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C’est bien parce qu’il en va de la crédibilité même du chef de l’Etat, sans parler de celle de la France, qu’on ne voit pas comment le gouvernement pourrait opérer de nouvelles coupes budgétaires au sein du ministère de la Défense.  Et pourtant, une âpre bataille se livre actuellement entre l’Hôtel de Brienne et Bercy, les jours à venir s’annonçant comme décisifs, dans les deux camps, pour obtenir la faveur de l’arbitrage de Matignon et de l’Elysée. Alors que Bercy réclame un effort supplémentaire aux armées dans le cadre du plan d’économies de 50 milliards d’euros à réaliser entre 2015 et 2017, militaires et industriels jouent très gros. Tout comme le pays, puisque la défense contribue largement au rayonnement de la France et à son statut de grande puissance. Face à la levée de boucliers intervenue depuis une dizaine de jours, Manuel Valls a assuré, le 15 mai, que le chiffre de 2 milliards d’économies par an (de 2015 à 2017) avancé les jours précédents était « fantaisiste », refusant néanmoins d’avancer la moindre fourchette.  Certes, le premier ministre a affirmé que la nouvelle loi de programmation militaire était « totalement valable » et serait « mise en œuvre ». Mais il n’a rassuré personne, puisqu’il a immédiatement ajouté que « cela ne veut pas dire qu’il ne peut y avoir ici ou là des ajustements ».

 

 

Un président et un ministre personnellement engagés

 

 

François Hollande se retrouve en tous cas dans une situation très inconfortable. Le président de la République avait, en effet, assuré qu’après les sacrifices consentis pour élaborer la nouvelle loi de programmation militaire, votée à l’automne dernier par le parlement, le budget de la défense serait maintenu pour que la nouvelle LPM soit complètement exécutée. Son ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, s’y est aussi fermement engagé, parvenant malgré les nouveaux coups de rabot à faire plus ou moins passer la pilule aux militaires, qui lui reconnaissent son volontarisme et savent qu’il s’est battu comme un beau diable, l’an dernier, pour limiter la casse au maximum.

 

 

D’importants sacrifices déjà consentis

 

 

Au final, la LPM, qui couvre la période 2014 – 2019, parvient à maintenir toutes les grandes composantes de l’armée ce qui, compte tenu du contexte budgétaire extrêmement contraint, est un tour de force. Bien que la situation s’annonce tendue dans un certain nombre de domaines, la loi assure des moyens suffisants pour répondre aux objectifs stratégiques de la France, tant en termes de capacités d’intervention que de préservation d’un savoir-faire industriel de pointe, garant de la souveraineté du pays. Cela n’a toutefois pas été sans opérer des choix douloureux, avec une nouvelle réduction d’effectifs (23.500  suppressions de postes sur la période en plus des 54.000 déjà entérinées lors de la précédente LPM), des programmes amputés et d’autres étalés ou reportés. En tout, une vingtaine de milliards d’euros ont été économisés pour participer à l’effort de redressement des comptes publics.

 

 

Une LPM prête à voler en éclat à la moindre turbulence budgétaire

 

 

Pour les militaires, cette LPM est loin d’être la panacée mais, si imparfaite soit-elle, c’est une base cohérente qui préserve l’essentiel, en attendant des jours économiquement meilleurs. Or, cet édifice fait de choix méticuleux et savamment pesés demeure très fragile et ne saurait souffrir de la moindre coupe, tant les budgets sont tirés au cordeau. Le ministère comme les parlementaires en charge de la défense ont d’ailleurs prévenu : ne serait-ce qu’un milliard d’euros d’économies supplémentaires par an ferait voler la LPM en éclat.

 

Les réflexions quant à de nouvelles restrictions, quelques mois seulement après le vote de la loi, suscitent donc les plus grandes craintes au sein des armées comme des industriels. Ces derniers ont d’ailleurs tiré en fin de semaine dernière la sonnette d’alarme.

 

 

 

Les industriels en appellent au chef de l’Etat

 

 

A l’instar de ce qu’ils avaient fait au moment de l’élaboration de la LPM, les présidents d’Airbus France, Thales, Safran, Dassault, DCNS, MBDA et Nexter ont écrit le 15 mai au président de la République. Dans leur lettre, ils rappellent que les industries de défense sont un levier majeur du développement industriel, qu’elles génèrent des technologies de pointe et de nombreuses innovations, ainsi qu’une base de 160.000 emplois à forte valeur ajoutée et non délocalisables au sein de grands groupes, PME et ETI qui structurent l’économie de nombreux territoires. Et il s’agit aussi de l’un des rares secteurs en France qui contribue positivement à la balance commerciale grâce à ses exportations. Or, estiment les dirigeants des principaux donneurs d’ordres du pays, « des considérations à court terme », en clair la chasse aux économies menée à la hâte par Bercy pour attendre les objectifs budgétaires fixés par le gouvernement, « menacent de briser aujourd’hui ce fragile équilibre ». Pour les grands patrons français, leurs industries « ont atteint le point de rupture ». Et ils préviennent François Hollande sur les « dramatiques conséquences qu’aurait toute encoche à la loi votée : licenciements, décrochage technologique, déclassement et désindustrialisation ». Le message au président est on ne peut plus clair et, au-delà de l’habituel lobbying exercé par les industriels, il y a cette fois objectivement danger.

 

 

La grogne monte chez les militaires

 

 

Pour l’exécutif, la situation est d’autant plus préoccupante qu’en plus des entreprises, la grogne est de plus en plus audible au sein même de l’armée. Car, trop longtemps, la défense a été systématiquement mise à contribution, dans des proportions qu’aucune autre administration n’aurait probablement supportées sans descendre massivement dans la rue. En fait, l’armée est une variable d’ajustement bien pratique puisque les militaires ont le bon goût de ne pas manifester publiquement leur mécontentement, pour la bonne et simple raison qu’ils n’en ont pas le droit. Mais cela n’empêche pas la colère de s’amplifier progressivement face aux promesses non tenues, au manque de moyens et aux multiples vicissitudes qui émaillent les programmes depuis des années. Cela, malgré l’ampleur des sacrifices régulièrement consentis. A cela se sont ajoutés les déboires surréalistes du logiciel de paiement Louvois, qui a achevé de miner le moral des troupes, comme devrait en témoigner le nouveau rapport du Haut comité à l’évaluation de la condition militaire (HCECM).

Aujourd’hui, on ne comprend plus, dans les rangs, que l’Etat multiplie les coupes alors même que les forces continuent d’être engagées à un rythme effréné sur différents théâtres d’opérations. Pire, on commence à rejeter cette pression constante, qui démobilise des hommes et femmes prêts à se sacrifier pour protéger leur pays mais qui sont au moins en droit d’espérer, en contrepartie, un minimum de reconnaissance. Cela ne passe pas que par les médailles, les lettres de félicitations et les discours de remerciement, mais aussi par ce qu’on appellerait ailleurs le maintien des conditions et de l’outil de travail. Face à cette situation, les chefs ont de plus en plus de mal à faire admettre de nouveaux efforts à leurs troupes. Eux-mêmes paraissent d’ailleurs ne plus vraiment croire à leurs paroles optimistes qui semblent parfois tenir autant de l’auto-persuasion que de la volonté de ne pas s’afficher défaitiste. Or, si pendant longtemps le pouvoir politique a pu miser sur le carriérisme des officiers pour éviter les vagues, les choses sont peut-être en train d’évoluer. Il se murmure en effet  que certains hauts gradés estiment que la coupe est pleine et que six mois seulement après le vote d’une LPM n’assurant que le minium vital, il est impensable d’en demander plus. Dans ces conditions, ils seraient prêts, en cas de coup de force de Bercy, à prendre leurs responsabilités et assumer publiquement leur désaccord. Ce serait du jamais vu et cela serait politiquement extrêmement grave.

 

 

Le ministre mettra-il sa tête dans la balance ?

 

 

Autre crise potentielle pour l’Elysée, où ce dossier doit commencer à être perçu comme un véritable champ de mines, l’éventuelle démission du ministre de la Défense dans l’hypothèse où il perdrait son bras de fer avec Bercy. Jean-Yves Le Drian s’est en effet trop engagé dans l’élaboration et l’exécution de la LPM pour ne pas se poser la question d’un départ si « sa » loi était condamnée à l’implosion. En pareil cas, ce proche de François Hollande irait-il jusqu’à claquer la porte du gouvernement pour ne pas avoir à avaler son chapeau et se décrédibiliser face au monde de la défense, dont il a su gagner le respect, pour ne pas dire la confiance ? Le Breton, au tempérament bien trempé, en est probablement capable. En attendant, il met tout son poids dans une bataille pour laquelle ses soutiens sont légion et sa cause légitime. 

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