En décembre, Mer et Marine vous faisait découvrir pour la première fois le Jacques Chevallier, tête de série des quatre nouveaux bâtiments ravitailleurs de forces de la Marine nationale. Construit par les Chantiers de l’Atlantique, en coopération avec Naval Group, le BRF, alors en pleine phase d’armement, n’avait pas encore effectué sa première sortie en mer. Depuis, trois campagnes d’essais ont été menées à bien au large de Saint-Nazaire et le bâtiment, quasiment terminé, a quitté dans la nuit du 18 au 19 mars son chantier constructeur pour rejoindre la base navale de Toulon. Avant son départ, nous avons pu remonter à bord. L’occasion de mettre à jour et compléter notre reportage de décembre pour vous présenter les différents espaces, désormais achevés, de la nouvelle unité logistique de la flotte française.

Le Jacques Chevallier testant ses systèmes de protection d'eau pendant ses essais en mer.

Le Jacques Chevallier testant ses systèmes de protection d'eau pendant ses essais en mer.
Le plus gros bâtiment de la flotte après le Charles de Gaulle
Long de 194 mètres pour une largeur de 27.6 mètres et un déplacement de 16.000 tonnes lège, qui atteindra 31.000 à pleine charge, le Jacques Chevallier devient le plus gros bâtiment de la Marine nationale après le porte-avions Charles de Gaulle (261.5 mètres, 42.500 tpc). Il est moins long mais plus lourd que les porte-hélicoptères amphibies (PHA) du type Mistral (199 mètres, 21.500 tpc) et le bâtiment d’essais et de mesures (BEM) Monge (225.6 mètres, 17.880 tpc). Mais, surtout, le BRF est nettement plus imposant que la précédente génération d’unités logistiques de la Marine nationale, les pétroliers-ravitailleurs (PR) et bâtiments de commandement et de ravitaillement (BCR) de la classe Durance, longs de 157.2 mètres pour un déplacement à pleine charge de 18.000 tonnes. « Le BRF, c’est simple, c’est globalement le double », schématise le capitaine de vaisseau Pierre Ginefri, premier commandant du Jacques Chevallier. Un officier qui connait parfaitement ces bateaux, c’est même un spécialiste du ravitaillement en mer. Ancien chef machine du BCR Marne, qu’il a ensuite commandé en 2018 et 2019, il a été en charge à l’état-major du programme Flotte Logistique (FLOTLOG), qui a donné naissance aux BRF.

Le BCR Marine ravitaillant la frégate de défense aérienne Forbin et le porte-avions Charles de Gaulle.
Taillé pour le groupe aéronaval
Grâce à des espaces plus vastes, mais aussi un important travail sur l’adaptation des locaux et une organisation très fine des flux, le Jacques Chevallier offre des capacités logistiques sensiblement accrues par rapport à ses prédécesseurs. Il a, en particulier, été dimensionné pour soutenir le groupe aéronaval (GAN), dont le porte-avions est l’élément central. Non seulement le Charles de Gaulle, mais aussi et surtout son successeur, le futur porte-avions de nouvelle génération (PA-NG) qui sera nettement plus imposant (310 mètres, 75.000 tpc). Cela, dans la perspective de futurs avions de combat aux capacités d’emport accrues, de l’émergence des drones et d’opérations aériennes plus denses à l’avenir, ce qui nécessitera des flux logistiques adaptés.

Le BCR Marine ravitaillant la frégate de défense aérienne Forbin et le porte-avions Charles de Gaulle.

Ravitaillement en combustible et transfert de fret depuis le BCR Marne vers le porte-avions Charles de Gaulle.
Un soutien logistique essentiel à l’efficacité des unités de combat
Pour garantir l’efficacité des opérations du GAN, les ravitailleurs sont essentiels. C’est grâce à eux que le porte-avions et son escorte, qui représentent une force d’une dizaine de bâtiments, une quarantaine d’aéronefs et quelques 3000 marins, peuvent se déployer loin et longtemps sans avoir besoin de revenir au port pour se ravitailler, ce qui les obligerait à interrompre leur mission. Ce sont aujourd’hui les BCR, et demain les BRF, qui se chargent de regarnir les soutes à combustible des bâtiments de combat, ainsi que leurs réserves de carburéacteur pour les aéronefs, de fournir des munitions, des pièces détachées et les vivres pour les équipages, tout en évacuant les déchets produits par la flotte. Ainsi, les ravitailleurs font office de véritables stations-services et supermarchés mobiles, apportant sur zone tout ce dont les unités de combat et leurs équipages ont besoin. « On fait le lien entre la terre et les forces navales », résume le commandant Ginefri.

Image de synthèse montrant un BRF ravitaillant un PHA.
Un pétrolier à double coque
Le BRF est un pétrolier à double fond et double coque (ce qui n’est pas le cas de ses aînés), conforme aux dernières normes internationales sur les tankers afin de limiter les risques de pollution en cas de brèche. « Il répond aux normes civiles, notamment sur le plan environnemental, mais il est construit aux normes militaires avec par exemple des épaisseurs de tôles plus importantes, des dispositifs en cas d’avarie de combat et un système d’armes assez étoffé pour un bateau de cette catégorie ».
Une collection de nouveaux équipements militaires
Avant de détailler les capacités logistiques du bâtiment, parlons justement de ses caractéristiques militaires. Car il ne faut pas s’y tromper, si le Jacques Chevallier est un ravitailleur, c’est aussi un bâtiment de combat qui, à ce titre, inaugure d’importantes évolutions et toute une série de nouveaux équipements pour la Marine nationale.
En matière d’armement notamment, le BRF est le premier bâtiment de la flotte française à être doté du nouveau canon de 40 mm RAPIDFire Naval développé par Thales et Nexter, ainsi que du système surface-air à courte portée automatisé Simbad-RC de MBDA.

La proue du Jacques Chevallier est surplombée par un canon de 40 mm RAPIDFire Naval.
Les canons RAPIDFire Naval
Pour le RAPIDFire Naval, deux canons seront disponibles, l’un à l’avant et l’autre vers l’arrière, au-dessus du hangar hélicoptère. Ce nouveau système d’artillerie compact, qui réunit en un module non-pénétrant dans la coque la tourelle avec sa conduite de tir et la réserve de munitions, dispose de 140 obus prêts à tirer, pour une portée maximale de 4000 mètres. En attendant la fin du développement de la nouvelle munition antiaérienne A3B, à l’horizon 2025, le RAPIDFire Naval sera essentiellement employé sur le Jacques Chevallier contre des cibles de surface. Après l’installation de la première tourelle (avant) à Saint-Nazaire fin février, la seconde sera mise en place une fois le bâtiment arrivé à Toulon.

Le canon RAPIDFire Naval.

La conduite de tir intégrée à la tourelle du canon de 40 mm.

Le canon RAPIDFire Naval.

Le second RAPIDFire Naval sera installé sur une structure à l'arrière. On voit son emplacement devant le technicien en train de travailler. Au-dessus se trouve l'un des deux effecteurs non létaux et le système optronique Paseo XLR, ainsi qu'une antenne de communication par satellite.
Six mitrailleuses manuelles
En matière d’artillerie, en plus des RAPIDFire Naval, on notera que le Jacques Chevallier dispose de six sellettes, réparties à différents endroits du bateau, pour servir de supports à des mitrailleuses manuelles de 12.7 mm ou 7.62 mm, ainsi que des mini-guns.
Deux systèmes Simbad-RC
Les deux systèmes Simbad-RC, situés en arrière de la passerelle, ont quant eux été installés début mars. Donnant sur chaque bord, ces lanceurs mobiles sont équipés chacun de deux missiles antiaériens prêts à l’emploi, en l’occurrence la dernière version du Mistral 3 de MBDA. Une arme dotée d’un nouvel imageur infrarouge capable de détecter de faibles signatures thermiques et dont la portée a été augmentée, passant à 8 kilomètres (contre 6 pour l’ancien Mistral). En plus de pouvoir traiter des cibles aériennes (aéronefs, missiles antinavire et drones), le Simbad-RC peut aussi jour dans la catégorie mer-mer puisque le Mistral 3 été également été conçu pour pouvoir neutraliser de petits mobiles de surface, en particulier des embarcations rapides.

L'un des deux systèmes surface-air Simbad-RC installés en arrière de la passerelle.