Après avoir passé deux ans à la tête de la Force d’Action Navale, le vice-amiral d’escadre Philippe Coindreau passera la barre, le 1er septembre, au vice-amiral d’escadre Denis Béraud. L’occasion de faire le point avec le patron des bâtiments de surface. Ces deux dernières années, la FAN a, en effet, connu d’importantes évolutions, avec l’arrivée des premières frégates multi-missions (FREMM) et leurs conséquences, notamment en termes de ressources humaines. L’entrainement des forces est aussi en pleine évolution, alors que le format de la flotte continue de se contracter sans que le nombre de missions diminue, bien au contraire. Ancien pilote d’avion de patrouille maritime, l’amiral Coindreau, qui fut avant de devenir ALFAN commandant de la force aéromaritime de réaction rapide, nous livre également son sentiment sur l’efficacité de la marine tricolore et la perception qu’en ont ses grands partenaires.
MER ET MARINE : ALFAN a pour mission de fournir des forces de surface (les bâtiments et leurs marins) disponibles et entrainées à l’Etat-major des armées, qui en détermine l’emploi. Mais il a aussi une autre mission, beaucoup moins connue : celle de commandant de la Force aéronavale nucléaire (CO-FANU) …
VAE PHILIPPE COINDREAU : En effet, la FANU s’appuie sur le triptyque Charles de Gaulle/Rafale/ASMPA, la composante Rafale/ASMPA étant la même que celle des Forces Aériennes Stratégiques (FAS). C’est le porte-avions qui change les perspectives d’emploi, permettant de déployer les Rafale armés d’ASMPA depuis n’importe quel océan du globe.
Faute de second porte-avions, on imagine que la FANU, contrairement à la composante sous-marine par exemple, n’offre pas une capacité permanente ?
En effet, la FANU n’est pas une composante permanente, en particulier quand notre seul porte-avions est en arrêt technique. Quand ce dernier est opérationnel, la FANU peut toutefois être mise en œuvre sous très faible préavis. En complément des FAS, elle apporte des options de réponse au pouvoir politique.
La FANU est tout de même un élément important de la dissuasion en complément des FAS et des SNLE de la Force Océanique Stratégique. Comment gérez-vous cette composante particulière ?
Particulière, mais également primordiale ! Il y a un entrainement permanent des équipages et techniciens chargés de cette mission. Nous nous appuyons sur un vivier de pilotes et de techniciens, par exemple des mécaniciens et armuriers, bénéficiant d’un niveau d’ancienneté et de qualification suffisants. Ils disposent du label FANU et ont un entrainement ad hoc, même s’il existe un tronc commun avec l’entrainement classique.
Les Ressources Humaines sont pour vous un enjeu majeur et au cœur de vos préoccupations en tant que « pourvoyeur de forces ». Cela, alors que la Marine nationale, comme les autres armées, a perdu de nombreux postes ces dernières années. Et les effectifs vont continuer de se compresser. L’entrée en service de nouveaux bâtiments, beaucoup plus automatisés et nécessitant donc des équipages moins nombreux, permet-elle de compenser ces réductions de personnel ?
La marine rallie le format lié au Livre Blanc et à la loi de programmation militaire, avec comme objectif 2025 et le renouvellement de la flotte. Pour la seule Force d’Action Navale, la déflation d'effectifs sera peu ou prou, satisfaite par le jeu des admissions au service actif et des désarmements des bâtiments. Ainsi, quand on retire du service une frégate du type F70 et qu’elle est remplacée par une FREMM conçue pour fonctionner avec un équipage « optimisé », c’est 150 postes que nous sommes en mesure de restituer. Mais, atteindre les déflations imposées, armer des bâtiments à équipage réduit tout en permettant à ces derniers de maîtriser de nouvelles technologies, très automatisées, est un vrai défi.
La FAN est passée sous la barre des 100 bâtiments de surface, qui sont aujourd’hui armés par 9600 hommes et femmes. Jusqu’où ira la baisse du nombre de marins ?
Nous allons connaitre une réduction progressive du volume de marins embarqués, d’environ un tiers d’ici 2025. A cet horizon, toutes les F70 ASM auront été désarmées, de même que les frégates antiaériennes Cassard et Jean Bart. Dans le même temps, nous aurons mis en service les huit FREMM ainsi que deux ou trois frégates du type FTI. Les bâtiments de transport léger (Batral) et les patrouilleurs du type P400 auront été remplacés respectivement par les nouveaux B2M, qui auront deux équipages, il y aura les patrouilleurs légers pour la Guyane (PLG), et les premiers bâtiments de surveillance et d’intervention hauturiers (BATSIMAR) seront appelés aussi à succéder aux avisos. Les effectifs diminuent donc, mais dans le même temps, les capacités opérationnelles sont accrues.
Des économies de personnel sont-elles également attendues avec les trois futurs bâtiments logistiques du programme FLOTLOG, destinés à remplacer les bâtiments de commandement et de ravitaillement (BCR) Var, Marne et le pétrolier ravitailleur Somme ?
Nous devrions diminuer un peu le volume de l’équipage mais ce sera à la marge car ce type de bâtiment nécessite une main d’œuvre importante. Le principe de conception reste toutefois le même : positionner « l’humain » là où il apporte une vrai plus-value, en s’appuyant sur l’automatisation qui permet la réalisation des tâches les plus fastidieuses et récurrentes.
Vous évoquiez l’automatisation et les équipages optimisés. Il y a eu dans les années 2000 un vrai engouement pour ce concept, qui visait en particulier à réduire les coûts d’exploitation des bâtiments. Les BPC ont été les premiers du genre et on se rappelle qu’en 2006, DCNS annonçait que ces unités pouvaient fonctionner avec un équipage de 160 marins seulement, contre 220 sur le transport de chalands de débarquement Siroco, pourtant plus petit. Toutefois, avec l’expérience, il s’est rapidement avéré qu’un armement aussi réduit n’était pas tenable…
En fait, nous avons commencé sur les BPC avec un équipage de 170 marins, qui était complété par une alerte de 30 personnes supplémentaires. L’an dernier, nous avons transféré cette alerte vers le plan d’armement. Il s’agissait d’entériner un état de fait car les BPC appareillaient toujours avec son personnel d'alerte. Malgré tout, nous avons sur ces bâtiments des équipages relativement optimisés grâce à la technologie et aux automatismes qu’offre ce type de navire.
Il semble que pour les nouvelles FREMM, la tendance est la même. Ces frégates étaient vendues pour un équipage de 92 marins et un détachement aéronautique de 12 personnes. Mais, déjà, ce nombre est plus important…
Oui, sans compter le détachement aéro, nous sommes passés de 92 au début à 95 puis à 105. Cette augmentation des effectifs tient compte, en particulier, du fait qu’un certain nombre de systèmes gérés par automates ne sont pas encore à 100% de leurs capacités. C’est pourquoi nous sommes montés à un plan d’armement de 105 marins plus ceux du détachement aéro. Nous nous reposerons la question de ce format une fois que tout sera nominal. Ce processus est classique et sain pour toutes les nouvelles têtes de séries des unités de la marine nationale.
On peut imaginer que le nombre de marins sur les FREMM soit finalement inférieur à la centaine ? Est-ce que cela pose des problèmes pour les capacités d’hébergement ?
Je ne pense pas que nous redescendions sous la barre des 100 marins. Concernant l’hébergement, cela ne pose aucun problème puisque les FREMM sont conçues pour accueillir jusqu’à 145 personnes. En plus du plan d’armement revu à la hausse, il reste donc de la place pour des « passagers » supplémentaires.
Des places disponibles qui peuvent par exemple servir au déploiement de forces spéciales mais aussi à des renforts d’équipage. Malgré l’automatisation et des marins plus nombreux à bord, il faut en effet des hommes pour prendre les décisions derrière les ordinateurs et, en zone de crise, les bâtiments doivent être pleinement armés, en permanence et dans la durée…
Il faut en effet vérifier que l’équipage puisse opérer sur des zones de crise dans la durée. Dans le cadre du Global Sea Trial de l’Aquitaine, conduit par la Division Entrainement de la FAN en juin dernier, nous avions pour objectif de vérifier la capacité de l'équipage complété d'un module "mission" à opérer longtemps dans une zone marquée par de fortes contraintes opérationnelles, par exemple, une zone de crise avec de multiples menaces. Les enseignements sont plutôt positifs et le module "mission" a porté l'équipage total à 120 marins. Cela permet d’assurer la permanence de la mise en œuvre de l’ensemble des systèmes d’armes et ce, durablement.
Avec les FREMM sont nés les Groupes de Transformation et de Renfort, les GTR, qu’on appelait initialement « Reach Back ». Là aussi il s’agit d’une petite révolution pour la marine…
Les GTR sont indissociables de la composante FREMM et sont des structures qui se rapprochent d’ailleurs de ce qui existe au sein de la composante sous-marine et de l’aéronautique navale. Les nouvelles frégates ont, du fait de leur équipage « optimisé », besoin de marins formés à leur poste dès leur embarquement. Sur ces bâtiments, il n’est plus possible de maintenir le système de compagnonnage qui prévaut sur les anciennes frégates. Les GTR ont pour vocation de transformer les marins qui embarqueront sur FREMM pour qu’ils soient directement employables sur ce type de bâtiment. Les GTR sont donc un sas de passage obligé vers les FREMM depuis l’école ou un autre bâtiment.
C’est un système qui monte actuellement en puissance…
En effet, le GTR de Brest fonctionne et celui de Toulon a été créé cet été. Le volume en personnel du GTR est incrémental et évolue en fonction du nombre de FREMM soutenues. Nous avons actuellement, pour les 2 FREMM brestoises, un GTR (socle de marins, alerte et renfort) de 73 marins en tout.
Bien que livrée fin 2012, l’Aquitaine, tête de série du programme FREMM, n’a toujours pas été officiellement admise au service actif. Qu’en est-il ?
Il faut se rappeler que c’est un bâtiment ultramoderne doté de nombreux équipements nouveaux. L’arrivée de ces nouvelles frégates change énormément de choses et il a fallu avancer progressivement. Nous avons toutefois réalisé de réels progrès depuis ces derniers mois et l’admission au service actif de l’Aquitaine, dont certaines capacités sont déjà utilisées de manière opérationnelle, par exemple dans le domaine de la lutte anti-sous-marine, est prévue en fin d’année.
Avec le désarmement du Dupleix l’an dernier, il ne reste plus que cinq F70 ASM opérationnelles. La vente de l’ex-Normandie à l’Egypte a également impliqué une réorganisation car, même si une autre frégate sera commandée pour la remplacer, il y a un décalage dans les livraisons. La situation est-elle tendue au niveau des frégates ?
En termes de bâtiments ASM, nous sommes ponctuellement un peu sous-dimensionnés, même si l’Aquitaine est utilisée dans ce domaine. C’est pourquoi, après la vente de la Normandie, il a été décidé de reporter d’un an le retrait du service du Montcalm, qui ne sera pas désarmé en 2016 mais en 2017, nous permettant d’attendre l’arrivée à Toulon de la FREMM Languedoc, la Provence ayant rejoint l’Aquitaine à Brest, au lieu de venir en Méditerranée. Cette fragilité temporaire nécessite donc une vigilance particulière.
Pour en revenir aux Ressources humaines, on constate aussi une importante évolution du profil des marins. Qu’en est-il ?
Les RH connaissent un vrai changement de physionomie. Cela est lié à l’orientation visant à alléger les équipages sous la pression de la masse salariale et des évolutions technologiques. Cette tendance a commencé avec les frégates du type La Fayette il y a déjà vingt ans, s’est précisée avec les BPC et s’affirme avec les frégates de défense aérienne Forbin et Chevalier Paul, suivies aujourd’hui par les FREMM. Sur les nouvelles frégates, la cartographie des grades est différente de ce que l’on connaissait sur les bâtiments de la génération précédente. Elle n’est plus en forme de pyramide mais, pour faire simple, ressemble à une poire : Il y a moins de quartiers-maîtres et matelots, la maistrance est plus importante et les officiers sont en nombre à peu près équivalent.
Est-ce que cette situation n’est pas de nature à poser des problèmes, par exemple en termes de recrutement, d’ascension sociale ou simplement de main d’œuvre sur les unités qui en demandent plus ?
Nous ne pourrons pas avoir une marine calquée exclusivement sur le modèle des nouvelles frégates, avec peu de quartiers maîtres et de marins et un nombre de cadres proportionnellement important car, en effet, notre modèle RH s'appuie sur le principe de la promotion interne. Nous recrutons les marins jeunes et nous les faisons progresser dans l’institution en leur permettant d’occuper des postes de responsabilité croissante mais, hormis au début de carrière, nous ne pratiquons pas le recrutement externe. C’est pourquoi il faudra demain, dans l’armement du panel des bâtiments de la flotte, des unités plus classiques en termes de ressources humaines, qui nécessiteront plus de quartiers-maîtres et matelots. Ou alors il faudrait complètement revoir notre modèle de recrutement.
Quelles futures unités pourraient adopter ce schéma d’équipages plus classiques ?
Je pense notamment aux navires logistiques, aux futurs bâtiments écoles ou encore aux prochains patrouilleurs. Sur ces bateaux, il ne faudra pas raisonner uniquement en matière de réduction d’équipage pour équilibrer la pyramide des grades.
Le métier de marin est-il toujours attractif ?
Je le pense mais c’est une vigilance de tous les instants. La marine nationale recrute environ 3000 jeunes chaque année, dont la grande majorité recevra une première affectation embarquée sur l’une des unités de la FAN. Demain, ce sera un peu moins mais nous aurons toujours d’importants besoins puisque le renouvellement est permanent. Il faut donc que la Marine nationale continue d'attirer des jeunes hommes et femmes, en nombre suffisant pour conserver un taux de sélectivité satisfaisant, ce qui globalement reste le cas aujourd’hui. Nous avons la chance de bénéficier d'une bonne image auprès de nos concitoyens mais qui souvent méconnaissent notre rôle. Il faut donc permettre à tous de découvrir nos missions, découvrir nos métiers et nos perspectives, afin que les jeunes en particulier aient envie de nous rejoindre.
L’entrainement et la préparation au combat sont deux responsabilités majeures d’ALFAN. Comment ces aspects ont-ils évolué ces dernières années, notamment avec la réduction du nombre de bâtiments et la démultiplication des missions ?
La principale révolution de l’entraînement concerne le développement croissant des outils de simulation, permettant de donner aux équipages des bases qu’ils n’ont dès lors plus besoin d’acquérir à la mer. L’objectif n’est pas de réduire le nombre de jours à la mer mais de mieux former les équipages et dégager des jours de mer pour les opérations.
Ces simulateurs sont présents dans toutes les bases ?
Les simulateurs sont situés à Brest et à Toulon. Ils font appel à des technologies modernes et des systèmes incrémentaux. Chaque type de nouveau bâtiment bénéficie d’une version qui vient incrémenter la précédente. Nous avons par exemple des simulateurs de navigation normalisés, des simulateurs de propulsion spécifiques aux FDA et FREMM, des simulateurs génériques pour l’entrainement des équipes de CO à la veille, la surveillance et le combat...
Vous souhaitez même la mise en place d’un système de simulateurs en réseau…
L’idée est de profiter des technologies modernes pour relier les bâtiments aux centres de simulation de Brest et Toulon. Mais aussi intégrer les bases d’aéronautique navale de Lanvéoc-Poulmic et Hyères afin que les équipages d’hélicoptères Caïman puissent en bénéficier. Nous travaillons donc sur un concept de simulation distribuée permettant de faire s’entrainer les personnels ensemble, même s’ils ne sont pas physiquement au même endroit. Cela présente de nombreux avantages. On évite par exemple des déplacements et l’on peut réaliser à loisir, sur simulateur, ce qui est compliqué à faire en mer.
Le simulateur ne peut toutefois pas se substituer à l’entrainement « réel » ?
Tout à fait. C’est un outil complémentaire mais qui ne remplacera évidemment pas les grands entrainements et exercices à la mer, qui sont absolument nécessaires aux marins. Nous devons conduire des entraînements visant à entrainer les équipages dans le haut du spectre des opérations, avec des niveaux d’engagement analogues à ce qui a pu être réalisé par exemple lors de l’opération Harmattan en 2011 au large de la Libye. Nous avons d’ailleurs profité des opérations conduites par la marine pour élaborer un certain nombre d’exercices complexes et très réalistes.
On imagine qu’il y a un équilibre à trouver entre le virtuel et la réalité. Alors que la flotte est soumise à une forte pression compte tenu des nombreuses missions qu’elle doit assurer, reporter des jours d’exercice en mer vers les opérations ne risque-t-il quand même pas de faire baisser la qualité de l’entrainement ?
C’est précisément le rôle d’Alfan de veiller à conserver un entraînement de qualité tout en maintenant du potentiel pour les déploiements. Nous allons vers l'entraînement synthétique petits pas par petits pas et à chaque fois, nous analysons en profondeur le résultat. Pour le moment les retours sont bons car la qualité des simulateurs a beaucoup progressé et permet désormais de mécaniser les individus et les équipes avec un bon niveau de réalisme. Mais l’entrainement à la mer reste fondamental.
Certaines marines, notamment européennes, semblent à l’inverse souffrir du manque d’entrainement de leurs unités. Le ressentez-vous ?
On observe que certaines marines, notamment au sud de l’Europe, baissent la garde de ce point de vue, les jours de mer étant moins nombreux et absorbés par les opérations. Or, par expérience nous savons tous que lorsqu’une marine réduit son activité en jours de mer, elle perd petit à petit ses savoir-faire et sa capacité à durer.
Vous avez également recours, pour économiser le potentiel des unités, à des prestataires de services qui mettent à disposition des bâtiments, aéronefs et cibles pour l’entrainement des forces. Quel bilan tirez-vous de cette externalisation ?
Nous faisons en effet appel à des sociétés privées qui fournissent des plastrons d’entrainement. Il y a par exemple aujourd'hui Avdef et SECAPEM dans le domaine de la lutte antiaérienne et SeaOwl pour les opérations de surface. Cette formule donne satisfaction car nous économisons ainsi nos moyens propres. D’ailleurs, nous ne sommes plus capables, aujourd’hui, d’assurer par nous-mêmes le même niveau de plastron.
La disponibilité des bâtiments était, il y a quelques années, un véritable problème. Qu’en est-il aujourd’hui, alors même que la marine est encore plus sollicitée qu’auparavant et qu’une partie non négligeable de la flotte est en attente de renouvellement ?
Le taux de disponibilité moyen de la flotte est relativement stable. Le premier constat est que celui-ci est remarquable pour les bâtiments déployés et c’est un grand motif de satisfaction. Cela signifie que la préparation est bonne et que les bateaux tiennent bien dans la durée. Pour le reste de la flotte, la disponibilité est satisfaisante. Le SSF négocie bien les contrats et les relations avec les industriels sont saines.
Le maintien en condition opérationnelle (MCO) est donc efficace…
Le MCO est aujourd’hui performant et je peux vous dire que c’est un sujet que nous regardons à la loupe car la moindre dégradation peut être le signe d’une difficulté à venir.
Quid de l’entretien des nouveaux systèmes, sur des plateformes comme on l’a dit très automatisées et dont l’équipage est réduit ?
Le MCO des systèmes automatisés est un point de vigilance car ces systèmes nous ont permis d'économiser des hommes et il faut pouvoir les maintenir dans la durée. Cela va nécessiter une maintenance différente et de nouveaux plans de traitement des obsolescences car nous devrons renouveler régulièrement certains composants, qui heureusement sont moins coûteux, voire certains systèmes complets.
On en parle rarement mais il y a également la problématique de l’entretien courant des bâtiments, à commencer par le ménage. Comment, au quotidien, arrive-t-on à maintenir propre une frégate ou un BPC avec si peu de matelots ?
C’est également une question que nous suivons et à ce titre nous regardons attentivement l’évolution des bâtiments, notamment les BPC. Nous prenons des décisions quand nous voyons des dérives possibles. Il y a néanmoins eu un grand progrès avec la passation de contrats d’entretien des coques, notamment en ce qui concerne les grands travaux de peinture, confiés à des industriels. Les équipages sont, ainsi, dispensés de ces travaux de grande ampleur et, comme les travaux sont réalisés par des sociétés spécialisées, je note que les peintures de coque sont mieux réussies et résistent donc plus longtemps. Nous avons des contrats à Brest, Toulon et Outre-mer, sachant que nous pourrions également, le cas échéant, faire de même dans des ports étrangers.
La Marine nationale est actuellement engagée sur toutes les mers du globe et son activité est extrêmement intense. Alors que le dernier Livre Blanc lui fixait comme objectif deux missions permanentes, elle en assure finalement quatre ou cinq. Comment faites-vous pour tenir le rythme ?
Il est clair que nous sommes en suractivité par rapport à ce qui avait été identifié dans le Livre Blanc. La situation reste très tendue. Heureusement, nous avons pour le moment une très bonne disponibilité, ce qui nous permet de tenir. Mais cela reste fragile et sans cela, ou avec moins de bateaux, ce ne serait plus possible.
Concernant les bâtiments de commandement et de ravitaillement (BCR), le retrait du service de la Meuse réduit d’un quart le nombre d’unités logistiques. Comment allez-vous gérer cette situation ? La Somme pourrait-elle revenir à Toulon ?
La Somme restera à Brest mais la réduction du format de la flotte logistique aura des conséquences. Il nous faudra, avec seulement trois bâtiments, continuer de satisfaire les besoins d’entrainement en Méditerranée et en Atlantique, ainsi que les déploiements opérationnels, pour soutenir le groupe aéronaval ou assurer des fonctions de commandement. Je pense qu’il faudra équilibrer les concours sur les deux façades, c'est-à-dire faire venir par période la Somme en océan Indien et Méditerranée et, inversement, le Var ou la Marne en Atlantique.
Trois BCR seulement, c’est un peu juste tout de même…
C’est juste mais c’est le meilleur compromis, sous réserve bien entendu de la disponibilité de ces bâtiments, qui doivent naviguer jusqu’en 2022/2023. Le désarmement de la Meuse va, de ce point de vue, nous apporter un stock de pièces détachées et donc un peu d’oxygène pour le MCO des BCR.
Quelles sont les conséquences, sur les équipages, de l’activité intense que connait actuellement la marine ?
D’abord, je constate personnellement que cela motive les équipages car les marins aiment l’activité à la mer et quand elle est soutenue, ils sont enthousiastes. Nous restons évidemment vigilants pour que cette activité soit correctement équilibrée entre les différentes unités de la FAN et que les équipages puissent bénéficier de permissions en nombre suffisant. C’est pour moi une exigence et nous devons la satisfaire. C’est important car, au-delà des jours de mer, l’activité est plus dense pendant les arrêts techniques, dont nous avons réduit la durée afin d’équilibrer les budgets et récupérer des jours de mer.
Quels sont, aujourd’hui, les grands partenaires de la Marine nationale ?
Les deux principaux partenaires de la marine française sont les Britanniques et les Américains. Cette situation est liée au type de forces navales mises en œuvre, à la qualité des relations bilatérales, politiques et militaires, ainsi qu’aux zones d’opérations et d’engagements opérationnels. En fait, nous partageons beaucoup de choses avec les Etats-Unis et le Royaume-Uni. Je rappelle d’ailleurs l’engagement cette année du groupe aéronaval français, dans lequel était intégrée une frégate britannique, aux côtés des Américains lors de l’opération Arromanches.
Avec les Britanniques, nous poursuivons par ailleurs la montée en puissance d’un corps expéditionnaire commun, le CJEF, avec des états-majors mixtes franco-britanniques que nous entrainons.
En dehors de ces deux grandes marines, qu’en est-t-il des relations avec les autres flottes européennes ?
Nous maintenons des liens avec les marines espagnole et italienne par exemple. C’est toutefois plus difficile car elles ont moins d’activité à la mer. Les opportunités existent, mais sont donc moins nombreuses.
Faut-il considérer qu’aujourd’hui la puissance navale de l’Europe repose finalement sur la Royal Navy et la Marine nationale ?
Je ne ferais pas ce raccourci. Les marines allemande et du nord de l’Europe sont performantes dans un certain nombre de domaines d’opérations. On trouve aussi de superbes bateaux en Italie et en Espagne. Il y a donc d’importantes capacités dans les forces navales européennes mais seules les marines française et britannique sont globales, c’est peut-être ce qui les différencie des autres.
On vous sait attentif à l’image que la Marine nationale peut donner à l’international. Quel est, par exemple, le regard que les Américains, première puissance navale mondiale, portent sur la flotte française ?
Ce que je constate c’est que les Américains nous considèrent comme des partenaires à part entière. Il ne faut évidemment pas se leurrer sur le rapport de force mais, si les Etats-Unis partagent et nous font une place, c’est qu’ils estiment que nous sommes des partenaires crédibles dotés d’un grand savoir-faire.
En 2011, la France a joué un rôle clé dans l’intervention internationale en Libye. Ce fut l’opération Harmattan, dont vous commandiez le volet aéromaritime. Cette opération, qui a vu l’engagement du groupe aéronaval, des BPC et de leurs hélicoptères, ainsi que d’autres types de moyens, comme les frégates, sous-marins et avions de patrouille maritime pour des missions de renseignement et de combat, a-t-elle constitué un tournant ?
Je pense qu’Harmattan a beaucoup marqué les Etats-Unis et le Royaume-Uni. Les Américains ont pu voir que nous étions capables de mener des opérations complexes et dangereuses dans la durée et le haut du spectre. Quant aux Britanniques, ils ont pris conscience que la marine française, qu’ils considéraient historiquement derrière la leur, était peut être passée devant.
Amiral, vous êtes issu de la promotion 1979 de l’Ecole navale. A l’époque, on ne parlait pas des FREMM mais de l’arrivée des F70, qui commençaient tout juste à succéder aux escorteurs d’escadre. La marine comptait alors quelques 150 unités de surface, dont deux porte-avions et un croiseur, il y avait une vingtaine de sous-marins et l’aéronautique navale alignait plus de 200 appareils. Trente-six ans plus tard, le format de la marine française s’est significativement réduit. Comment percevez-vous cette évolution ?
Quand je regarde ce que j’ai devant mes fenêtres, je suis fier de constater que nous avons des bateaux parfaitement adaptés aux missions d’aujourd’hui. De plus, nous les faisons bien vieillir grâce à différentes modernisations et adaptations, qui leur permettent de répondre aux exigences d’aujourd’hui. A l’époque, on revoyait moins régulièrement les capacités des unités. En fait, je pense que la flotte de 2015 est certes moins grande, mais elle est en réalité plus efficace. Et c’est une flotte que l’on peut juger sur pièce grâce aux opérations qu’elle mène en permanence. Ce n’était pas le cas du temps de la guerre froide, où les critères de jugement étaient plus intuitifs. On peut bien entendu rêver d’une flotte plus nombreuse. Mais celle dont on dispose aujourd’hui, la flotte de 2015, est parfaitement opérationnelle, reconnue dans le monde, et remplit les objectifs qui lui sont fixés : c’est un vrai motif de fierté nationale.
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Interview réalisée par Vincent Groizeleau © Mer et Marine, août 2015