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(Article publié le 6 août et complété) « La France et la Russie sont parvenues à un accord pour mettre un terme au contrat signé en 2011 qui prévoyait la livraison de deux bâtiments de projection et de commandement (BPC) de type Mistral », a annoncé le 6 août l’Elysée, suite à un entretien téléphonique intervenu entre François Hollande et Vladimir Poutine. Les présidents français et russes considèrent désormais « ce dossier (comme) clos ». Selon Paris, l’accord prévoit que la France rembourse intégralement « les sommes avancées au titre du contrat ». Ce dernier, d’un montant de 1.2 milliard d’euros, avait été payé à environ 80% par les Russes, les industriels français avançant le solde pour permettre la fin de construction et les essais des deux BPC. La France remboursera non seulement l’argent avancé dans le cadre de la réalisation des bateaux, mais également certains frais annexes engagés par les Russes dans le cadre de ce contrat. Parmi eux, il y aura au moins les coûts liés à la formation des équipages (400 marins russes sont venus à Saint-Nazaire l’an dernier et se servaient du bâtiment école Smolniy comme caserne flottante). « Il n’y aura aucune pénalité et la France pourra disposer des bateaux, qui donc n’ont pas été livrés à la Russie. La somme donc, c’est exactement ce que la Russie a versé et les frais de formation qui ont été occasionnés par la conclusion du contrat, avant même qu’il ne soit interrompu. Le parlement français sera saisi d’un projet de loi pour ratifier cet accord entre les deux gouvernements et toutes les données seront fournies à la représentation nationale, c’est-à-dire au mois de septembre prochain », a précisé François Hollande lors d’une conférence de presse en marge de l’inauguration du nouveau canal de Suez (*).

Dans l’attente de connaître le coût final

Le montant exact de la facture finale n’est donc pas connu. D’abord, les sommes que la France consent à rembourser à la Russie n’ont pas encore été communiquées et il faudra attendre le mois prochain, et donc le passage du dossier au parlement, pour y voir plus clair. En tout état de cause, la somme oscillera entre 785 millions d’euros (montant avancé par certains journaux mais non confirmé, que les Russes auraient payé aux industriels français) et ce que réclamait Moscou, soit 1.16 milliard d’euros comprenant en plus des versements liés à la construction des BPC les coûts annexes, dont la formation de l’équipage et les infrastructures portuaires qui devaient accueillir les bâtiments.

A cela, l’Etat, qui devient propriétaire des Vladivostok et Sevastopol, toujours en attente à Saint-Nazaire, va devoir, via la Coface, rembourser aux industriels (DCNS et son sous-traitant STX France) le solde du contrat, dont il assume la responsabilité de l’annulation. S’y ajouteront les frais liés à l’immobilisation depuis novembre du premier BPC, qui coûte plus d’un million d’euros par mois en maintenance, sécurité, frais de port ou encore assurance.

Pas de pénalité et possibilité de revente

Non livrés à la Russie suite à une décision de François Hollande liée à la situation en Ukraine, les ex-BPC russes deviennent, au terme de l’accord conclu entre Paris et Moscou, pleinement propriété de la France, qui a « la libre disposition des deux bâtiments ». En clair, le Kremlin accepte non seulement de renoncer aux pénalités qu’il aurait pu exiger pour non respect du contrat, voire à une éventuelle procédure devant une cour d’arbitrage internationale, mais a aussi donné son accord pour que ces bateaux puissent être revendus.

En effet, la France ne souhaite pas récupérer ces BPC, dont trois exemplaires sont déjà en service dans la Marine nationale. Celle-ci estime que ces trois unités répondent à ses besoins et ne veut pas assumer le surcoût d’une telle opération, de crainte notamment que les moyens financiers nécessaires soient prélevés sur d’autres programmes. Un tel scénario imposerait en outre que les Vladivostok et Sevastopol, réalisés aux normes russes, soient mis aux standards occidentaux, ce qui engendrerait d’importants surcoûts, estimés à au moins plusieurs dizaines de millions d’euros.

Cette problématique est tout aussi valable pour un repreneur disposant d’une flotte aux standards de l’OTAN. L’idéal serait donc de trouver une marine qui n’utilise pas ces normes ou, encore mieux, dispose déjà de matériels russes. C’est le cas par exemple de l’Inde, qui souhaite justement se doter de bâtiments de projection. Un futur programme pour lequel DCNS est en compétition avec d’autres constructeurs internationaux.

« Il n’y aura aucune difficulté à trouver preneur pour ces bateaux »

Plusieurs pays pourraient, en fait, être candidat à la reprise des anciens BPC russes. Car ce concept, qui a fait ses preuves au sein de la marine française, intéresse un certain nombre de forces navales, tant pour ses capacités de projection de forces (troupes, blindés, engins de débarquement, hélicoptères) que pour son remarquable potentiel en tant que plateforme logistique pour des opérations humanitaires. François Hollande s’est en tous cas montré très optimiste quant à la possibilité de trouver un candidat au rachat des ex-BPC russes : « Ces bateaux suscitent une certaine demande de la part de beaucoup de pays et qu’il n’y aura aucune difficulté pour la France à trouver preneur pour ces bateaux, sans qu’il y ait de coût supplémentaire pour notre pays ». Ces derniers mois, différentes marines ont été citées comme potentiellement intéressée, bien qu’aucune ne l’ait officiellement indiqué. Inde, Canada, Brésil, Malaisie, Chine font partie des noms qui circulent, ces différentes hypothèses étant plus ou moins plausibles.

La piste de l’Arabie Saoudite et de l’Egypte

Ces derniers jours, l’Egypte et l’Arabie Saoudite ont également été mentionnées par certains journaux. Une option qui, de prime abord, parait étonnante. L’armée égyptienne s’est en effet déjà engagée dans des programmes très coûteux (Rafale, FREMM, Gowind) et n’a a priori par les moyens de se payer en plus des BPC. Quant à l’Arabie Saoudite, on la voyait mal, jusque très récemment, se doter de tels bâtiments. Mais il faut aussi se rappeler que Ryad est résolument engagé dans l’intervention militaire arabe au Yémen. Or, comme les BPC l’on prouvé lors des opérations en Libye en 2011, compléter les raids de l’aviation par des attaques d’hélicoptères depuis la mer constitue un atout militaire considérable. La marine saoudienne, qui souhaite renforcer ses capacités de combat et de projection, pourrait donc être séduite par l’opportunité d’un BPC disponible très rapidement. Et comme Le Caire est soutenu par Ryad et que la flotte égyptienne, elle aussi en pleine modernisation, aimerait également acquérir un navire pour des opérations amphibies et aéromobiles, les deux anciens bâtiments russes pourraient trouver preneur avec ces deux pays. On notera que si ce scénario voyait le jour, il faudrait équiper les BPC, notamment en armement et systèmes électroniques, ce qui n’était pas le cas avec les Russes, qui avaient prévu leurs propres équipements. Cela constituerait donc une plus-value intéressante pour la France, à même peut être de gommer l’ardoise liée à l’annulation du contrat russe.

Vente impérative, et si possible rapidement

La vente des bâtiments est en tous cas impérative si Paris veut réduire au maximum les frais générés par cette affaire. Car, à défaut, il n’y aurait guère d’autre solution que de démanteler ces deux coques neuves et assumer la perte sèche due au remboursement de la Russie et des industriels tricolores. En tout état de cause, les bâtiments peuvent être conservés plusieurs années sous cocon, avec un coût moindre que celui du Vladivostok, qui était maintenu dans un état opérationnel. Evidemment, plus le temps passera, plus les travaux de remise en service et le traitement des obsolescences sera important. D’où la nécessité de trouver rapidement un ou plusieurs repreneurs.

Il conviendra enfin de voir si les BPC resteront à Saint-Nazaire, où ils immobilisent deux quais. Une fois que les Russes auront récupéré les équipements qu’ils avaient installés à bord, notamment les systèmes de communication, il ne serait pas étonnant, si la situation actuelle s’éternise, que l’autorité portuaire et les industriels locaux demandent à l’Etat d’évacuer les navires. Ceux-ci pourraient, alors, rejoindre la base navale de Brest et y attendre un éventuel repreneur. 

 

(*) Voici la réponse complète de François Hollande à la question qui lui a été posée lors de la conférence de presse :

« D’abord, les raisons qui font qu’il n’y a pas eu de livraison de ces bateaux à la Russie, alors qu’un contrat nous liait avec ce grand pays ami. Il se trouve que le contexte, celui de l’Ukraine, celui aussi qui a été dans l’Est de l’Ukraine, encore ces derniers jours, conduit à ne pas livrer un appareil, des appareils – puisque ce sont deux bateaux – qui sont des appareils de projection de force. J’ai donc eu, au mois de septembre dernier, à dire que les conditions n’étaient pas réunies. Depuis, il y a eu un certain nombre de discussions, qui se sont conclues ces derniers jours, je me suis moi-même entretenu plusieurs fois avec le président Poutine et c’est un bon accord qui a été trouvé. Un bon accord parce que seront remboursées aux Russes les sommes qui avaient été versées et les frais qui avaient été occasionnés. Il n’y aura aucune pénalité et la France pourra disposer des bateaux qui n’ont pas été livrés à la Russie. La somme, donc, c’est exactement ce que la Russie a versé et les frais de formation qui ont été occasionnés par la conclusion du contrat, avant même qu’il ne soit interrompu. Le Parlement français sera saisi d’un projet de loi pour ratifier cet accord entre les deux gouvernements et toutes les données seront fournies à la représentation nationale, c’est-à-dire au mois de septembre prochain. Par ailleurs, je veux préciser que – pour ceux qui s’en inquiètent, il y en a toujours –ces bateaux suscitent une certaine demande de la part de beaucoup de pays et qu’il n’y aura aucune difficulté pour la France à trouver preneur pour ces bateaux, sans qu’il y ait de coût supplémentaire pour notre pays. Je crois qu’il était important que nous puissions aboutir à cet accord, faire qu’il puisse se dénouer, sans entraver les relations entre la France et la Russie. Mais chacun devra comprendre qu’un certain contexte empêchait la livraison de ces bateaux. Je rappelle que c’est un contrat qui a été conclu en 2011 et qui a été sujet à beaucoup de discussions, mais j’ai considéré que dans la configuration que nous connaissons, il n’était pas possible de les livrer, et ça a été compris, regretté sûrement, par nos partenaires russes, mais compris ».

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