Alors que toute la flotte mondiale de navires de croisière est à l’arrêt, et probablement encore pour une longue période, les armateurs réfléchissent aux conditions dans lesquelles ils pourront reprendre leurs opérations. Au-delà des aspects financiers, commerciaux et logistiques, la question sanitaire est évidemment primordiale. Car les paquebots, univers par excellence confinés et densément peuplés, constituent des environnements particulièrement favorables à la transmission des virus.
En la matière, la croisière a de l’expérience puisque, de longue date, l’industrie doit lutter contre les maladies d’origines virale ou bactérienne, à l’image des gastro-entérites. Les procédures en matière de nettoyage et de désinfection sont de ce fait déjà parmi les plus strictes du secteur du tourisme. Car en cas d’épidémie, c’est tout le navire qui peut se retrouver en quarantaine, comme cela s’est déjà produit à plusieurs reprises par le passé.
La crise du coronavirus a cependant montré, comme partout ailleurs, l’insuffisance du système en place et, comme à chaque évènement grave, le retour d’expérience va jouer, d’autant plus fortement qu’une bonne vingtaine de navires a été touchée à divers degrés, ce qui offre un panel de situations à partir desquelles de précieux enseignements peuvent être tirés. Comme dans toutes les entreprises, une maladie comme le Covid-19 va intégrer les plans de prévention des risques. Chantiers et armateurs sont déjà en train de réfléchir à la manière d’améliorer la réponse, tant préventive pour éviter au maximum l’entrée d’un virus et les possibilités de transmission, qu’en matière de gestion de crise si des malades sont déclarés à bord. Cela va de nouveaux systèmes automatiques de prise de température aux portes d’embarquement à l’adaptation des infrastructures médicales avec des équipements dédiés et zones de quarantaine, en passant par des modifications sur les systèmes de ventilation et de climatisation, via lesquels les maladies peuvent circuler. Toute une série de procédures nouvelles vont également voir le jour, tant pour les passagers que pour le personnel.
En la matière, la compagnie asiatique Dream Cruises, filiale du groupe Genting Hong Kong exploitant trois paquebots (Genting Dream, World Dream et Explorer Dream), notamment sur le marché chinois, a été la première, il y a quelques jours, à dévoiler un nouveau plan sanitaire. Voici les différentes mesures que l’armateur prévoit d’instaurer :
A l’embarquement en début de croisière. Tous les passagers devront remplir un formulaire de santé, sans doute plus élaboré que la déclaration prévalant jusqu’ici (ceux âgés de plus de 70 ans devront en plus fournir un certificat d’aptitude médicale de leur médecin) et seront systématiquement soumis à un test de température pour vérifier qu’ils n’ont pas de fièvre. Alors que des espaces supplémentaires seront aménagés pour permettre la distanciation sociale dans les salles d’attente, les enregistrements seront faits en amont, en ligne, avec une heure précise d’arrivée, afin de fluidifier les embarquements, éviter les files d’attente et réduire le nombre de personnes simultanément présentes dans les terminaux, dont la fréquence de nettoyage sera renforcée, tout comme ce sera le cas pour les espaces conduisant aux bateaux (couloirs, escalators, coupées…)
Les cabines des passagers. Le nettoyage sera renforcé avec deux passages par jour du personnel dans les cabines des passagers et les coursives y menant. Des produits complémentaires seront employés pour désinfecter les différentes surfaces, le mobilier, les sanitaires et tuyauteries, et par vaporisation. Au cas où les passagers d’une cabine tomberaient malades, un nettoyage au standard « hôpital » sera mis en place avec les procédures et produits adéquats.
Les espaces publics. Eux aussi bénéficieront d’un nettoyage et d’une désinfection renforcés, toutes les deux heures pour les ascenseurs, jusqu’à 10 fois quotidiennement selon les locaux, avec une attention particulière pour les rambardes, poignées de ports, boutons et autres tables. Déjà très présent depuis longtemps sur les paquebots, le gel hydro-alcoolique, en libre-service ou versé dans les mains des passagers par le personnel, en particulier à l’entrée des restaurants et lors des retours à bord pendant les escales, sera encore plus employé.
Restaurants. Ils seront ainsi que les galleys nettoyés trois fois par jour, avant, pendant et après le service. Les espaces seront réaménagés afin de laisser plus d’espace entre les passagers, qui pourront demander des kits de couverts à usage unique. Au buffet, le self-service sera suspendu pour la nourriture comme pour les boissons, le personnel se chargeant de servir les passagers. Côté nourriture, Dream Cruises prohibe la viande d’animaux sauvages et va renforcer sa vigilance sur les approvisionnements, en s’interdisant le recours à des produits provenant de régions fortement touchées par la maladie.
Spectacles et activités récréatives. Là aussi, le nettoyage des salles et la désinfection des équipements, comme par exemple les lunettes 3D, les jeux vidéo et autres micros de karaoké, seront renforcés. Il en sera de même, après chaque usage, pour les jouets des espaces dédiés aux enfants et des machines et équipements de fitness. Dans les salles de spectacles, la capacité sera réduite de moitié afin d’assurer la distanciation sociale entre les passagers. Idem pour les cars lors des transferts et excursions depuis et vers les paquebots.
Climatisation. Les systèmes de ventilation et de climatisation seront contrôlés et nettoyés, les filtres remplacés. Ils fourniront selon la compagnie 100% d’air frais dans les cabines, passagers comme équipage. Il n’y aura plus de recirculation d’air provenant de l’intérieur du navire ou entre les cabines.
Installations médicales. Des espaces isolés situés près du centre médical de chaque navire vont être aménagés spécialement pour pouvoir servir au besoin de zone de quarantaine. Des poubelles spécifiques seront installées pour les masques de protection usagés et autres éléments potentiellement, les contenants étant ensuite scellés et évacués par une filière spécifique. Le personnel médical disposera évidemment des équipements nécessaires face à un virus de type Covid-19.
L’équipage. La température de chaque membre d’équipage sera contrôlée deux fois par jour, les plannings étant revus afin de réduire les mouvements de personnel. Une zone de quarantaine dédiée à l’équipage sera aménagée sur chaque navire. Les membres d’équipage recevront des formations spécifiques sur les procédures sanitaires à mettre en œuvre et les gestes barrière. Ils disposeront également d’équipements de protection individuelle, dont des gants pour le personnel de chambre et des masques pour ceux qui seront en contact direct avec les passagers.
Ce premier train de mesures annoncé par une compagnie donne une idée des réflexions en cours pour permettre à l’industrie de la croisière de reprendre son activité dans un contexte où le coronavirus subsistera encore des mois. Selon les opérateurs et la zone d’exploitation et la typologie commerciale des bateaux, sur des itinéraires plutôt locaux avec une clientèle régionale, ou sur des déploiements et un marché international, mais aussi en fonction de leur taille, des mesures complémentaires seront sans nul doute instaurées. Chez certains armateurs, on réfléchit par exemple à une reprise en limitant la capacité des navires mais, dans ce cas, le modèle économique serait bouleversé et les prix augmenteraient sensiblement. D’autres imaginent la possibilité, à l’embarquement, d’exiger un certificat médical prouvant que les passagers ont bien contracté le Covid-19. Ce qui n’a d’utilité que si les anciens malades sont bel et bien immunisés, ce dont les scientifiques ne sont à ce stade plus certains. Quant aux certificats de vaccination, ils ne pourraient être demandés qu’une fois un vaccin disponible et dont l’efficacité sera avérée et reconnue internationalement. Car la croisière doit aussi tenir compte de son prisme très international, tant dans sa clientèle que dans ses zones d’opération, où elle doit se conformer aux règlementations sanitaires de tous les pays traversés. Sauf que la solution de la vaccination n’est pas encore d’actualité et ne sera au mieux disponible que dans de longs mois.
En attendant, toutes les mesures qui pourront être prises, si elles sont de nature à réduire les risques, ne constituent ni une solution miracle, ni une garantie contre le développement d’une épidémie à bord, en particulier du fait de l’existence des cas asymptomatiques. A ce stade, le problème parait en fait assez insoluble. Et les plans annoncés pour le moment ne seront sans doute pas de nature à apaiser les craintes légitimes de la clientèle.
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