Pour la première fois, l'édition 2012 de l'exercice amphibie américain Bold Alligator a été ouverte aux membres de l'OTAN. Pour cette première, la France a été le seul pays européen à avoir accepté l'invitation de l'US Navy et de l'US Marine Corps en projetant aux Etats-Unis une force de projection. Du 23 janvier au 13 février, le Bâtiment de Projection et de Commandement (BPC) Mistral a, ainsi, opéré avec six navires amphibies américains placés sous la protection du porte-avions nucléaire USS Enterprise. Les unités terrestres françaises embarquées, dans le scénario prévu, avaient reçu pour mission d'entrer en premier sur un littoral hostile, afin de permettre l'arrivée des forces principales. Le lieu de la manoeuvre : la côte de Virginie, juste au sud de la base navale de Norfolk, et la Caroline du Nord au large de Camp River. Un terrain de manoeuvre tout proche finalement de la baie de Chesapeake et de Yorktown, là où se sont joués les épisodes décisifs de la guerre d'indépendance américaine. Plus de deux siècles plus tard, la coopération entre Paris et Washington s'est trouvée redynamisée par cette participation, d'autant que la France fait figure de leader européen de l'Alliance Atlantique suite à son retour dans le commandement intégré de l'OTAN, entériné en avril 2009. Bâtiments participant à Bold Alligator, avec l'USS San Antonio au premier plan (© : US NAVY) Le BPC Mistral (© : P W-G) Gazelle Viviane à gauche et Puma à droite sur le BPC Mistral (© : P W-G) Exercice interarmes et interalliés depuis le BPC Mistral Sur le BPC Mistral, 600 personnels de la Marine nationale et de l'armée de Terre avaient embarqué. En plus de l'équipage, il y avait un état-major de 50 personnes du Commandement de la Force aéromaritime de réaction rapide française (COMFRMARFOR), ainsi que 380 marsouins et légionnaires. Il s'agissait du 21ème Régiment d'Infanterie de Marine, du 1er Régiment Etranger du Génie et du 2ème Régiment Etranger de Cavalerie, le tout soutenu par un détachement du 3ème Régiment d'Artillerie de Marine avec deux mortiers de 120 mm. S'y ajoutaient un détachement de l'Aviation légère de l'Armée de Terre (ALAT), fort de quatre Puma et deux Gazelle du 3ème Régiment d'Hélicoptères de Combat. Interarmées entre forces françaises, la manoeuvre amphibie s'est transformée en opération interalliées lorsqu'il s'agissait de travailler avec les navires américains. La passerelle du BPC Mistral (© : P W-G) Le pont d'envol du BPC Mistral (© : P W-G) Un LCAC américain (© : P W-G) Chargement sur un LCAC dans le radier du Mistral (© : P W-G) Chargement sur un LCAC dans le radier du Mistral (© : P W-G) A cette fin, le BPC dispose d'une passerelle de télécommunications de type CENTRIXS (Combined Enterprise Regional Information Exchange System), capacité imposée pour les opérations en coalition. Au niveau de l'exécution de la manoeuvre amphibie, l'aptitude du BPC à opérer en coalition a notamment été démontrée par sa capacité à accueillir aisément des engins de débarquement sur cousins d'air de l'US Navy, ses pilotes ne rencontrant aucune difficulté à le loger un LCAC dans le radier du bâtiment français, dès la première tentative. Quant à l'EDAR, le nouvel Engin de Débarquement Amphibie Rapide de la marine française, il effectuait à l'occasion de Bold Alligator sa première sortie hors du territoire national. L'exercice lui a aussi donné l'occasion de tester sa capacité à se loger dans les radiers des nouveaux bâtiments amphibies américains du type LPD 17, avec une manoeuvre réussie sur l'USS San Antonio. Au final, la Marine nationale et l'US Navy ont pu renforcer leur interopérabilité en qualifiant leurs engins modernes de débarquement à partir de leurs nouveaux bâtiments amphibies. L'EDAR approchant de l'USS San Antonio (© : US NAVY) L'EDAR approchant de l'USS San Antonio (© : US NAVY) L'EDAR dans le radier de l'USS San Antonio (© : US NAVY) Une nouvelle batellerie pour le BPC En la matière, la Direction Générale de l'Armement (DGA), la Marine nationale et l'industrie ont osé l'innovation, il y a deux ans, en adoptant le concept de Landing Catamaran (L-CAT) développé par la société française CNIM et qui donna naissance à l'EDAR. L'idée repose sur un bâtiment de débarquement transformable. Sa structure catamaran accueille au centre un plateau élévateur. Une fois le plateau relevé, d'un chaland de débarquement, l'EDAR devient un catamaran qui permet d'offrir de meilleures qualités nautiques qu'un chaland à fond plat et, surtout, une vitesse accrue (jusqu'à 30 noeuds à vide). L'adaptabilité du bâtiment permet tout à la fois d'accoster dans un port, d'évoluer par mer forte, et d'atteindre une plage, lorsque le pont est en position abaissé. Par mer calme, il n'est ainsi pas nécessaire d'élinguer des véhicules, ce qui permet de gagner un temps précieux dans les manoeuvres de chargement. L'EDAR s'approchant du Mistral (© : P W-G) Les deux coques accueillent la propulsion, le poste de pilotage dans une cabine blindée, des locaux « vie ». L'EDAR peut donc aussi embarquer les personnels de conduite des véhicules, et leurs troupes. La disposition du bateau permet d'aménager des mitrailleuses d'autodéfense. Il y a donc bien là un nouvel engin qui valorise les capacités d'engagement des BPC, pour une large palette d'opérations : débarquement de troupes sur un littoral hostile, ravitaillement de postes, évacuation de ressortissants, voir opérations plus discrètes en exploitant le silence de son fonctionnement, son autonomie, ses moyens de communication et de commandement. A ce jour, quatre EDAR ont été commandés. Deux autres sont en options. Deux EDAR peuvent prendre place dans la radier du BPC. Toutefois, en mission, un BPC embarque pour le moment un seul EDAR, en complément de deux traditionnels Chalands de Transport de Matériel (CTM). Débarquement d'un char AMX-10 RC depuis l'EDAR (© : P W-G) Le concept de CNIM a également montré sa pertinence, d'un strict point de vue opérationnel, en comparaison avec les LCAC. C'est ainsi que l'EDAR offre une navigation moins agressive pour sa cargaison de véhicules : une navigation en LCAC s'accompagne de projections d'eau de mer et de sable vers l'intérieur de l'engin. Les chargements sont également plus rapides, puisqu'il n'est pas nécessaire, lorsque la mer le permet, d'élinguer les véhicules. En revanche, l'engin américain sur coussins d'air peut pénétrer à l'intérieur des terres et "atterrir" sur un nombre plus important de plages, voir directement au bord d'une route. Côté coûts d'exploitation, les chiffres sont sans appel : Pour toute heure d'utilisation du LCAC, cinq heures de maintenance sont nécessaire. Et la consommation s'avère cinq fois supérieure pour les engins américains. L'impression que donne le dispositif amphibie français est donc bien celui d'un excellent rapport coût-efficacité et d'une grande productivité. Le BPC, conçu par DCNS, en estb un parfait exemple, notamment avec son équipage de seulement 177 marins. Or, comme l'a fait remarquer la Marine nationale, un équipage représente 20 à 30 % du coup de possession global d'un bateau, chiffres repris par l'avis de l'Assemblée nationale de novembre 2011 sur le budget d'équipement des forces. La défense a donc bien négocié cette transformation capacitaire en remplaçant ses anciens transports de chalands de débarquement par trois BPC moins coûteux et plus polyvalents : le Mistral, le Tonnerre et le Dixmude, ce dernier ayant été livré en janvier (un quatrième BPC est prévu pour la fin de la décennie). Eléments du 21ème RIMA après leur débarquement (© : P W-G) A l'occasion de Bold Alligator, on a également noté la réussite technique du déploiement de la NEB, l'architecture tactique de Numérisation de l'Espace de Bataille, autour du PC régimentaire du 21ème Régiment d'Infanterie de Marine de l'armée de Terre. Cette réussite de la NEB était l'autre objectif majeur de la participation française à l'exercice américain. Déployé dans toutes ses composantes, le dispositif NEB - comprenant systèmes d'information tactiques, postes radios et stations satellites Syracuse - a permis un service de commandement continu entre le BPC, la batellerie, et les unités à terre, puis entre les unités de forces terrestres une fois débarquées. Soutenus si besoin est par le porte-avions Charles de Gaulle, les BPC donnent ainsi une capacité d'action et de projection unique. Texte et photos : Philippe Wodka-Gallien, Institut Français d'Analyse Stratégique L'auteur remercie tout particulièrement la Dicod, le SIRPA Marine, le SIRPA Terre, les officiers commandant le BPC Mistral et les unités de l'armée de Terre, ainsi que tous les militaires français, aviateurs de l'Alat, marsouins et légionnaires croisés lors de l'exercice Bold Alligator 2012. L'auteur tient à souligner tout particulièrement la qualité de l'accueil, la disponibilité et les initiatives des officiers presse du BPC Mistral, l'enseigne de vaisseau Glock, dont l'action a été déterminante dans la qualité des éléments obtenus et des images réalisées à l'occasion de ce voyage presse.
Bold Alligator 2012 : Le BPC Mistral au coeur de la manoeuvre amphibie
Par
Vincent Groizeleau
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12/03/2012

© PHILIPPE WODKA-GALLIEN