C’est la fin de 25 ans de partenariat entre Costa Croisières et TAAJ (ex-Taitbout Voyages). Antoine Adam, qui a fondé la société au milieu des années 90 pour la revendre en 2000 et finalement la reprendre huit ans plus tard, a décidé de céder son bébé à Rivages du Monde, l’entreprise d’Alain Souleille. Alors que la cession sera effective le 1er janvier 2015, et n'a pas d'impact sur la saison 2014, les relations entre Costa et TAAJ s’étaient progressivement dégradées depuis l’an dernier.
Pour mémoire, Antoine Adam avait lancé son nouveau concept de croisières francophones en 2010, année où Taitbout Voyages était devenu TAAJ Croisières. Un produit basé sur la scénarisation des traversées, avec notamment des spectacles en plein air et une décoration spécifique, doublés d’un accompagnement renforcé des passagers. Sur les Costa Marina, puis Costa Allegra et Costa Voyager, cette nouvelle offre avait été très bien accueillie par la clientèle, en forte augmentation, passant de 5000 passagers en 2006 à 14.000 en 2012, TAAJ espérant alors atteindre les 20.000 clients en 2014. Seulement voilà, Costa Croisières a progressivement perdu ses petits navires. Après la vente du Marina en Asie, l’Allegra a été désarmé suite à l’incendie intervenu en 2012 dans ses machines alors qu’il croisait en océan Indien. Quant au Voyager, il a été vendu cet hiver à un opérateur chinois, dans le cadre de la politique de recentrage de l’armateur sur les plus grands paquebots (et du fait que ce petit navire de 416 cabines ne pouvait plus être exploité en hiver sur la mer Rouge compte tenu de la situation sécuritaire en Egypte).

Le Costa Voyager (© MER ET MARINE - V. GROIZELEAU)
Moins cher en passant par Costa
Pour la saison 2014, il a donc été convenu que TAAJ passe sur le Costa Classica, un bateau plus gros aux capacités nettement supérieures, puisque doté de 654 cabines. Souhaitant maintenir la diversité de son offre en matière d’itinéraires mais ne s’estimant pas en mesure de remplir intégralement le navire (même en réduisant le nombre de traversées de 21 à 12), TAAJ a conclu avec Costa un accord au travers duquel la compagnie assure le complément des ventes, étant entendu que l’armateur ne pouvait, pour des raisons économiques, assumer le coût de fonctionnement d’un bateau seulement partiellement rempli par les clients de TAAJ. Toutefois, dès le départ, l’opération semblait potentiellement bancale, puisqu’il paraissait logique que le solde des cabines non vendues par TAAJ pourrait être commercialisé en discount par Costa, notamment en dernière minute. Au bout d’un moment, l’information a logiquement fini par circuler largement entre les clients, qui ont découvert que certains payaient moins cher en achetant via Costa au lieu de TAAJ, cela pour un produit identique puisqu’il n’était évidemment pas question de séparer le paquebot en deux, avec d’un côté les clients Costa et de l’autre ceux de TAAJ. En fait, le complément de ventes assuré par la compagnie a semble-t-il débuté dès 2013 avec le Voyager mais le passage à un plus gros navire a manifestement amplifié le phénomène.

Antoine Adam (© DR)
Antoine Adam attaque Costa pour concurrence déloyale
On ne connait pas les détails exacts du contrat liant les deux entreprises mais, au sein du tour opérateur, on assure que des engagements avaient été pris par Costa - qui n'a pas souhaité s'exprimer - pour éviter cette situation. Toujours est-il que TAAJ estime aujourd’hui que la compagnie lui a opposé une concurrence déloyale et Antoine Adam a décidé de porter l’affaire devant les tribunaux. En attendant, la société a, du fait dit-il de la différence de prix pratiqués, perdu une part importante de sa clientèle. « Nous avons constaté à partir de 2013 une hémorragie de nos passagers, qui sont allés s’inscrire chez Costa et que nous estimons avoir perdu en raison de ce comportement déloyal », affirme Antoine Adam, pour qui les chiffres sont sans appel: « Nous sommes passés de 14.000 à 8500 passagers ». Malgré les excellentes relations entretenues durant de longues années, les contraintes et intérêts des deux partenaires ont donc fini par définitivement consumer leur relation, dont ils savaient depuis un moment les jours comptés. « Mon seul souci est de préserver l’entreprise et ses personnels. Et c’est la mort dans l’âme qu’après avoir tout essayé, nous avons mis fin à 25 ans de mariage ».

(© YVES CAURETTE)
Pérenniser l’entreprise avec un nouvel opérateur
Afin d’assurer la pérennité de la société, fragilisée et qui a du se séparer d’une dizaine de collaborateurs depuis un an et demi, Antoine Adam s’est donc mis en quête d’une nouvelle alliance dès 2013. Après avoir brièvement regardé du côté de la compagnie portugaise Portuscale Cruises, qui a repris les anciens navires de la défunte Classic International Cruises et comptait se lancer sur le marché français avec le Lisboa (ex-Princess Danae), Antoine Adam s’est finalement rapproché de Rivages du Monde. « C’est un tour opérateur de notre taille qui a une véritable intelligence de regroupement pour proposer un produit francophone sur le concept de TAAJ. J’ai rencontré Alain Souleille il y a quelques mois et j’ai immédiatement eu confiance dans sa capacité à reprendre la société. Je lui ai cédé TAAJ non pas en cherchant à valoriser l’entreprise à un prix élevé, car je ne le pouvais plus du fait qu’elle avait perdu beaucoup de valeur, mais avec l’objectif de la pérenniser ».

Le Louis Aura (© LOUIS CRUISES)
En 2015 sur le Louis Aura
Concrètement, TAAJ va achever la saison 2014 sur le Costa Classica puis, à partir de janvier 2015, la marque sera officiellement reprise par Rivages du Monde, qui va néanmoins lancer rapidement la commercialisation de la prochaine saison. Alors qu’Alain Souleille va intégrer les salariés de TAAJ, soit une vingtaine de personnes, le navire retenu pour l’an prochain est le Louis Aura, un petit navire de 600 passagers que Rivages du Monde, par ailleurs agent général en France de Louis Cruises depuis 2013, affrète déjà, cette année, pour différentes croisières. Le bateau réalisera pour TAAJ une douzaine de croisières en Méditerranée, en mer Noire et en Europe du Nord, jusqu’au Groenland.
Quant à Antoine Adam, il dirigera TAAJ jusqu’à la fin 2014 et pourrait poursuivre l’aventure un peu plus longtemps. « En principe, je travaillerai en 2015 sur le produit et l’adaptation du concept TAAJ sur le nouveau navire ». Un concept qui, assure-t--il, conservera ses fondamentaux : « Des croisières francophones sur un bateau à taille humaine, avec un encadrement très fort, un cocooning des passagers si j’ose dire. Nous souhaitons nous recentrer sur l’esprit de famille et la chaleur humaine. Dans même temps, nous continuerons à travailler sur la richesse des itinéraires et le développement de l’aspect culturel, via des excursions originales et les conférences proposées à bord. Et puis, bien sûr, TAAJ poursuivra ses spectacles, les Fêtes de la Nuit, qui seront adaptés au Louis Aura ».
Rivages du Monde monte en puissance
Créé en 2001, Rivages du Monde, de son côté, profite de cette opportunité pour consolider ses positions sur le segment maritime. En plus des croisières fluviales, notamment en Russie, sur le Mékong et en Birmanie, qui représentent 12.000 passagers par an, Alain Souleille devrait, si tout va bien, voir son activité en mer, aujourd’hui de 6000 passagers, doubler en 2015. Les nombreux accords signés avec des groupes de presse, avec la reprise des croisières Notre Temps et Pèlerin, assurée autrefois par NDS Voyages (liquidée en 2012 suite à la faillite de sa maison mère, Classic International Cruises), mais aussi des traversées pour les lecteurs du Monde, de La Vie, de La Croix ou encore de L’Express, vont permettre de compléter l’affrètement du Louis Aura. En 2015, celui-ci naviguera pendant 210 jours au profit de Rivages du Monde, contre 105 jours cette année. Et si le succès est au rendez-vous et que la demande est là, il n’est pas impossible que le tour opérateur finisse par exploiter à l’année un bateau sur le marché français.
- Voir notre interview d'Alain Souleille sur la reprise de TAAJ