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(Publié le 15 février) La Marine nationale connait depuis un moment une activité extrêmement forte, pour ne pas dire record. Début février, quelques 7000 marins et 50 bâtiments étaient à la mer. Pour faire simple, la moitié de la flotte, mais aussi de l’aéronautique navale, soit une quarantaine d’aéronefs, est sur le pont, de même qu’un quart des effectifs de marins. Une grande partie est en mission aux quatre coins de la planète, alors que les autres unités s’entrainent pour assurer les relèves. Tout ce qui est apte à naviguer, ou presque, largue les amarres et le roulement des unités est assez impressionnant. « 2014 a été une année opérationnelle intense et je ne vois pas d’amélioration en 2015. La marine demeure très sollicitée, nous sommes engagés partout, même au plus profond des terres avec les commandos et les Atlantique 2 », explique l’amiral Bernard Rogel, chef d’Etat-major de la Marine nationale. D’ores et déjà, pour 2015, les unités ont une activité programmée à 100% de leur potentiel, ce qui en dit long sur le niveau de sollicitation de la flotte.

 

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© MARINE NATIONALE- GEORGES REIG

Frégate et Atlantique 2 (© MARINE NATIONALE)

 

Quatre à cinq déploiements permanents au lieu de deux

Alors que le dernier Livre Blanc sur la Défense fixait, pour la marine, une réduction du nombre de déploiements permanents à deux au lieu de trois, le contexte international et les besoins militaires ont rapidement fait mentir ces prévisions. « Nous sommes plutôt à quatre ou cinq déploiements permanents entre l’océan Indien, le golfe Persique, le golfe de Guinée, la Méditerranée orientale et la mer Noire. La marine est au-delà de son contrat opérationnel fixé par le Livre Blanc », souligne le CEMM. Pour autant, l’amiral Rogel n’a pas l’intention de s’apitoyer sur le manque de moyens, « ne comptez pas sur moi pour ça », lance-t-il, préférant rappeler que ses marins et le matériel, malgré cet effort exceptionnel, répondent présents : « nous continuons d’assurer les missions ». Le grand patron reconnait néanmoins que ce n’est pas toujours évident : « Il y a des côtés un peu difficiles et il faut parfois faire des choix, il y a des arbitrages quand on ne peut pas être partout ». Au-delà des problèmes liés au manque de passerelles pour assurer l’ensemble des missions, le maintien en condition opérationnel et la disponibilité de matériels extrêmement sollicités n’est pas une mince affaire.

 

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© MARINE NATIONALE

SNLE escorté par une frégate (© MARINE NATIONALE)

 

Les missions permanentes, les opex et l’action de l’Etat en mer

L’amiral Rogel rappelle que la Marine nationale repose sur un trépied opérationnel : les missions permanentes, les opérations extérieures et l’action de l’Etat en mer. « Les missions permanentes comportent la dissuasion nucléaire, pour laquelle nous avons depuis 40 ans au moins un SNLE à la mer, mais aussi les déploiements dans des zones d’intérêt. Des moyens navals qui contribuent beaucoup au renseignement en surveillant ce qui se passe sur l’eau mais également, on l’oublie souvent, ce qui se passe à terre. Ils permettent ainsi de compléter d’autres capacités, comme les satellites, et contribuent à l’analyse stratégique et l’appréciation de la situation dans ces zones d’intérêt». Autre mission permanente de la Marine nationale : la protection de sites sensibles et des approches maritimes françaises. « Plus de 3000 marins sont attachés à cette mission de surveillance et de sécurité indispensable, puisque la menace peut aussi venir de la mer ». Avec le renforcement du plan Vigipirate suite aux attaques terroristes du mois dernier à Paris, le dispositif a d’ailleurs été musclé, non pas en effectifs, puisqu’il n’y a pas de « réserve », mais par une réorganisation qui permet, grâce une mobilisation supplémentaire des hommes et femmes affectés à ces missions, d’accroître les patrouilles et la surveillance.

 

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© MARINE NATIONALE

Surveillance depuis un sémaphore (© MARINE NATIONALE)

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© MARINE NATIONALE

Vedettes de la Gendarmerie maritime (© MARINE NATIONALE)

 

En matière d’opérations extérieures, 2014 a été très riche. Le CEMM retient notamment la mise sur pied, en moins de 48 heures et en plein mois de juillet, d’une opération d’évacuation de ressortissants en Libye, qui a été assurée par les frégates Montcalm et Courbet, ainsi que les commandos marine. Quant à 2015, l’année sera marquée par le déploiement du groupe aéronaval, le Charles de Gaulle et son escorte venant de rejoindre le nord de l’océan Indien.

 

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© MARINE NATIONALE

Le Charles de Gaulle (© MARINE NATIONALE)

 

L’AEM monte en puissance

Au large des côtes françaises ou dans les immenses zones économiques exclusives des territoires ultramarins, la marine est chargée de nombreuses missions extramilitaires: sauvetage en mer, assistance aux navires en difficulté, lutte contre la pollution, les trafics illicites et l’immigration clandestine, police des pêches… L’ensemble constitue l’action de l’Etat en mer. « Ces missions prennent de plus en plus d’importance », note le CEMM. L’an dernier, la Marine nationale a sauvé 380 personnes, soit en moyenne plus d’une par jour. Elle a aussi intercepté 2800 migrants, essentiellement à Mayotte. « Assez méconnu en métropole, le problème de l’immigration clandestine à Mayotte est très important. Pas moins de 13.000 migrants sont interceptés ou secourus chaque année au large de Mayotte par les différentes administrations. Nous sommes aussi confrontés à ce phénomène en Méditerranée, où nous agissons au sein de l’agence européenne FRONTEX, plutôt en Méditerranée occidentale avec les Espagnols », précise l'amiral Rogel, qui rappelle qu’ « un migrant illégal, c’est d’abord un naufragé à sauver ». Dans le domaine de la police des pêches, la marine a, en 2014, dressé 200 procès verbaux et dérouté 40 bateaux. Elle a aussi, via notamment ses grands remorqueurs de sauvetage affrétés, porté assistance à 9 navires. Très active dans le domaine de la lutte contre le narcotrafic, domaine dans lequel elle collabore avec différentes administrations, dont la Douane, la marine a saisi l’an passé 1.5 tonne de drogue, portant son tableau de chasse à 32 tonnes en 3 ans.

 

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© MARINE NATIONALE

Remorquage d'un cargo en difficulté (© MARINE NATIONALE)

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© MARINE NATIONALE

Evacuation médicale d'un marin (© MARINE NATIONALE)

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© MARINE NATIONALE

Lutte contre le narcotrafic (© MARINE NATIONALE)

 

Les besoins de déminage se développent avec les énergies marines

Les opérations de déminage, l’une de ses grandes spécialités, ont quant à  elles atteint des sommets, avec 2800 engins explosifs traités en 2014 le long du littoral français, un chiffre qui dépasse nettement la moyenne des années précédentes (2100/2300). « Le déminage prend de l’ampleur et cela va continuer avec le développement des énergies marines, comme les éoliennes offshore, qui nécessitent d’assurer la sécurité des fonds marins. Il faut rappeler que 60% des mines, bombes et autres obus déversés en mer durant les deux guerres mondiales n’ont pas été repêchés ».

 

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© MARINE NATIONALE

Un chasseur de mines (© MARINE NATIONALE)

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© MARINE NATIONALE

Pétardage d'une mine (© MARINE NATIONALE)

 

La menace pirate toujours sensible

Enfin, la lutte contre la piraterie demeure un sujet très sensible. Si le phénomène paraît maîtrisé au large de la Somalie, bien que nécessitant toujours une grande vigilance pour éviter qu’il reprenne de la vigueur, les attaques s’étendent dans d’autres régions du monde. « La piraterie est sous contrôle en océan Indien mais se développe dans le golfe de Guinée et repart en Asie du sud-est, avec des attaques de pétroliers au dessus du détroit de Malacca et au sud de la mer de Chine ». Des régions stratégiques en raison de la présence de grandes zones de production pétrolières et gazières ou d’importantes routes maritimes, essentielles aux approvisionnements européens et au commerce mondial. « Si ces zones sont bloquées ou que le trafic maritime y est perturbé, l’impact sera direct », insiste l’amiral Rogel, qui se montre particulièrement attentif à l’évolution de la situation en Afrique de l’ouest. « Le golfe de Guinée nous préoccupe depuis plusieurs années car les attaques ont évolué. Elles sont passées du brigandage, où des coupeurs de route interceptaient les bateaux pour récupérer de l’argent et des objets de valeur, à des assassinats et du bunkering. Les soutes des pétroliers sont siphonnées et revendues, s’ajoutant aux trafics d’armes et de drogue. Or, on sait que tous les trafics en mer profitent aux organisations criminelles à terre et, dans ce cas, des relations entre la piraterie et le terrorisme ne sont pas à exclure ». Alors que les pays riverains ont décidé de coopérer dans la lutte contre la piraterie avec la création en 2014 de centres régionaux de sécurité maritime, la marine française leur apporte son concours. « La France est la seule nation à avoir une présence permanente dans la zone. Nous intervenons en soutien et en accompagnement des pays riverains, par exemple via les unités déployées dans le cadre de la mission Corymbe. Celle-ci a d’ailleurs évolué avec un volet NEMO de formation des marines africaines. Le Tonnerre, qui vient d’être relevé par le Siroco en Afrique de l’ouest, a en quelque sorte servi, en plus de ses autres fonctions, d’université flottante ».

 

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© MARINE NATIONALE

Aviso et BPC au large des côtes africaines (© MARINE NATIONALE)

 

Le défi des ressources humaines

En matière de ressources humaines, comme leurs homologues terriens et aviateurs, les marins se montrent soulagés de la décision du président de la République de limiter la déflation des effectifs prévue dans la loi de programmation militaire. Initialement, 24.000 postes devaient être supprimés de 2015 à 2019 mais, suite aux attaques de janvier, François Hollande a décidé d’en préserver 7500. « La marine est ravie de cette réduction. Dans les armées, nous avions identifié 19.000 postes que nous pouvions encore supprimer, alors que 5000 ne l’étaient pas. Ces 5000 postes supplémentaires auraient immanquablement eu un impact sur les forces. Heureusement, nous n’aurons pas à les trouver ». Plus petite des trois armées, la marine rassemble environ 40.000 personnels, dont 31.300 militaires et près de 2900 civils servant directement dans ses rangs (5200 marins supplémentaires sont affectés dans les services interarmées, d’autres ministères et à l’étranger). Sur la durée de la LPM, 1300 postes devaient être supprimés, s’ajoutant à 500 autres issus de la LPM précédente et non réalisés sur celle-ci. Pour l’heure, la répartition des 7500 postes sauvegardés au sein du ministère de la Défense n’a pas encore été actée.

En dehors des chiffres, l’amiral Rogel souligne, par ailleurs, qu’il a été décidé de réduire le rythme de la déflation. « On en parle peu mais c’est très important. Nous devions initialement faire l’effort de déflation sur environ trois ans alors que, maintenant, il est non seulement réduit mais aussi étalé sur toute la LPM, c'est-à-dire cinq ans ».

 

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© MARINE NATIONALE - SEBASTIEN CHENAL

(© MARINE NATIONALE)

 

La structure des équipages change avec les nouveaux matériels

Malgré ces bonnes nouvelles, il n’en reste pas moins que la flotte va devoir, une nouvelle fois, compresser ses effectifs. « La situation est meilleure mais cela demeure un vrai challenge », rappelle le CEMM. Les ressources humaines sont, en fait, le principal défi qui attend la Marine nationale dans les prochaines années. La principale difficulté réside dans l’adaptation des personnels aux nouveaux matériels et, surtout, l’obligation de développer de nouvelles compétences tout en conservant d’anciens savoir-faire le temps que les équipements neufs remplacent totalement les anciens. Un jeu d’équilibriste particulièrement délicat du fait des diminutions d'effectifs mais aussi des étalements de programmes, qui allongent la durée de tuilage. « Avec les FREMM, les Barracuda ou encore les NH90, la structure des équipages est complètement différente. Avant, nous avions des bâtiments très mécaniques qui nécessitaient beaucoup de main d’œuvre. Sur nos frégates d’ancienne génération, nous avons 200 à 250 marins alors que sur les FREMM, ils ne sont qu’une centaine. Avec les nouveaux matériels, nous avons besoin de beaucoup de spécialistes et de moins d’hommes du rang. Cela signifie qu’il faut restructurer les ressources humaines, mais aussi le soutien et l’entrainement. C’est un changement en profondeur et nous devrons être extrêmement vigilants », explique le CEMM, qui estime qu’en termes de RH l’un des grands enjeux des années à venir sera également la fidélisation des marins.

 

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© MARINE NATIONALE

(© MARINE NATIONALE)

 

Opération Balard

2015, ce sera aussi l’année du déménagement vers Balard, le nouveau site du ministère de la Défense, dont la construction s’achève dans le 15ème arrondissement de Paris. Un projet qui entraine une vaste restructuration pour la marine. Alors que les ressources humaines vont partir à Tours, les services du site de la Pépinière iront à Vincennes. Quant à l’état-major, Installé à l’Hôtel de la Marine depuis le XVIIIème siècle, il va lui aussi faire ses cartons. « Nous allons quitter cette implantation historique après 226 ans de présence. L’opération Balard, car c’est bien d’une opération dont il s’agit, est aussi un grand challenge car le déménagement doit se dérouler sans rupture opérationnelle. Et il faudra aussi nous adapter à un nouveau mode d’organisation au sein de l’état-major des armées ».

 

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© MINISTÈRE DE LA DEFENSE

Le futur site de Balard (© MINISTERE DE LA DEFENSE)

 

Horizon 2025 : Une marine modernisée et restructurée

Face à tous les enjeux auxquels la marine est confrontée, l’amiral Rogel a récemment lancé le plan Horizon 2025, qui vise à préciser la vision et les objectifs qu’il fixe à l’institution et aux personnels. « Dans 10 ans, la marine sera complètement restructurée et modernisée. L’important sera de tenir le contrat opérationnel mais je ne suis pas inquiet, nous allons réussir. Il faut simplement être vigilant pour veiller à ce qu’il n’y ait pas de rupture ».

 

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© MBDA

MdCN (© MBDA)

 

L’arrivée du missile de croisière naval

Concernant le renouvellement des moyens de la flotte française, 2015 sera une année cruciale avec la mise en service du MdCN. Pour la première fois, la France disposera d’un missile de croisière naval, grâce auquel frégates et sous-marins pourront neutraliser à grande distance des cibles terrestres durcies. « Avec le MdCN, nous allons changer de gamme stratégique », souligne l’amiral Rogel. De fait, les capacités de la marine dans l’action vers la terre vont, grâce à cet outil aussi militaire que politique, être considérablement accrues. Le nouveau missile équipera l’intégralité des FREMM, y compris les deux unités aux capacités de défense aérienne améliorées (FREMM DA), ainsi que les six sous-marins nucléaires d’attaque du type Barracuda. Soit, en tout, au moins 14 plateformes de lancement, ce qui constitue une force de frappe appréciable.

 

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© DCNS

SNA du type Barracuda (© DCNS)

 

Barracuda : le CEMM confiant

Tête de série de ces SNA de nouvelle génération, le Suffren est actuellement en achèvement sur le site DCNS de Cherbourg. Sa première sortie à la mer est prévue fin 2016 et sa livraison un an plus tard. Destiné à remplacer les sous-marins du type Rubis, mis en service entre 1983 et 1993, ce programme, particulièrement complexe, a donné du fil à retordre aux ingénieurs et, en attendant la signature d’avenants au contrat notifié en décembre 2006 avec l’Etat, plonge les comptes de DCNS dans le rouge. Le groupe assure néanmoins qu’il n’a en rien perdu ses compétences techniques et que le gouffre budgétaire actuellement rencontré n’est que momentané. En fait, selon certaines sources, la dérive budgétaire de ce programme à près de 8 milliards d’euros devrait restée contenue aux alentours de 10%, ce qui est tout à fait raisonnable pour un projet de cette ampleur, surtout au regard de sa durée (25 ans). Alors que le programme a été étalé de deux ans en raison des restrictions budgétaires, emmenant la livraison du sixième Barracuda en 2029 au lieu de 2027, l’amiral Rogel, ancien sous-marinier, se montre serein. « Je fais confiance à l’industriel pour régler ses problèmes internes. Un sous-marin nucléaire, c’est l’engin le plus compliqué qui soit, loin devant un aéronef ou une navette spatiale. Qu’il y ait des difficultés dans un tel programme n’est pas anormal, l’essentiel c’est d’arriver à l’heure ». A l’heure ou presque puisque le CEMM s’attend quand même à un léger retard, « de moins d’un an je l’espère ». Toujours prévoyants, les marins ont anticipé ce possible décalage en s’assurant que les actuels SNA pouvaient être légèrement prolongés. Pour l’heure, le désarmement du vétéran de la flotte, le Rubis, est prévu en 2017. 

 

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© DCNS

Les FREMM Aquitaine et Normandie (© DCNS)

 

FREMM : réorganisation avec la vente de la Normandie

Dans le domaine des frégates, l’Aquitaine, la toute première FREMM de la marine, sera prochainement admise au service actif. Elle devait être suivie par la Normandie mais celle-ci vient d’être vendue et sera livrée au mois de juin à l’Egypte. Son équipage, qui a assuré aux côtés des équipes de DCNS l’armement et les essais du bâtiment, devrait participer à la formation des marins égyptiens et, ensuite, être transféré sur la Provence, qui a débuté ses essais en mer en octobre . Quant à l’équipage de la Provence, il devrait passer sur la Languedoc, mise à flot l'été dernier. « La vente de la Normandie se traduit pour nous par un décalage dans la livraison de nouveaux moyens. Pour qu’il n’y ait pas d’impact sur notre plan général, nous avons obtenu des garanties de la part de DCNS pour accélérer la cadence de production des FREMM. De cette manière, la marine pourra disposer de quatre FREMM fin 2016 et de six FREMM fin 2018. En attendant, la Provence, qui devait être affectée à Toulon, partira à Brest, où la Normandie devait rejoindre l’Aquitaine. Et pour compenser le décalage dans l’arrivée des FREMM à Toulon, nous nous sommes assurés que nous pouvions prolonger le Montcalm (qui devait être retiré du service en 2016, ndlr) », explique le CEMM.

 

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La FDA Forbin (© MER ET MARINE - JEAN-LOUIS VENNE)

 

FDA, FREMM, FTI : 15 frégates de premier rang

Le dimensionnement du programme FREMM demeure toujours incertain. De 17 unités initialement prévues, lorsqu’il s’agissait non seulement de remplacer les 9 frégates anti-sous-marines des types F67 et F70, mais aussi les 9 avisos du type A69, le format a été ramené à 11 bâtiments en 2008. La succession des avisos avait alors été renvoyée à un autre projet (BATSIMAR), le programme FREMM intégrant au passage le remplacement des frégates antiaériennes du type F70 AA (Cassard et Jean Bart) suite à l’abandon de la construction des troisième et quatrième Horizon, jugées trop onéreuses. Pour l’heure, DCNS en reste au contrat signé en 2009 et portant sur la réalisation de 11 FREMM. Il devient, toutefois, de plus en plus évident que ce chiffre ne sera pas atteint. Le ministère de la Défense prévoit, en effet, qu’une décision concernant la réalisation ou non des trois dernières FREMM soit  prise fin 2016. « Le Livre Blanc fixe le format des frégates de premier rang à 15 unités en 2025. En plus des FDA (les Forbin et Chevalier Paul du type Horizon, ndlr), nous aurons 8 à 11 FREMM, dont 2 FREMM DA, le différentiel étant constitué de FTI ». Les FTI, ce sont les frégates de taille intermédiaire, un nouveau projet visant à assurer le remplacement des La Fayette et, du même coup, permettre à DCNS de disposer dans son catalogue d’une nouvelle frégate répondant plus largement aux besoins du marché export. « Nous choisirons fin 2016 si nous construisons une, deux ou trois FREMM supplémentaires et de quel type. De là, nous connaitrons le nombre de FTI à réaliser ».

 

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B2M (© PIRIOU)

 

B2M et B3M pour l’Outre-mer

La situation de la flotte de patrouilleurs et d’unités de surveillance et de soutien demeure, dans le même temps, une préoccupation pour l’état-major. Plusieurs bonnes nouvelles sont intervenues ces deux dernières années. Commandés fin 2013, les trois premiers bâtiments multi-missions (B2M) seront mis en service en 2016 et remplaceront les bâtiments de transports légers (Batral) en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie et aux Antilles. « Le contrat comporte une option pour un quatrième B2M et je compte bien en disposer car nous en avons besoin pour opérer au sud de l’océan Indien », explique l’amiral Rogel. Alors que ce quatrième B2M doit remplacer à La Réunion le Batral La Grandière, qui doit prendre sa retraite en 2017, les réflexions se poursuivent quant à la succession d’autres moyens dans la région. Celle du patrouilleur austral Albatros, qui réalise actuellement son ultime mission et doit rentrer à Brest en juillet pour être désarmé, fait l’objet d’un projet commun (que les marins appellent B3M), avec l’administration des Terres australes et antarctiques françaises. La Marine nationale espère également qu’un partenariat avec les TAAF et les Affaires maritimes permettra de disposer d’un autre bâtiment permettant, notamment, de remplacer le patrouilleur Osiris.

 

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Aviso français vu d'un destroyer américain (© US NAVY)

 

Dans l’attente de BATSIMAR

Alors que, dans la zone Antilles-Guyane, La Capricieuse et La Gracieuse vont être remplacées en 2016 et 2017 par deux nouvelles unités, les PLG (patrouilleurs légers guyanais), la Marine nationale continue de travailler sur le projet des bâtiments d’intervention et de surveillance maritime (BATSIMAR). Ce programme majeur, qui doit être intégré à la prochaine LPM, prévoit le remplacement, entre 2020 et 2025, de tous les autres patrouilleurs et avisos. En attendant que les BATSIMAR, dont l’amiral Rogel espère la construction de 15 exemplaires, voient le jour, la Marine nationale continue de défricher ses besoins avec l’Adroit. Prototype de la nouvelle gamme de patrouilleurs hauturiers développée par DCNS, ce bâtiment réalisé sur fonds propres par l’industriel est mis à disposition des marins français depuis la fin 2011. « Avec L’Adroit, nous avons testé une plateforme moderne et avons pu cerner des points intéressants, comme la mise à l’eau d’embarcations rapides par l’arrière et la mise en œuvre d’un drone aérien ». Initialement, le patrouilleur ne devait rester que trois ans dans la marine mais, DCNS n’ayant pas encore trouvé d’acquéreur étranger, L’Adroit continue d’opérer sous les couleurs françaises grâce à une extension de la convention de mise à disposition. Celle-ci a été prolongée pour le moment jusqu’à l’été 2015. « Temps qu’il ne sera pas vendu, je pense que nous aurons un partenariat pour le faire naviguer et que nous prolongerons la convention », estime le CEMM, non content, dans cette période où les passerelles manquent, de disposer à moindres frais d’un bateau supplémentaire.

 

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Le RHM Tenace (© MICHEL FLOCH)

 

Notification attendue du programme BSAH

Enfin, l’amiral Rogel attend la notification, cette année, du programme des bâtiments de soutien et d’assistance hauturiers. « Nous attendons avec impatience les BSAH car ils vont remplacer des bâtiments devenus très vieux ». Il s’agissait jusqu’en 2009 de renouveler une flotte de 11 navires très différents (bâtiments de soutien de région, remorqueurs de haute mer, remorqueurs ravitailleurs, bâtiments de soutien d’assistance et de dépollution). Toutefois, suite à l’échec de la mise en place d’un partenariat public-privé, le ministère de la Défense a été contraint de revenir à un mode d’acquisition patrimonial. De huit unités, la cible est donc, dans un premier temps, réduite de moitié. Les quatre BSAH, dont la livraison des deux premiers exemplaires est attendue en 2017, remplaceront les RHM, RR et BSR. Quant aux BSAD, leur renouvellement devrait continuer de s’inscrire, comme c’est le cas aujourd’hui, dans des chartes d’affrètement avec des opérateurs privés.

 

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© MARINE NATIONALE

SEM et Rafale sur le Charles de Gaulle (© MARINE NATIONALE)

 

Des enjeux maritimes cruciaux pour la France

Alors que la modernisation de l’aéronautique navale se poursuit également, avec la livraison prévue de 15 Atlantique 2 rénovés entre 2018 et 2023, le remplacement définitif du Super Etendard Modernisé par le Rafale Marine en 2016 et la poursuite du remplacement des Lynx par des NH90 Caïman, la flotte fait progressivement peau neuve. Ce qui est loin d’être un luxe compte tenu des enjeux internationaux et de la nécessité croissante de maîtriser les espaces maritimes. « Dans un monde globalisé, nos intérêts ne sont plus à notre porte. Nos économies sont devenues totalement dépendantes aux flux maritimes, sans toutefois que nous en ayons bien conscience. La mer est un espace d’échange à sauvegarder et à sécuriser. C’est également un espace de prospérité à défendre et à protéger. Elle recèle des ressources nombreuses et variées : hydrocarbures, métaux, ressources halieutiques », souligne l'amiral Rogel, qui rappelle que le domaine maritime fait face à de multiples menaces et que la convoitise des richesses engendre une tendance à la territorialisation des espaces marins, source d’inévitables frictions. 

 

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© MARINE NATIONALE

Manoeuvres franco-britanniques (© MARINE NATIONALE)

 

La puissance navale européenne s’effrite

Dans ce contexte peu rassurant, l’Europe demeure la seule région du monde où, globalement, les dépenses militaires sont réduites, ce qui se traduit par des compressions de moyens et d’effectifs au sein des armées. La Royal Navy en est un exemple frappant. Première puissance navale de la planète jusqu’à la seconde guerre mondiale, la flotte britannique n’est plus que l’ombre de ce qu’elle était jadis, permettant même à la marine française, pour la première fois dans l’histoire, de la supplanter en termes de capacités. Même si la situation des Britanniques va s’améliorer, avec notamment la livraison dans les prochaines années de deux nouveaux porte-avions, des lacunes importantes existent, comme l’abandon des avions de patrouille maritime de la Royal Air Force. Une décision jugée aberrante par les marins puisqu’elle prive le Royaume Uni d’un outil crucial de lutte anti-sous-marine et donc de protection des SNLE assurant sa dissuasion nucléaire.

 

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© MARINE NATIONALE

(© MARINE NATIONALE)

 

« La France tient encore son rang mais les enjeux sont énormes »

Alors que la situation est tendue dans de nombreuses autres forces navales européennes, la Marine nationale n’a pas échappé aux cures d’amaigrissement. Malgré tout, et même si cela n’a rien d’évident, elle est parvenue à conserver toutes ses capacités. « La France tient encore son rang mais les enjeux sont énormes, avec la mise en place de nouvelles frontières maritimes et les flux liés à la mondialisation qui vont provoquer de plus en plus de tensions », estime l’amiral Rogel. Or, à l’instar des interventions menées par l’armée française en Afrique ou au Moyen-Orient, l’engagement européen dans les opérations navales, en dehors de la lutte contre la piraterie et de la coopération franco-britannique (une frégate de la Royal Navy est actuellement intégrée au groupe aéronaval français), est pour ainsi dire inexistant ou, du moins, loin d’être à la hauteur des enjeux. Sauf que, la plupart du temps, c’est bel et bien pour la sécurité collective de l’Europe que les forces françaises sont engagées. « La France ne pourra pas tout faire avec ses seuls moyens », prévient l’amiral Rogel, qui regarde avec appréhension les Européens négliger leurs marines. « Ma préoccupation est d’expliquer aux Européens que des puissances navales se développent très vite. La montée en puissance de la marine chinoise est, à ce titre, impressionnante. On la voit désormais partout. Mais il y a aussi l’Inde, le Japon, le Brésil ainsi que la Russie, qui redevient une grande puissance maritime. Le retour des Russes à la mer ne date d’ailleurs pas de l’Ukraine. Après une période difficile suite à la chute de l’URSS, pendant laquelle ils sont quand même parvenus à conserver des capacités sous-marines, l’activité de la marine russe s’est renforcée. Au plus fort de la crise syrienne, en 2014, il y avait par exemple une quinzaine de bâtiments russes à la mer (en Méditerranée orientale, ndlr) ».

 

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© MARINA MILITARE

Manoeuvres de l'OTAN en Méditerranée (© OTAN)

 

L’Europe face à la Russie

Une flotte russe qui, justement, pourrait bien réveiller les Européens du fait de sa proximité géographique. Car les tensions très vives autour de l’Ukraine distillent un véritable parfum de guerre froide, avec des incursions de l’aviation et de la marine russes dans les espaces aériens et dans les eaux européennes. L’inquiétude des pays nordiques est vive car ils sont aux premières loges, mais la situation préoccupe l’ensemble de l’UE du fait des capacités de projection des Russes. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la présence des marines européennes et des forces navales de l’OTAN s’accentue en Méditerranée orientale, en Baltique et dans le Grand Nord, où la flotte française, mondialement réputée pour son savoir-faire en matière de lutte ASM, a d’ailleurs été très présente ces derniers mois. 

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