers navires de croisière dans ce pays. Selon la rumeur, une annonce en ce sens pourrait intervenir cette semaine, Carnival ayant prévenu qu’il ferait une révélation majeure ce mardi à l’occasion du CruiseWorld China qui se tient à Shanghai.