« Mise à jour, août 2016 : La marque La Boutique des Croisières a été reprise en 2015 par le groupe Univairmer, qui l’exploite de nouveau à l’adresse boutique-des-croisieres .com »
TAAJ Croisières n’est plus. Le tribunal de commerce de Paris a prononcé le 29 juillet la liquidation judicaire du voyagiste français, qui s’était déclaré en cessation de paiement. Comptant une grosse vingtaine de salariés, l’entreprise avait été créée dans les années 80. On l’a connue sous le nom de Taitbout Voyages jusqu’en 2010, année où elle est devenue TAAJ Croisières. Sous l’impulsion d’Antoine Adam, l’opérateur avait évolué en proposant un produit basé sur la scénarisation des traversées, avec une offre de spectacles unique, une décoration spécifique et un accompagnement renforcé des passagers. Jusqu’à cette année, TAAJ s’était appuyé sur un partenariat historique noué en 1986 avec Costa Croisières. Une collaboration avantageuse pour l'opérateur, qui utilisait les bateaux de la compagnie sans avoir à les affréter ou louer d'avance un gros contingeant de cabines. Le tandem a très bien fonctionné au début, TAAJ atteignant 14.000 passagers en 2012 (contre 5000 en 2006), avec alors pour objectif d’atteindre 20.000 clients en 2014.

Le Costa Voyager (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Le problème du navire
Mais l’enthousiasme initial fut rapidement douché. Il ne faut pas s'en cacher, TAAJ, malgré une très belle offre lui permettant de se différencier, a fait face à une rude concurrence, renforcée dans un contexte économique difficile. Mais le voyagiste a aussi souffert d'un problème de navire. Alors que son produit était conçu pour des unités de faible capacité, l'Allegra (416 cabines), sur lequel la société avait développé son concept, fut gravement avarié en février 2012, juste avant le début de la saison. Victime d'un incendie dans la salle des machines, il n'a pas repris du service, Costa estimant le coût des réparations trop élevé. Comme solution de substitution, la compagnie a proposé le seul navire de sa flotte susceptible de convenir en termes de taille, à savoir le Voyager (399 cabines). La mise à disposition de ce navire, quasi-miraculeuse quelques semaines avant le début de la programmation de TAAJ, a permis de sauver la saison de l'opérateur français, mais le Voyager s'est vite révélé bien moins adapté que l'Allegra. Malgré tout, TAAJ a poursuivi l'aventure avec Costa, probablement en raison des conditions de certaines conditions très avantageuses du partenariat (pas d'affrètement de navire, conditions favorables sur la restitution des cabines invendues...) Puis, après deux saisons (2012/2013), TAAJ a appris que dans le cadre du recentrage de Costa sur les gros navires, le Voyager allait être vendu. Il lui a alors été proposé de poursuivre sur le Classica qui, bien qu'étant l'une des plus petites unités de la flotte après le départ du Voyager, n'en demeurait pas moins nettement plus volumineuse (654 cabines). Là encore, TAAJ, qui aurait pu tenter de trouver un bateau mieux adapté sur le marché, a accepté, sans doute pour les mêmes raisons qu'en 2012.
Procédure judiciaire entre anciens partenaires
Son partenaire ne pouvant remplir seul le bateau, malgré la réduction du nombre de croisières TAAJ proposées en 2014, Costa a assuré d’un commun accord le complément en vendant le reste des cabines sous sa propre bannière et, affirme la compagnie, au même tarif. Cette double commercialisation, initiée avant le Classica, a pris de l’ampleur avec ce plus gros bateau. Et, malheureusement, elle se serait finalement traduite par une hémorragie de clientèle chez TAAJ. Une partie des passagers se serait en effet aperçue qu’elle pouvait payer moins cher en passant par Costa, cela pour une prestation quasi-identique puisqu’une fois à bord, les passagers profitent des mêmes animations. Comment ? En profitant d’offres de dernière minute liées au fait que TAAJ ne parvenait pas à assurer le niveau de remplissage prévu sur le Classica. L’opérateur rétrocédait à Costa, quelques semaines avant les départs, les cabines non vendues, la compagnie étant alors contrainte de lancer des opérations promotionnelles sur le marché français afin de remplir son navire et donc d’assurer la viabilité financière de son exploitation.
Une logique économique à laquelle n’a pas adhéré Antoine Adam. Voyant le nombre de ses clients baisser, le patron de TAAJ a décidé il y a quelques mois d’attaquer Costa pour « concurrence déloyale », accusation que rejette en bloc la compagnie. Alors que la procédure est toujours en cours, après 28 ans de collaboration, la rupture était dès lors consommée entre les deux anciens partenaires.

Le Louis Aura (© RIVAGES DU MONDE)
Affrètement réduit du Louis Aura pour Rivages du Monde
En difficulté et déjà contrainte de réduire ses effectifs en 2013, TAAJ ne pouvait subsister seule. C’est pourquoi Antoine Adam a cherché un repreneur, qu'il est parvenu à trouver. Au printemps, il avait annoncé son intention de vendre sa société à Rivages du Monde, en plein développement sur le marché français. Mais cette cession, qui devait être effective en janvier 2015, n’a pu aboutir, les déboires financiers de TAAJ l’obligeant à déposer le bilan cet été. Non seulement en raison de son activité déclinante, mais aussi, selon différentes sources, en raison d'irrégularités dans la comptabilité de l'entreprise (dont la direction n'a pas répondu aux sollicitations d'interviews de la part de la rédaction de Mer et Marine). Concernant Rivages du Monde, si les accords portant sur l'acquisition de TAAJ avaient été conclus, la vente n'était pas encore entrée en vigueur et la société, prévenue de la situation peu avant le dépôt de bilan de TAAJ, s'est immédiatement désengagée. Avait-elle déjà versé de l'argent, susceptible d'être mis sous séquestre ? Non, affirme la direction de Rivages du Monde.
Parmi les conséquences de la liquidation de la société d'Antoine Adam, l’opérateur est contraint de revoir à la baisse la durée d’affrètement du Louis Aura, sur lequel une douzaine de croisières TAAJ devaient se dérouler en 2015. Cela doublait l’affrètement du navire par rapport à cette année, où Rivages du Monde exploite le Louis Aura sur 105 jours, soit 11 croisières.

(© YVES CAURETTE)
Les anciens clients de TAAJ se tournent vers Costa
Concernant Costa, la mort prématurée de TAAJ s'est soldée par une belle pagaille, puisqu’il semble que son ancien partenaire ait mis la clé sous la porte sans avoir fait parvenir à la compagnie l’intégralité des listings de ses clients ayant réservé une croisière. Des ventes réalisées pour le Classica sous la marque TAAJ, mais également via l’activité de distribution de la société, La Boutique des Croisières, qui vendait plusieurs milliers de traversées par an, notamment chez Costa et CroisiEurope, ce dernier étant également obligé de faire face. Alors qu’il reste d’ici l’automne quatre croisières sur le Classica (sur 11 programmées cette année) ayant été commercialisées par TAAJ, Costa a mis en place début août un dispositif d’information avec une équipe dédiée (joignable au 0810 211 212) afin de renseigner et aider les anciens passagers de TAAJ. Mais les choses ne sont pas si simples puisque de nombreux clients se sont littéralement retrouvés en rade, 2000 à 3000 personnes étant selon certaines informations concernées par la liquidation de TAAJ et de la Boutique des croisières. Concrètement, des passagers, qui avaient pourtant payé la totalité de leur croisière, n’ont pas pu embarquer. Car ils ont effectué auprès de TAAJ leurs règlements, dont Costa n’a pas vu la couleur. Par conséquent, s’ils voulaient partir, ils devaient payer une nouvelle fois leur traversée.
Or, si la compagnie n’est légalement pas responsable de la situation, la pilule a du mal à passer chez les clients, qui ne cachent pas leur colère et leur incompréhension sur certains forums. « Nous avons payé notre acompte en novembre 2013 et le solde de notre croisière en juin 2014. On ne pouvait pas imaginer que Costa n’avait pas touché l’argent, surtout quand la compagnie vous donne un numéro pour faire votre carte d’embarquement et réserver certains services, comme les excursions », explique une cliente, qui avait réservé ses vacances via la Boutique des Croisières et devait embarquer en août sur le Costa Pacifica à Hambourg. Décidés à ne pas en rester là, d’anciens passagers de TAAJ et de sa plateforme de distribution ont décidé de se regrouper, la création d’une association étant envisagée. « Nous sommes extrêmement déçus par la manière dont Costa a traité cette affaire. Nous sommes en train de réunir les témoignages, aujourd’hui nous en avons plus de 80 et nous comptons réclamer le remboursement de notre croisière mais aussi des dommages et intérêts ».
La problématique des faillites de revendeurs
Si une éventuelle procédure juridique à l'encontre de Costa a peu de chance d’aboutir, la compagnie ne pouvant être tenue pour responsable des déboires de TAAJ, les passagers aujourd'hui en colère mettent au travers de leur action le doigt sur une problématique intéressante : les conséquences relatives aux défaillancez des revendeurs de voyages. « Les consommateurs ne sont pas informés. Ils n’ont pas conscience que si le revendeur fait faillite, ils se retrouvent le bec dans l’eau car la compagnie n’est pas responsable et, on l’a vu, n’encaisse pas l’argent tout de suite. Nous allons donc nous battre pour faire avancer les choses et imposer une meilleure information des clients. C’est d’autant plus nécessaire que si l’affaire de TAAJ fait aujourd’hui du bruit car elle concerne beaucoup de monde, il y a aussi pas mal de petites agences qui mettent la clé sous la porte actuellement, avec des gens qui se retrouvent dans la même situation mais ne peuvent se faire entendre car ils ne sont pas assez nombreux ».
Concernant les remboursements, certains passagers ont été dédommagés par leurs assurances. Les autres doivent se faire connaître auprès du liquidateur judicaire de TAAJ, mais aussi de la Banque Palatine, en charge du fonds de garantie couvrant la société (apparemment de 1.8 million d’euros). Si ce dernier n’est pas suffisant pour honorer toutes les créances, les anciens clients de TAAJ pourraient bénéficier d’une directive européenne entrée en vigueur cette année et qui vise à couvrir les sommes engagées par des voyageurs victimes de la faillite d'un opérateur.